lundi 28 avril 2014

Shoah et éducation (Journal Métro de Montréal)

Shoah et éducation
 
Lorsque je suis arrivé en Nouvelle-Écosse en 1998 et au Québec en 2011, j’ai été surpris de constater que l’histoire de la Première et de la Deuxième Guerres mondiales était très peu enseignée dans les écoles. La Shoah est en général à peine esquissée, ou étudiée en profondeur selon les compétences et l’intérêt des enseignants. Comme je viens d’Europe, je me suis tout de suite demandé pourquoi un tel vide. Un tel désintérêt. Si on ne veut pas que de telles atrocités recommencent, au moins faut-il en avoir connaissance, n’est-ce pas? Pour moi, comme pour beaucoup d’Européens, la mémoire de la guerre m’a été transmise en famille. Mes grands-parents m’ont raconté comment ma mère, enfant, s’est fait tirer dessus à la mitraillette par les Allemands qui occupaient le village. Mais il suffit d’ouvrir les yeux et de tendre l’oreille pour constater que le Québec est en Amérique du Nord. Les deux guerres mondiales ont très peu sévi sur le territoire. Les plages du débarquement de juin 1944 ou les camps d’extermination sont situés en Europe. Ces lieux sont lointains vus d’ici. De plus, les témoins de cette époque qui vivent au Québec et qui pourraient ou voudraient témoigner se font de plus en plus rares. Enfin, il est normal, me semble-t-il, qu’une nation comme la nation québécoise désire transmettre avant tout son histoire à elle, par exemple l’histoire des Premières Nations, la colonisation, la guerre de Sept Ans ou les mouvements sociaux du XXe siècle au Québec. C’est bien normal, certes, mais si nous ne tirons pas les leçons des deux guerres mondiales, qui sont de grands échecs pour l’humanité entière, nous risquons vraiment de nous exposer à de nouveaux conflits. En cela, l’enseignement de la Shoah nous aide à comprendre les mécanismes politiques qui mènent un peuple à sombrer dans l’exclusion, l’antisémitisme et le génocide. Les outils pour les enseignants sont disponibles entre autres sur la toile, grâce à la fondation Azrieli, et le Centre commémoratif de l’Holocauste de Montréal mérite une visite. Je me souviens… oui, mais de quoi?
 
Alain Raimbault, Longueuil
 
Courrier des lecteurs Journal Métro de Montréal  28 avril 2014

/http://journalmetro.com/opinions/courrier-des-lecteurs/486696/courrier-des-lecteurs-du-28-avril-2014/

dimanche 27 avril 2014

Bonel Auguste: Un cri Lola

http://parolenarchipel.com/2014/04/27/9749/

Bonel Auguste, Un cri Lola

1388829-gfUn cri Lola, de Bonel Auguste, tient davantage du poème en prose que du roman. Certes, un jeune homme fréquente une très belle jeune femme, Lola. Le jazz, la poésie, la peinture, le théâtre ou la photographie sont les arts consommés faute d’amours charnelles. Un long poème musical. Ce livre n’a rien du cri mais tout d’un chant accompagné au saxophone par John Coltrane. Cris, bruissements, dialogues, bruits, paroles, chansons, musiques, notes, dissonances, toute la gamme y passe. Le narrateur est en fait p.47 « … le type qui porte toujours un immense sac à dos. » Il suit Lola en la suppliant secrètement de lui offrir son amour (les fleurs). Le livre présente la quête d’un amour inatteignable, sublime en cela. Les récits qui ponctuent la quête principale du narrateur proposent des variantes de la même histoire. Un footballeur veut briller parmi des enfants pour séduire les jeunes femmes qui l’observent. Un pharmacien lit le journal depuis trente ans accoudé au comptoir, immobile, comme statufié dans une vie éternelle. Un chien lépreux, borgne et auquel il manque une patte est sauvé par l’amour d’un vieux pêcheur. Enfin, les descriptions lyriques des morceaux de jazz représentent l’expression sublimée de l’amour que le narrateur porte à Lola.
Ce long poème interroge en fait les rapports étroits qui existent entre le temps vécu dans une tonalité esthétique, c’est-à-dire la fréquentation du beau (Lola, femme idéale, et les arts, pure jouissance de la beauté) et le dépouillement douloureux que ce passage du temps provoque chez l’être en quête de sérénité. L’interrogation de la page 28 met en relief le tiraillement ressenti par le narrateur entre sa quête de la beauté et son impossibilité de l’atteindre. « La semaine dernière, d’une voix un peu frêle, elle (Lola) m’a demandé pourquoi je passe mon temps à regarder cette ancienne maison. Je lui ai répondu, j’attends que quelque chose y arrive… Ensuite, elle s’est accoudée au comptoir pour me regarder avec une tendresse frôlant la pitié. » Un livre poétique et très émouvant.
Alain Raimbault
Bonel Auguste, Un cri Lola, éditions Vents d’ailleurs, 2013

