mercredi 28 mai 2014

Contre le FN

http://journalmetro.com/opinions/courrier-des-lecteurs/501921/courrier-des-lecteurs-du-28-mai-2014/

Merci au Journal Métro de Montréal pour m'avoir publié aujourd'hui ce texte dans le courrier des lecteurs: 

Bien vivre ensemble

Première page de mon quotidien gratuit lundi : Mme Le Pen, d’extrême droite, tout sourire. Eh oui, le Front national, parti politique d’extrême droite, termine en première position aux élections européennes en France. Ça fait mal lorsqu’on ne partage pas ses visées.

C’est un parti qui dit non à l’Europe, non à l’immigration, donc non aux immigrants, non à la démocratie, car il veut gouverner avec des référendums (dans un référendum, on pose la question qu’on veut au peuple), on ferme les frontières, on renvoie Dieu sait où les non-Français, tout le monde est catholique, Jeanne-d’Arc la royaliste remplace Marianne la républicaine, et malheur aux autres.

Le FN a recueilli 25 % du vote exprimé! Heureusement que 75 % n’ont pas voté pour ces idées-là.

Aussi, je suis heureux de ne pas entendre des idées aussi radicales et racistes au Québec en particulier, et au Canada en général. Aucun parti politique n’exprime un tel rejet de l’autre.

Lorsqu’un pays traverse une crise économique, il se referme sur lui-même et accuse l’autre d’être responsable de son malheur. Le Québec ne semble pas en crise économique, même si certains secteurs de l’économie sont plus fragiles que d’autres.

J’ai l’impression que malgré l’incessante guéguerre francophone-anglophone, Québec-Canada, charte-pas charte, on réussit plutôt bien à vivre ensemble, ici. Il est certes plus difficile de s’intégrer à la société québécoise quand on ne vient pas de France, de Belgique ou de Suisse romande, mais il y a me semble-t-il un bien vivre ensemble au Québec et au Canada. Je ne vois pas de parti politique qui promeut systématiquement l’exclusion. Je désirais le souligner et dire que je m’en réjouis. Est-ce que je me trompe?

Alain Raimbault, Longueuil

jeudi 22 mai 2014

Tonton Clarinette, de Nick Stone.

