vendredi 30 décembre 2022

31 décembre 2022, mes 22 coups de cœur de l'année

Excellente année de lecture, comme d’habitude. Voici mes 22 coups de cœur de 2022, sans hiérarchie aucune, tous excellentissimes!!!

«Une somme humaine», de Makenzy Orcel, éd. Rivages
«Les crues», nouvelles de Joanne Rochette, éd. L’instant même
«L’odyssée des oubliés», de Khalil Diallo, éd. Emmanuelle Collas
«Gens du Nord», de Perrine Leblanc, éd. Gallimard
«Bienvenue, Alyson», de J.D. Kurtness, éd. Hannenorak
«Milwaukee Blues», de Louis-Philippe Dalembert, Sabine Wespieser éditeur
«La porte du voyage sans retour», de David Diop, éd. du Seuil
«Black Manoo», de Gauz, éd. Le nouvel Attila
«Friday Black», de Nana Kwame Adjei-Brenyah (Traduit par Stéphane Roques), éd. Albin Michel
«Rue Félix-Faure», de Ken Bugul, éd. Serpent à plumes
«Jouissance» , d’Ali Zamir, éd. Le Tripode
«Les Aquatiques», d’Osvalde Lewat, éd. Les escales
«Coeur du Sahel», de Djaïli Amadou Amal, éd. Emmanuelle Collas
«La pluie ébahie», de Mia Couto, (traduction du portugais (Mozambique) de Elisabeth Monteiro Rodrigues) éd. Chandeigne
«Le cartographe des absences», de Mia Couto (traduction du portugais (Mozambique) de Elisabeth Monteiro Rodrigues), éd. Métailié.
«Harlem Shuffle», de Colson Whitehead, (traduit de l’américain par Charles Recoursé) éd. Albin Michel (il sortira le 5 janvier 2023)
«Supermarché», de José Falero, (traduit du brésilien par Hubert Tézenas) éd. Métailié
«Tous les mots qu’on ne s’est pas dits», de Mabrouck Rachedi, éd. Grasset
«Stardust», de Léonora Miano, éd. Grasset (Lu en pdf, donc pas sur la photo, mais je vais l’acheter)
«La Belle de Casa», de In Koli Jean Bofane, éd. Actes Sud
«Femme du ciel et des tempêtes», de Wilfried N’Sondé, éd. Actes Sud
«Nous ne trahirons pas le poème», de Rodney Saint-Eloi, éd. Points Seuil






«Les Rescapés de l’Éternité», BD de Grégoire Bouchard



Lu:

«Les Rescapés de l’Éternité», BD de Grégoire Bouchard, éd. MOELLE GRAPHIK.

Je m’attendais à une nouvelle et trépidante aventure de Bob Leclerc, ce fut celle de Jim Flash, acteur dans des films de cowboy, puis conducteur de bolides. Le beau Jim vit avec sa vieille maman qui lui prépare toujours de la nourriture infecte. Nous sommes principalement dans les années cinquante, après les fameuses guerres asiates et le génocide martien (voir les deux épisodes précédents de Bob Leclerc que j’ai adorés!). Le lecteur navigue donc entre 1950 revisité et 2059 à Montréal City. Les dessins sont extraordinaires par la précision et l’invention des décors où le vrai, identifiable, se mêle à la fiction. L’histoire, la quête de l’immortalité de Jim Flash est une critique féroce du transhumanisme. À partir de la science ou de la pseudo-science des années 50, l’auteur invente l’homme du futur, prisonnier de sa biologie défaillante (il vieillit), imaginé par divers scientifiques. Jim cherche une voie dans les livres pour vivre 200 ans. Les solutions qu’on lui présente sont extraordinairement délirantes. Elles se font l’écho des discours actuels des techno prophètes des GAFA qui nous promettent aussi l’éternité. Au passage, la morale chrétienne des personnages en prend un coup, et le personnage innocent du début de l’histoire termine enfermé dans un école tenue par des nonnes qui vont le torturer. Cet épisode n’est pas sans rappeler les horreurs commises par le clergé catholique des années 50 au Québec contre les enfants qui leur étaient confiés.

