lundi 5 juin 2017

Je n’ai qu’une langue, et ce n’est pas la mienne, de Kaoutar Harchi

Livre lu le 4 juin 2017 : Je n’ai qu’une langue, et ce n’est pas la mienne. Des écrivains à l’épreuve, de Kaoutar Harchi, préface de Jean-Louis Fabiani, éd. Pauvert. Je lis des articles mais peu d’essais, et c’est un tort car celui-ci m’a littéralement enthousiasmé, je n’ai pas pu le lâcher de la journée. Il est passionnant. Tout d’abord, il explique de manière très claire comment l’institution littéraire (parisienne) octroie ou non le statut d’écrivain, de quelle manière elle décide qui est écrivain et, par exclusion, qui ne l’est pas. À ce petit jeu, les écrivains non français de langue française comme Kateb Yacine avec sa non-consécration par la Comédie française, Assia Djebar et le chahut provoqué par son discours d’entrée à l’Académie française, Rachid Boudjedra qui, déçu, finira par abandonner l’écriture de romans en français, Kamel Daoud et Boualem Sansal dont les médias commentent avant tout l’aspect politique des romans et les détournent de leur ambition première qui est la littérature, oui, à ce petit jeu, ces écrivains sont vraiment à l’épreuve. L’auteure narre leur enfance, leur trajectoire professionnelle, leur carrière littéraire en quelques lignes. C’est clair, instructif, fascinant. Elle montre pour chacun d’eux les difficultés auxquelles ils doivent faire face une fois qu’ils ont réussi à faire publier un roman en France. Et là, la réception de l’oeuvre est désarmante car elle est avant tout commentée comme étant politique, porteuse d’une idéologie à discuter, voire carrément désapprouvée. De plus, l’écrivain algérien qui publie en France dans la langue de l’ex-colonisateur devient aussitôt suspect en Algérie. Comment obtenir alors la reconnaissance du statut d’écrivain? Comment dépasser les enjeux politiques, idéologiques ?  Parce que ces écrivains sont des écrivains, et des grands! Impossible. Chaque cas est étudié avec précision, chaque stratégie, de défense je dirais, adoptée par ces écrivains est expliquée, éclairée. Cet essai est lumineux! Je citerai le début de l’épilogue page 279 pour conclure: “Nous aurions pu, à travers ces pages, décrire l’expérience des écrivains ivoiriens, marocains, libanais, mais aussi canadiens, suisses, belges et montrer selon quels procédés l’institution littéraire française leur a rappelé que la littérature était une expression nationale. Et que n’appartenant pas à la nation française, ils ne pouvaient appartenir à sa littérature.” Heureusement, si je puis dire, il y a le lecteur et lui, n’appartenant généralement à aucune institution littéraire sait reconnaître les grands écrivains. Merci, madame Harchi, pour ce très bel essai.




Assia Djebar, à Poitiers, vers 1990


 Kamel Daoud, à Montréal, vers 2015

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