(Merci à Thélyson Aurélien pour publier mon article sur son excellent site culturel.)

mardi 22 avril 2014

Gilles Vigneault et Gabriel García Márquez

Courrier des lecteurs du 22 avril 2014 Journal Métro de Montréal Mon 

Un grand homme

Le plus grand écrivain de l’Amérique latine vient de rentrer dans une solitude millénaire. Gabriel García Márquez, que ses amis appelaient tendrement El Gabo, vient de mourir. Son œuvre gigantesque, lyrique, onirique mérite d’être lue et relue, car elle porte à elle seule tout un continent. La mort de cet auteur est annoncée partout dans le monde, un peu comme celle de Mandela. Il y a de grands personnages comme ça. Il s’agit ici d’un écrivain.
Je me demande qui sont les grands personnages du Québec aujourd’hui? Ma première pensée va à Gilles Vigneault, un poète. Un artiste. Il est peut-être éternel, mais il n’est pas immortel. Peut-être faudrait-il le relire et lui dire merci. Et c’est un poète, oui. La poésie et la littérature ont bien peu de place dans le discours politique au Québec et dans les médias. C’est bien triste. Le plus grand personnage québécois vivant est un poète, mais plus personne ou presque ne lit de poésie. Bonjour tristesse. Et merci M. Vigneault.
Alain Raimbault, Longueuil

Poème du 19 avril 2014 Parole en archipel

La ville est un texte opaque…

Vill
La ville est un texte opaque
chaque rue en ligne
chaque demeure en mot
chaque tour exclamant la démesure
de nos non-dit nomades
Les moineaux accentuent follement
la trahison des ifs soumis à des saisons vertueuses
La pluie coule en un discours sévère
elle s’insinue dans la nuit inédite
en sels de mer au pied des murs sourds
seule la police épie
les cris des sans-papiers
noir sur blanc
Les passants marchent en braille
vers leur soir ponctué de clés et de codes
La cité coule de source
en ses chants sémantiques
deux quartiers à la minute
Ma ville opaque est un prétexte à tous les cris.
Alain Raimbault
19 avril 2014

vendredi 18 avril 2014

Journal Métro de Montréal 17 avril 2014 De la proportionnelle


Voici mon opinion à propos d'un scrutin proportionnel

Courrier des lecteurs du 17 avril 2014

Scrutin proportionnel et extrémismes


Lors de son discours après son élection, Mme Françoise David, dont je partage de nombreuses opinions, a fait remarquer que, si le mode de scrutin avait été proportionnel, le résultat des élections aurait été plus démocratique.
Je suis d’accord avec elle, bien sûr. Le parti au pouvoir actuellement a obtenu environ 40 % des voix. Donc, environ 60 % des votants voient leurs représentants dans l’opposition. Cherchez l’erreur. Certes, cela ressemble à une situation absurde, probablement héritée de la culture politique britannique.
Cependant, il faut savoir que, si le scrutin était entièrement proportionnel, si par exemple un parti politique qui aurait reçu 15 % des voix se voyait représenté exactement dans la même proportion au parlement, cela entraînerait de nombreuses difficultés pour former un gouvernement stable. De nombreux partis seraient représentés, ce qui est en soi une bonne chose d’un point de vue démocratique, mais les coalitions formées pour gouverner risqueraient de ne pas durer longtemps.
De plus, c’est la porte d’entrée aux extrémistes de tout poil. Si, par exemple, je formais un parti politique raciste, xénophobe et antisémite, en employant un discours modéré, je pourrais présenter des candidats dans toutes les circonscriptions et mes élus et moi-même diffuserions des discours peu démocratiques qui en choqueraient plus d’un.
On peut toujours revoir le mode de scrutin, mais il faut bien prendre garde aux conséquences que cela entraînerait. Je veux bien en arriver à un scrutin à deux tours, par exemple, mais surtout pas à un scrutin proportionnel. Je ne souhaite pas que des idées extrémistes soient diffusées démocratiquement au parlement.

Alain Raimbault

mardi 15 avril 2014

samedi 12 avril 2014

Meilleures ventes Librairie Monet

http://www.librairiemonet.com/blogue/2014/04/

Pour la première fois de ma vie d'auteur publié, j'ai un de mes livres (Championne d'expo-sciences?) dans les meilleures ventes d'une librairie. Ils ont dû en vendre deux exemplaires...