C’est une BD qui se lit, avec des dialogues souvent philosophiques et parfois très drôles malgré leur sérieux. Le contraste entre l’attitude très calme des personnages et les répliques dévastatrices ou définitives, sans nuance qu’ils s'envoient est un pur plaisir. J’aime beaucoup celle-ci. Si vous avez le malheur d’avoir 48 ans, c’est pas de chance! Je cite, page 118: «Tu as 48 ans, Jim. À ton âge, il est normal que l’existence soit triste, dénuée de sens et sans espoir. Tu as atteint cette époque de la vie où l’enchantement s’est évanoui, où les illusions et les rêves ne peuvent plus te leurrer… Tu es déjà, mon fils, sur l’austère chemin du déclin.» Moi je dis: voilà un vrai ami qui ne te cache aucune vérité.

À part la page 233 qui ne m’a pas fait bonne impression, cette BD vaut son pesant d’or! Le monde de Bob Leclerc est un enchantement, à classer au niveau des Cités obscures de Schuiten et Peeters. Rien de moins!



vendredi 9 septembre 2022

«Le cartographe des absences», de Mia Couto

Lu: «Le cartographe des absences», de Mia Couto (traduction du portugais (Mozambique) de Elisabeth Monteiro Rodrigues), éd. Métailié.

Ce roman nous ramène à l’époque de la colonisation portugaise du Mozambique. L’action se passe en partie en 1973, en pleine guerre d’indépendance qui voit s’affronter d’un côté le pouvoir colonial et fasciste portugais, et de l’autre une résistance qui prend différentes formes. Il y est question de massacres, de police d’État, d’occupation armée et de résistance aussi bien des Noirs que de quelques Blancs. Il est aussi question de racisme, de collaboration, d’un mur des fusillés, et de beaucoup d’incompréhension de la part de soldats portugais souvent désorientés.

L’action se déroule sur deux époques qui font écho. D’une part, en mars 2019, le poète Diogo Santiago se rend à Beira, sa ville natale, à la recherche de son enfance et de quelques secrets à percer. De l’autre, en février 1973, Adriano Santiago, père de Diogo et poète également, va à Inhaminga afin de recueillir les preuves d’un massacre perpétré par le pouvoir colonial. Les deux époques se déroulent sous nos yeux et peu à peu, je découvre la profondeur et la complexité des êtres pris dans des situations dramatiques.

Plusieurs enquêtes sont menées en parallèle. Adriano va partir à la recherche de son «neveu» Sandro, incorporé dans l’armée régulière portugaise mais qu’il va fuir. Où est-il passé? Est-il encore vivant? Diogo, lui, cherche à recoller les morceaux de son enfance afin de savoir qui a vraiment fait quoi. Il va être aidé par Liana à la recherche de l’histoire de sa mère miraculeusement sauvée des eaux dans sa jeunesse. Les êtres, à cause de la situation coloniale et de la guerre, ont tous une histoire plus lourde que le monde à porter. Il n’y a que des destins exceptionnels.

Si les deux personnages principaux sont des poètes, l’auteur en est un aussi. Bien souvent, le point de vue des personnages est surprenant, inattendu, original. Face à une situation ordinaire, ils proposent une vision extraordinairement profonde et poétique. C’est le décalage entre ce que le lecteur s’attend à lire et les mots surprenants des personnages qui provoque une émotion soudaine chez le lecteur, un merveilleux plaisir esthétique. C’est un roman bouleversant, vraiment bouleversant et terriblement beau. Il est en ce début septembre sélectionné pour recevoir deux prix littéraires prestigieux, et il ne fait aucun doute à mes yeux qu’un jour prochain, très prochain, l’auteur recevra le Prix Nobel de littérature car il est de cette trempe-là. Mia Couto est un géant! Précipitez-vous vers ce roman, c’est un chef-d'œuvre!