http://parolenarchipel.com/2014/05/22/nick-stone-tonton-clarinette/

Nick Stone : Tonton Clarinette

Ce premier roman d’un auteur né de père anglais et d’une mère d’origine haïtienne a reçu bien des prix littéraires, et l’on comprend très vite pourquoi. Ce polar en est un du début à la fin. Le crime est annoncé à la première ligne, page 13. «Dix millions de dollars s’il accomplissait un miracle et ramenait le gamin sain et sauf…»
514INRZR8eL._Huit lignes plus bas, le personnage de l’enquêteur est présenté. « Max Mingus était un ex-flic recyclé détective privé. » Le décor est planté. Un ex-policier en prison aux États-Unis est contacté par un homme à la tête d’une grande fortune en Haïti afin qu’il retrouve son enfant kidnappé il y a quelques années. Le lecteur, maintenu en état de curiosité permanente, parfois en état de voyeur quand les événements se corsent, découvre la vérité en même temps que Max Mingus. Il n’en sait ni plus ni moins. De plus, deux histoires se chevauchent parfaitement. Il y a celle de l’enquête, vécue chronologiquement par l’enquêteur, et la reconstitution fragmentaire de l’enlèvement de l’enfant le 4 septembre 1994 et des jours qui l’ont précédée.
Lorsque Max sort de prison, après moult hésitations, il accepte d’enquêter en Haïti où il n’a jamais mis les pieds et où se cache un ex-taulard qui a juré sa mort : Solomon Boukman dont la description à la page 61 donne froid dans le dos. Max ne parle ni créole, ni français. Enfin, il apprend que l’enquête menée précédemment par deux autres détectives a échoué chaque fois, laissant ces mêmes détectives en piteux état. Accepte-t-il ce défi seulement pour l’argent? Non, bien sûr. Sa femme, Sandra, à qui il arrive malheur en début de roman, est haïtienne. Aller en Haïti, c’est un peu aller à la recherche de cet amour perdu. Mais notre homme n’est plus un sentimental. La preuve, page 165. « Il (Max) était soupe au lait. Il agissait de manière impulsive. Il se laissait emporter et, oui, cela avait parfois altéré son jugement. Mais ça, c’était avant, quand il se souciait encore des gens et des choses, avant qu’il se mette à dos son propre système.»  Il mène l’enquête à sa façon, en s’alliant avec le mal incarné à la tête d’un bidonville, l’effroyable Vincent Paul, Le Roi de Cité Soleil. Balloté dans tous les sens, manipulé, menacé, Max découvre des vérités qu’il n’aurait jamais dû découvrir, bien sûr, et la fin surprenante et magistrale révèle que le coupable n’est pas qui l’on croit. Du point de vue du lecteur qui s’attend à lire un roman noir, exotique peut-être, haletant, violent, cruel, où la morale est chahutée, le contrat est rempli.
Comme Max Mingus est employé par une puissante famille haïtienne, il découvre l’alliance inconditionnelle qui existe entre les riches familles qui détiennent le pouvoir économique et le pouvoir politique. Dans ce monde de corruption absolue, où la raison (justice ?) du plus fort est toujours la meilleure (pour le plus fort, s’entend), c’est le plus riche, le plus violent, le plus amoral qui gagne et qui reste au pouvoir. Soit le perdant est écrasé, soit il se rebelle en employant les mêmes armes que son tortionnaire. La question que pose le roman est donc: peut-on reprocher à la victime de se défendre ainsi?
La situation politique proprement dite n’est guère plus réjouissante. Haïti est encore une fois occupée par les américains surarmés qui protègent le président Préval, page 242, « …simple bouche-trou d’Aristide, chargé de chauffer la place pour son boss jusqu’à son retour programmé. La démocratie était encore très élastique, dans ce pays. »
Et le vaudou dans tout ça? La touche exotique? Max doit l’affronter. Il participe incrédule à une séance de magie noire, interroge un boko, assiste à une cérémonie vaudou dans un hounfo duquel il peine à s’extraire, page 437 : « … il plongea dans la foule et se fraya un chemin à coups de pieds, de coudes et d’épaules, jusqu’à ce qu’ils soient (lui en son guide Chantale) enfin sortis du temple. » Page 393, il rencontre un Iwa ou « suppôt de  Satan » au Saut d’Eau, cascade sacrée entourée de mapous dont les « … racines étaient censées servir aux dieux loa de passage d’un monde à l’autre… » (page 386). Max Mingus ne croit pas au vaudou. Il ne cherche que des éléments rationnels pour alimenter son enquête. Selon lui, la logique doit triompher.
Les auteurs de polar quittent parfois le genre policier pour passer en littérature générale, parfois en restant chez leur éditeur. Ce roman de 679 pages pourrait paraître un peu long mais la qualité des descriptions des lieux traversés par Max Mingus mérite toute l’attention du lecteur. En fonction des détails donnés sur un lieu ou pour un personnage, l’inspecteur tire des conclusions qui alimentent son enquête. Les détails en disent beaucoup plus long que les dialogues ou que l’action elle-même. Les détails sont l’action! Les deux cents premières pages tracent le portrait d’un policier en prison et juste ce début donnerait en soi un très beau livre.
Pour terminer, le titre. Qui est donc ce Tonton Clarinette? Pour le découvrir, il suffit de se laisser porter par la musique, très loin de l’improvisation. Une pièce d’anthologie!
Alain Raimbault
Nick Stone : Tonton Clarinette, éd. Folio policier, Gallimard, 2010 (titre original : MR Clarinet, traduit de l’anglais par Marie Ploux et Catherine Cheval)

mercredi 14 mai 2014

Haïti ! Haïti ! Gary Klang et Anthony Phelps

Anthony Phelps, Gary Klang : Haïti! Haïti! Éditions Libre Expression, 1985

/http://parolenarchipel.com/2014/05/14/haiti-haiti-un-roman-danthony-phelps-et-de-gary-klang-ecrit-a-deux-mains/


