lundi 26 janvier 2015

Dieu bénisse l'Amérique, de Mark SaFranko. critique

En janvier 2015, j'ai eu le bonheur de lire ce livre et voici ma critique, que Mark a lue, ainsi que Karine, la traductrice. Les médias sociaux, c'est extraordinaires, quand même.

http://www.aubarfly.com/tim-lobster-a-lu-dieu-benisse-lamerique-de-mark-safranko/

Dieu bénisse l'Amérique, de Mark SaFranKo


Mark SaFranko


Mark SaFranKo, Dieu bénisse l’Amérique, 13e note éditions, Paris, 2012, excellemment traduit de l’anglais (États-Unis) par Karine Lalechère

L’alter ego de l’auteur, Max Zajack nous raconte sa jeunesse dans une famille pauvre d’émigrés polonais, quelque part en Amérique, côte est. Années 50, début 60, la pauvreté ressemble à une malédiction héréditaire. Le père de Max, Jake, enchaîne les petits boulots de crève-la-faim jusqu’à devenir pompier. Si l’on espère une amélioration de la situation familiale, on a tout faux. L’espoir n’est pas de mise. La misère crasse reste la même. Dans une société de classes comme celle des États-Unis d’après-guerre, aucune élévation de quelque sorte n’est possible. Bien au contraire. Jake se sent impuissant contre le sort qui s’acharne sur lui alors comme un rat en cage, il enrage et mord tout ce qui l’approche. Il cherche des coupables car il se dit victime d’un système qui le dépasse. Des coupables? Ce sont les Noirs, les « bamboulas… responsables de tous les maux de la Terre. » En plus d’être raciste, Jake est violent. Max reçoit des raclées environ toutes les dix pages, soit par son paternel, soit par ses camarades de classes prêts à t’estourbir ou à te brûler vif pour un regard de travers, soit par ses institutrices catholique qui répandent l’amour de Dieu à coups de torgnoles et de chicotte, soit par les gangs de rue que Max a le malheur de croiser. Quand ce n’est pas sa mère qui l’assomme en public ou le coiffeur qui lui plante sa paire de ciseaux dans le cou en clamsant raide net devant lui. Max, il n’a pas de chance.
Il grandit dans un monde apocalyptique peuplé de fous (sa mère Bash, l’oncle Henry, dans la rue, les voisins, au travail, les cinglés sont partout), de criminels (ses amis, ses collègues), de pédophiles et de demeurés bouseux (voir la rencontre familiale au Canada chez des éleveurs de porcs dont tous ne sont pas doués de la parole…). Les relations de Max avec les femmes, possible source d’espoir, relèvent du fiasco. Lorsqu’il se fait passer pour un membre du FBI afin de peloter la belle Sandy, la police lui tombe sur le paletot et la Mafia menace de l’éliminer. Les femmes, c’est dangereux.
            Ce livre se dévore comme on assiste en voyeur à une série d’accidents de la route, voire à une longue séance de torture. L’unique bouée de sauvetage est l’humour, seule distance possible entre la vie et le narrateur. Par exemple, lorsque son ami Joey lui explique la mécanique du sexe : « Tu plaçais ta bite à côté de celle de la fille… vous les frottiez l’une contre l’autre et au final, on obtenait un bébé. » Peu avant cette explication, le narrateur avait précisé : « Plus tard, je devais me rendre compte que sa théorie comportait quelques faiblesses. » Faiblesses ou pas, le sexe conduit toujours à la catastrophe.
            Pas besoin d’être sorti de la cuisse de Jupiter pour comprendre que contrairement au titre, Dieu à maudit l’Amérique. Comment poursuivre le bonheur quand le destin du peuple ouvrier est joué d’avance? Le rêve américain, c’est d’éviter de mourir trop vite. Et ce n’est pas joué d’avance. Quand tu ne meurs pas de faim ou de maladies transmises par les souris, les rats, les poux et la vermine, quand tu ne te suicides pas, quand tu survis à divers accidents plus scabreux les uns que les autres, quand on ne t’assomme pas ou quand tu ne te prends pas une balle perdue, le pays a toujours la possibilité de t’envoyer te faire tuer dans le Pacifique ou au Viet-Nam. Et l’avenir, dans tout ça? Max rêve d’une gigantesque explosion nucléaire qui règlerait ses problèmes.
            Dans sa post-face, l’éditeur Zslot Alapi affirme : « Le monde littéraire devrait avoir peur de ce roman… » et il a tout à fait raison car cette fiction secoue profondément le lecteur. Mark SaFranKo fait plus que du vrai et du beau genre Baudelaire, il frappe là où ça fait mal, à l’humain de base. Il torpille à jamais le roman d’apprentissage. La prose de SaFranKo, c’est du Zola désespéré qui a lu Bukowski, Fante et Carver. J’en suis resté estourbi.  


            Alain Raimbault