Citation, page 146:

«Un jour, les agents de la police secrète étaient venus chercher la machine à écrire. Ils voulaient vérifier qui était l’auteur de quelques pamphlets subversifs qui circulaient en ville. Les policiers avaient quitté notre maison en portant dans leurs bras cet appareil si suspect. Ils le tenaient à distance de leurs corps, comme s’il pouvait exploser à tout moment. Décoiffé et en maillot de corps, Adriano Santiago avait suivi comme un somnambule le cortège des policiers. Et il était resté ainsi sur la voie publique jusqu’à ce que ma mère le ramène à la maison. Un silence épais s’était abattu sur nous tous. Je n’aurais jamais imaginé qu’une simple machine nous occupe autant. »





vendredi 15 juillet 2022

«La Belle de Casa», de In Koli Jean Bofane

Lu: «La Belle de Casa», de In Koli Jean Bofane, éd. Actes Sud (2018)


Portrait d’un quartier de Casablanca, «que l’on nomme aussi ad-Dar al Bayda’» tout en soleil, tout en chaleur, car comme dans «l’Étranger», le climat est moteur de l’action, par un auteur qui nous fait aimer ses personnages. Et des personnages, il y en a. Cette foule sentimentale commence par mourir, la gorge tranchée dans une ruelle, alors on mène l’enquête, on découvre mille histoires, on pleure le sort de la folle Zahira, sublime en son temps, mère seule de la sublime Ichrak en quête d’un père, hélas, qui n’est pas même un sujet de conversation. C’est Ichrak que l’on retrouve morte au début du roman, on a assassiné la beauté. Avant sa mort, elle a rencontré le Congolais Sese qui, en partance pour Deauville, s’est retrouvé malgré lui à Casa où il a vite réussi à se débrouiller pour survivre, malgré le racisme de certains habitants contre la population noire. Aussi, la langue, la langue. L’auteur emploie des expressions locales, des paroles de chansons de la mythique Oum Kalthoum, quelques références en lingala qui provoquent un dépaysement direct, pas besoin de prendre l’avion, juste ce roman et ton voyage est garanti. Très très beaux portraits de femmes, intrigue policière prenante, personnages au destin sans demi-mesure, ce roman est une explosion de vie, de vérité. Chapeau, l’artiste.

Il se trouve que Ichrak, à la beauté inatteignable, au caractère de fer ne cesse de fantasmer sur ses propres origines à l’écoute de la version audio du roman de Kaoutar Harchi intitulé: «À l’origine notre père obscur». J’ai lu d’elle le splendide essai intitulé «Je n’ai qu’une langue, ce n’est pas la mienne» dans lequel elle retrace… « les carrières de cinq écrivains algériens de langue française (Kateb Yacine, Assia Djebar, Rachid Boudjedra, Kamel Daoud et Boualem Sansal)» (site de l’éditeur). Ne pas hésiter à le lire, il est sublime par son propos et par sa langue, parce que Kaoutar Harchi écrit merveilleusement bien. Ah, il est aussi question d’Assia Djebar dans le roman «marocain» de In Koli Jean Bofane. Donc, voulais-je conclure, je me précipite vers ma bibliothèque, je cherche quelques minutes comme un dératé et trouve l’origine du père obscur. Je savais bien que je l’avais.





mardi 12 juillet 2022

«La pluie ébahie», de Mia Couto

«La pluie ébahie», de Mia Couto, éd. Chandeigne (2014)
Traduction du portugais (Mozambique) d’Elisabeth Monteiro Rodrigues

La quatrième de couverture présente très bien ce court roman, ou ce conte. Plutôt un conte, en fait: «À Senaller (s’en aller), un village dont on ne peut que partir, la pluie ne tombe plus, elle demeure en suspens. Le fleuve est à sec, la sécheresse menace. Le village est-il la proie d’un châtiment divin ou des rejets de l’usine installée à proximité?...»