anthony

Difficile de classer ce roman dans le genre policier ou dans celui du thriller même si certains éléments en font bien partie. Il y a le crime comme point de départ : un massacre d’innocents par les tontons macoutes cagoulés dans la ville de Jérémie. La date n’est pas donnée mais fait très certainement référence aux massacres de populations civiles ordonnées par le dictateur François Duvalier en été 1964 en représailles à une tentative de renversement de son régime.
Il existe bien une quête : Philippe Rivière, un justicier plutôt solitaire, aidé clandestinement par un mouvement d’opposition, se fait passer pour un journaliste. Il mène l’enquête afin de découvrir les commanditaires, le mobile, et surtout le nom des auteurs de ces crimes car parmi les victimes se trouve son cousin qu’il chérissait comme un frère. La justice que désire infliger Rivière s’appelle purement et simplement de la vengeance. Actions, meurtres, milieu urbain, nuit, sexe et enquête sont au rendez-vous.
Pour ce qui concerne l’intrigue, un homme très athlétique, champion de karaté va passer en Haïti afin de venger l’assassinat de son cousin et d’aider par la même occasion un groupe de révolutionnaires à renverser le régime dictatorial et sanguinaire du président Faustin.
booksCe roman politique porté par une langue vive, claire et précise fait tout de suite penser à Castro qui a renversé Batista par les armes en 1959. Le lecteur pense aussi aux romans latino-américains comme à ceux de Miguel Àngel Asturias, de Gabriel García Márquez ou à la poésie de Pablo Neruda car Haïti est en Amérique. Lorsque Dany Laferrière affirme qu’il est un auteur américain, il met en relief la culture du lieu qui l’inspire, où il demeure. Anthony Phelps et Gary Klang s’inscrivent dans la même veine. Ils décrivent une réalité américaine dans la deuxième moitié du XXe siècle qui a beaucoup à voir avec celle de l’Amérique latine.
Les liens sont nombreux d’un point de vue géographique, linguistique, historique et religieux. Ces deux auteurs illustrent avant l’heure le concept de créolité formulé par Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant dans leur manifeste de 1989 intitulé : Éloge de la Créolité. En effet, la langue française de Phelps et de Klang est traversée par les influences de l’espagnol et du créole haïtien, et l’histoire tragique d’Haïti sous les dictatures des Duvalier père et fils évoquées ici fait écho à tous ces régimes autoritaires qui décimèrent les populations d’Argentine, du Brésil, du Chili, du Paraguay, de l’Uruguay, du Chili ou de la République Dominicaine à la même époque.
D’un point de vue symbolique, ce n’est plus un seul crime que désire venger Rivière mais l’ensemble des crimes commis par ces dictatures. Si la justice a peu de chance de triompher, la vengeance qui est également amorale offre une solution de rechange. Le mal est combattu par le mal. Nous sommes bien dans un roman noir.
La trajectoire de Philippe Rivière est également intéressante. Page 11 : « Né de père français et de mère haïtienne… citoyen français, mais haïtien de cœur. » Après un passage tumultueux en Algérie, lors de la guerre d’indépendance, imagine-t-on, il décide de revenir sur la terre où il a passé une partie de son enfance. Ici, les deux auteurs exilés eux-mêmes à cause de la dictature,  posent donc la question de l’exil.
La réponse apportée dans ce roman pour un seul individu est que l’appel de l’enfance, de la patrie de la mère est plus fort que tout. Le héros revient au pays. D’un point de vue historique, peu d’exilés par une dictature sont revenus au pays pour lutter contre l’oppression les armes à la main. Mais après la fin de la dictature, le mal n’est-il pas fait? L’exilé ne risque-t-il pas de demeurer à jamais en exil?
Ce roman qui a été publié il y a presque trente ans, à l’époque où sévissaient encore ou terminaient de sévir de nombreuses dictatures en Amérique latine et en Haïti n’a rien perdu de sa pertinence. L’intérêt du lecteur est soutenu par le suspense, par l’action et par les questionnements suscités chez le lecteur par les personnages, aussi bien par les bourreaux (ceux qui sans vergogne aucune profitent du régime dictatorial pour accéder à une vie matérielle et sociale très confortable) que par les victimes (la vengeance est-elle justifiable quand toute justice est impossible?)
Pour terminer, cette œuvre écrite à deux mains questionne la notion d’auteur. Impossible de savoir qui de Phelps ou de Klang a écrit tel ou tel passage. L’auteur disparaît ainsi pour laisser triompher une instance narratrice orpheline. Le message, un peu comme une œuvre d’art non signée, comme une peinture luxuriante de Marc-Aurèle Fortin, a effacé son créateur. Et si le véritable titre était Anthony Phelps, Gary Klang ? Une sorte d’autobiographie imaginaire, la plume en guise d’arme.
Alain Raimbault
Anthony Phelps, Gary Klang : Haïti! Haïti! Éditions Libre Expression, 1985