Avril 2014

jeudi 3 avril 2014

Photo manif 3 avril 2014

http://journalmetro.com/dossiers/mon-scoop/474692/manifestation-contre-lausterite/

Merci au journal de Montréal pour me publier cette photo prise aujourd'hui 3 avril 2014 après la manif étudiante contre l'austérité:

Les cloches de la Brésilienne

J'ai écrit une petite critique d'un livre formidable que Thelyson Aurélien a eu la gentillesse de partager sur son blog: 

Les cloches de la Brésilienne

1 AVRIL 2014 PAR  

LCdlBDans Les cloches de la Brésilienne, les éléments traditionnels du genre policiers sont en place. Le schéma crime-enquête-suspect-coupable est plutôt bien respecté. Nous avons des politiciens tous plus corrompus, véreux, violents et manipulateurs les uns que les autres. Le policier de service, l’inspecteur Azémar Dieuswalwe (Dieusoitloué) répond également aux critères classiques : désespérément honnête, pauvre comme Job, incorruptible, alcoolique à souhait ou kakakleren, affligé d’un strabisme convergent (il louche et en a honte), il est forcément célibataire et n’a d’yeux que pour les belles métisses. Aucune surprise de ce côté-là. Dans le village imaginaire de La Brésilienne, près de Jacmel, les guerres font rage, tout d’abord pour le pouvoir entre le Maire Exantus et le député-trafiquant de drogue Maren; ensuite entre l’église catholique représentée par le prêtre breton Lefenec qui dissimule une arme sous sa soutane et le pasteur Sirius, affligé de deux gardes du corps armés; enfin entre le Maire et sa femme.
Dès le début, la situation se révèle très tendue dans le village (et non la ville, lieu de prédilection du polar) où chacun accuse l’inspecteur de travailler pour le camp adverse. Mais quel est l’objet de l’enquête? C’est ici où le roman prend une toute autre dimension. L’inspecteur est convoqué par le prêtre Lefenec afin qu’il retrouve le son des cloches de son église qui a été volé. Pas de meurtre, donc. Juste une surprenante disparition. C’est là le crime. Ainsi, l’inspecteur dira à son chef resté à Port-au-Prince (p.89) : « Je mène une enquête où toute logique m’est interdite.» Nous entrons de plain-pied dans le panthéon vaudou en parallèle avec celui de l’Église catholique. Il sera ainsi question (p.56) de « …ceux qui adorent Marie et Erzulie. » Plus loin, le lecteur découvre des paysans qui sont des chanpwèls. Ils conduisent l’inspecteur dans la montagne pour écouter le carillon des cloches sous la pleine lune. Les sons (p. 58) «… chevauchaient une brise capricieuse… voltigeaient… jouant à cache-cache… tournaient si vite… Les vibrations des cloches redonnaient vie à la pierre. » Page 69, il est question de « …deux polanvè qui s’étaient égarés. Polanvè était une manière d’appeler les loups-garous. » On les retrouvera assassinés au petit matin. Et ce n’est pas fini. Un fou se fait surnommer Al Quaida. Il croit (p.93) en « la magie du Coran ».
Il vit dans un manguier et il affirme détenir une part de la vérité pour ce qui concerne l’enquête. Nous avons une petite fille qui se promène une calebasse dans les bras que sa mère lui a donnée en rêve. Plus loin, le prêtre Lefenec organise une cérémonie vaudou dans son église avec trois batteurs de tambours, six ounsi qui dansent à l’intérieur d’un cercle tracé au sol avec de la farine, et un vieux oungan. Les ounsi sont des prêtresses et le oungan un prêtre selon les croyances (ou la religion, c’est selon) vaudous. La foi chrétienne est encore mise à mal par le prêtre Lefenec en personne qui, apprend-on plus tard, a connu une histoire d’amour torride avec la belle mambo Shibouna. Il a commis le péché de chair pendant des semaines au sommet d’un mapou afin d’expulser de son corps les makaya, ou démons.
Si les hommes ne sont que des pantins mus par leurs pulsions, ce sont les femmes les véritables héroïnes de ce roman. Elles manipulent les hommes, les consolent, les guérissent, les éliminent, communiquent par rêves et se jouent du monde matériel. Elles détiennent la vérité, la connaissance et ce sont donc elles qui possèdent le pouvoir spirituel. Les hommes s’entretuent uniquement afin de posséder le pouvoir matériel. Ce sont des hommes-objets.
Le genre policier est donc mis à mal car même si l’architecture narrative est identifiable, les éléments propres au genre fantastique viennent troubler les attentes du lecteur et c’est là la véritable réussite et la grande richesse de ce roman. Il se termine en apothéose par les témoignages tous plus farfelus et plus poétiques les uns que les autres reçus par l’inspecteur Dieuswalwe lors de son enquête. Enfin, le prologue ressemble à un conte, à un rêve, à une parabole. Et ce récit plus près du mythe que du rapport de police décrit le crime. Dès la première page, le lecteur a été prévenu. Le raisonnement logique ne suffira pas pour découvrir l’auteur du crime.
J’ai rencontré pour la première fois Frankétienne en 1998 à la Corderie royale de Rochefort, dans l’ouest de la France. Je lui ai alors demandé si tous les écrivains haïtiens étaient des poètes. Sans hésitation aucune il m’a répondu : Oui ! J’aurais tendance à le croire.
Alain Raimbault
Gary Victor, Les cloches de la Brésilienne, éditions Vents d’ailleurs, 2006