Mia Couto présente plusieurs personnages, dont le grand-père qui est LE personnage principal selon moi, avec sa mémoire, ses histoires, ses secrets et ses rêves. En quelques pages, 93, tout un monde se déploie, des relations de familles complexes à une crise de couple. Peu de mots, tout un univers! Et l’auteur est surtout un poète. Le quotidien se transforme avec lui en une réalité extraordinaire!

J’ai eu le bonheur de lire le dernier roman de cet auteur qui sortira le 2 septembre chez Métailié(«Le Cartographe des absences»), et j’ai été littéralement soufflé par sa poésie. Oui il va raconter mille histoires, mais en plus il va ouvrir des mondes. Il est extraordinaire. Cela fait des années que je voulais le lire, ce sont des années perdues. Il est fabuleux. Fabuleux! Mia Couto. Quel grand auteur!!!




«Coeur du Sahel», de Djaïli Amadou Amal

«Coeur du Sahel», de Djaïli Amadou Amal, éd. Emmanuelle Collas

Après avoir lu «Les Impatientes» qui est un GRAND livre, très dur, très courageux, je me demandais bien quelle surprise me réservait cette auteure. Bien sûr, comment aurait-il pu en être autrement? je n’ai vraiment pas été déçu. Elle s’intéresse ici au terrible sort des femmes domestiques dans le nord du Cameroun.

Faydé (fille elle-même de domestique violée qui est rentrée au village pour accoucher) quitte donc son village pauvre pour gagner sa vie en ville, et améliorer le quotidien de sa mère et de sa fratrie. Le père a disparu il y a quelques années. Une seule possibilité: devenir domestique dans une famille riche, Peule et musulmane alors qu’elle est pauvre, villageoise, chrétienne et… «non-Peule». Les barrières sociales sont nettes, elle n’appartient pas au monde des gens, des maîtres absolus, qu’elle doit servir docilement.

Encore une fois, Djaïli Amadou Amal sait nous raconter d’une manière limpide et sans ambiguïté aucune la vie des femmes dans le Sahel, leur quotidien, leurs rêves (quand elles rêvent), mais aussi les injustices, le racisme, la violence dont elles sont victimes, sans oublier les menaces et les horreurs commises par les djihadistes de Boko Haram. On suit Faydé et on tremble pour elle à chaque page. Encore une fois, un roman TRÈS fort. 346 pages, lu en deux jours, sans respirer.







«Les Aquatiques», d’Osvalde Lewat


«Les Aquatiques», d’Osvalde Lewat, éd. Les escales

Katmé est bien mariée, très bien mariée, même, au préfet de la ville. Elle vit dans la haute. Ce qui implique de n’être qu’au service de son mari, de ne vivre que pour la réussite de son mari aux ambitions politiques dévorantes. Katmé, avant, avait une vie qu’il a fallu abandonner. Elle avait des amis qui risquent maintenant de faire de l’ombre à son mari. Que faire pour vivre en accord avec soi-même quand tous (amis, relations, famille, religion) vous poussent à rester à votre place d’épouse modèle et à vous taire?

Le roman se passe dans un pays africain fictif, dirigé par un parti politique corrompu jusqu’à la moelle, où chaque individu ne peut sortir de sa position sociale sans craindre de lourdes représailles, et où les juges appliquent une justice «équitable» uniquement quand ils reçoivent des pot-de-vin égaux venant des partis opposés? Les personnages sont tous coincés comme des rats dans un pays sans liberté de parole. Au moindre écart, c’est la déchéance. Malheur aux artistes, comme à Samuel ici, qui cherchent à exprimer librement qui ils sont. Eux aussi doivent servir le pouvoir en place.

Ce roman montre, entre autres, la quête de liberté d’une femme qui essaie de ne pas se compromettre, qui tente de rester fidèle à ses principes dans un pays terriblement fermé. Malheur à elle, malheur aux femmes, malheur aux artistes, malheur aux opposants politiques, malheur aux pauvres, malheur aux incroyants, malheur au peuple. Oui, la situation est désespérée, mais un espoir demeure. Dans ce roman le lecteur se noie à chaque page mais la force avec laquelle Katmé résiste est la bouée de sauvetage. Il se demande à chaque ligne jusqu’où elle va aller.

Une œuvre très ambitieuse, très intelligente, captivante. J’ai aussitôt pensé aux romans d’Hemley Boum ou de Djaïli Amadou Amal. Bref, j’ai adoré.



samedi 9 juillet 2022

John Fante

 John Fante




John Fante working as a busboy at Marcus grille in Los Angeles, 1933.






John Fante in Roseville, 1937


19??




Avec Joyce, années 30



1939






John Fante in Roseville, 1942.






19??


19??





Fante home on South Van Ness in Los Angeles, 1950.



Avec son fils Dan, vers 1950





19?? En famille





John Fante and his pit bull 'Rocco' in Malibu, 1960.








Fante home in Malibu, 1961.




1969



19??






Joyce et John, 1970




John Fante with 'Willie', 1975.






19??






Avec Dan




19??



19??




Voir cette entrevue de JF réalisée par Ben Pleasant le 17 février 1981, publiée là, en 2010:

https://www.3ammagazine.com/3am/flashback-the-john-fante-tapes-five/ 

En fait, il me semble que Ben Pleasant a enregistré ses entrevues sur plusieurs années (tape 1, 2...) , puis en donne ici une version écrite


https://www.babelio.com/auteur/John-Fante/2847/videos     video

samedi 21 mai 2022

«Jouissance» , d’Ali Zamir

Lu : «Jouissance» , d’Ali Zamir, éd. Le Tripode (Magnifique couverture, oeuvres de Lucie Giglio)

Le problème des livres est qu’ils ne parlent pas. Eh bien, pas celui-ci, car il est le narrateur de l’histoire et en plus, il ose révéler des secrets intimes, ce qui cause bien des malheurs aux lectrices et aux lecteurs car toute vérité n’est jamais bonne à lire. Voici un livre d’action, hâbleur, et responsable de son propre (propre, c’est vite dit) destin. Si son début est sensuel, sa fin (complètement surprenante, une véritable épopée policière!) est menée tambour battant, un vrai orage poétique. Un livre qui raconte son lecteur. Vous, moi.

Ce roman est une nouvelle fois une excellente surprise par un auteur que j’admire sans limite, parce qu’il ose, parce qu’il prend des risques et parce que sa plume trempe dans la pure imagination des poètes. Avec Ali Zamir, je me sens à la maison. En plus, il habite un département de mon enfance, chaud, sec, homérique.

«Jouissance», narré du point de vue d’un livre, m'a fait penser à ces œuvres du Nouveau Roman que je trouvais indigestes et dont les auteurs avaient disséqué les structures du récit afin de les mettre en évidence et de jouer avec elles. Le résultat donnait des romans qui me tombaient des mains dès la première page et que je devais lire de force à l’université dans les années 80. Je me souviens que Robbe-Grillet était venu rencontrer les profs de l’université de Poitiers où j’étudiais et que j’avais assisté (oui, j’étais entré dans la salle par curiosité) à l’échange le plus ennuyeux du monde. Les profs jubilent, ils tenaient un Dieu du Nouveau Roman entre leurs griffes. Ils invitent toujours des auteurs publiés aux Éditions de Minuit. Les jeunes auteurs (Jean-Philippe Toussaint, François Bon, Jean Echenoz…) heureusement, sont retournés à la notion de récit et de personnage, et certains avaient même de l’humour. Bref, tout cela pour en arriver à une scène, je crois dans un roman de Duras, où le poisson au milieu de la table décrit un repas. Bon, on pourrait trouver cela comique, mais Duras ne m’a jamais fait rire. « Jouissance » est à mon avis un sacré pied de nez au Nouveau Roman en général, et à Marguerite Duras en particulier. Ce roman franchement réjouissant me soigne de mes anciens tourments néo-romanesques et me montre que l’imagination (et la poésie) est bien au pouvoir chez Le Tripode!

Page 51: «… la bibliothécaire s’est résolue à faire du rangement afin d’éviter de flamboyer sans cesse jusqu’au blanc des yeux, et c’est ce qui m’a permis de mieux comprendre de quoi il retournait, jusqu’alors beaucoup de choses m’échappaient à cause du vacarme de certains verbes froufroutant sur leurs pages dans l’espoir obstiné d’attraper les lecteurs, de devenir des best-sellers, ce jour-là j’ai vu la bibliothécaire s’exiler de mon côté et s’employer à ranger des verbes à l’extrême bas de ma colonne, l’effeuillage de mes camarades pouvait reprendre de plus belle…»





vendredi 22 avril 2022

Hommage à Jacques Soleil



Hommage à Jacques Soleil



Depuis que j’ai rencontré Hilarion Hilarius en 1985, il ne m’a plus quitté. Il est mon compagnon de route. Il mène la lutte vers le soleil des indépendances, vers le soleil de la justice. Hilarion Hilarius a beaucoup voyagé. Il voyage encore dans les consciences éclairées d’un grand soleil rouge triomphant. Je voulais te dire depuis longtemps que tu as réussi la Révolution, cher, très cher Jacques Soleil. La Révolution a réussi. Peut-être pas celle que tu souhaitais pour le peuple en Haïti, ta terre vivante; peut-être pas non plus au niveau du politique, et encore moins de l'économie. Hélas, non. Mais on continue de te lire. On parle de tes romans, de tes articles, de ta poésie, on écrit et on écrira encore longtemps des commentaires sur tes œuvres car tu as ouvert un chemin. Un chemin à la fois esthétique et humain. Tes personnages qui perdent tant dans leurs combats quotidiens contre l’injustice et la pauvreté mettent en évidence, grâce à ta prose si poétique, parfois onirique, souvent réaliste, la grandeur de l’existence humaine. Tu as réussi à changer notre regard sur l’être humain, prisonnier de sa condition économique, et sur l’art du roman. Justement, dans ton article publié dans le deuxième numéro de la revue Présence Africaine publié en 1957, alors que tu demandes « Où va le roman?», tu réponds: « La forme esthétique du roman français par exemple, linéaire, sobre, cartésienne, éclaterait sous l’action de nos héros quotidiens, ne rendrait pas compte de leur vitalité, de leur exubérance, de leur poésie, de leur sens du rythme, du mouvement et de la merveille de l’univers. (...) La forme qui m’attire personnellement est une forme ramifiée, rigoureuse, dans son désordre comme les beaux arbres de nos forêts, chaotique comme la conscience haïtienne contemporaine, contradictoire, poétique, violente, sans que cependant la logique interne de l’histoire ne soit trahie. (...) Notre roman appréhende l’homme dans tout le contexte de la réalité par une sorte d’intuition divinatoire qui est tout le secret du génie nègre.» Plus loin, tu précises: «La forme est pour moi vaudouesque, tambourinaire, chantée et dansée. » Voilà un combat esthétique qui a été gagné, car il a inspiré bien des créateurs, en partant du Spiralisme, en passant le Réel merveilleux latino-américain, par la Créolité et en s’ouvrant sur le Tout-Monde.

Plus d’une fois tu as eu l’intuition de ton destin. Tu as vécu très vite, écrit une œuvre essentielle en seulement quelques années, rencontré les grands de ce monde, participé en 1956 à Paris au (mythique) premier Congrès international des écrivains et artistes noirs. Tu as effectué ton dernier retour au pays natal afin de changer ce dernier radicalement. Tu as mené le combat en intellectuel et en homme de terrain. Et tu es mort bien trop jeune, assassiné, et en véritable héros. Rassure-toi, tu as bien apporté la Révolution en Haïti, et dans la littérature mondiale. Nous avons bien reçu ton message et nous ne cessons de l'écouter. Tu as changé notre vie. Tu as même réussi à nous unir dans cette grande fraternité littéraire qui ne se dit pas toujours, qui se partage comme un secret. Ou qui se chante sur les toits. En cette année de commémorations, accepte l’humble hommage du poète que je suis à un grand d’Haïti. Merci, camarade Soleil.


Alain Raimbault, poète

Greenfield Park, Québec, 18 avril 2022



samedi 5 mars 2022

Honte à Poutine !

 Honte à Poutine !


24 février 2022 

l’armée russe envahit l’Ukraine

parce que le président Poutine l’a décidé

sur un coup de tête

il aurait pu organiser une fête de l’amitié entre

deux peuples frères

échanges culturels

musique symphonique

danses

bonne chère

non

l’armée attaque du sud de l’est du nord

je reste abasourdi

il a osé

ce monstre a osé attaquer un pays en paix

des gens ordinaires 

qui ne voulaient pas de guerre

me reviennent des images de la seconde guerre mondiale

l’avancée des Allemands en 1941

les destructions 

le massacre de Babi Yar

2022 les Russes bombardent les maisons d’Ukraine

afin d’annexer ce pays 

les gens

les enfants

qui meurent

dans les bras des parents survivants

blessés à jamais

qui meurent parce que le président Poutine 

ordonne de tuer des enfants

ce n’est pas possible

ce n’est pas humain

honte à Poutine

honte à ses généraux 

honte aux soldats russes qui obéissent aux ordres

honte aux envahisseurs !

Vive l’Ukraine éternelle! 


Alain Raimbault, le 5 mars 2022, 10e jour de guerre






mercredi 16 février 2022

« Sombre éclat » de Jean-Marie Quéméner

Lu « Sombre éclat » de Jean-Marie Quéméner, éd. Plon

Ce roman nous rappelle que de très nombreuses troupes coloniales ou tirailleurs sénégalais se sont battus pour la France et sont morts dans les tranchées de la première guerre mondiale. Lors de la Bataille de France (1940), de nombreuses troupes coloniales sont mortes, soit au combat, soit assassinées par les Allemands parce qu’elles étaient noires, comme le malheureux Charles Ntchorere, personnage historique et héros malheureux de ce roman. On pensera ici au fantassin de 2e classe Léopold Sédar Senghor qui lui aussi a été fait prisonnier en juin 1940 et qui a failli être fusillé à cause de la couleur de sa peau.

Voir ma chronique complète publiée aujourd'hui ici, pour le journal 20 Minutes

https://www.20minutes.fr/arts-stars/livres/3224231-20220216-sombre-eclat-jean-marie-quemener-guerre-hisse-couleurs-mort 


jeudi 10 février 2022

«Pour tout vous dire», de Joan Didion

Lu: «Pour tout vous dire», de Joan Didion (traduit par Pierre Demarty), éd. Grasset

Le lecteur traverse l’Amérique des années 68 à 2000 sous le regard perçant d’une auteure résolument californienne et lumineuse. Cette suite d’articles publiés dans diverses revues aborde des sujets comme: la presse underground; une réunion de Joueurs Anonymes à Gardena; une visite au château de Xanadu; sa lettre de refus d’entrée à l’université; une visite chez la jolie Nancy Reagan; une réunion d’anciens combattants; la réussite de Martha Stewart… Mille histoires dans un style direct, vrai, percutant, inarrêtable.

Joan Didion évoque les écrivains avec une profonde empathie. Sa lecture, son interrogation sur le style du maître Ernest Hemingway conduit à la compréhension de l’acte d’écrire, du fait de choisir ses mots, et de les voir au final publiés. Elle nous révèle ce que représente un texte publié avec l’accord de l’écrivain, et en opposition elle s’interroge sur la valeur d’une ébauche, d’une correspondance privée, d’un brouillon. Est-ce aussi de la littérature? Peut-on, a-t'on le droit de publier sans l’accord de l’auteur?

L’auteure nous explique pourquoi elle écrit, pourquoi elle se considère plus comme une écrivaine qu’une théoricienne. Elle évoque ses débuts d’écrivaine, son processus créatif, sa difficulté à écrire des nouvelles, et surtout ses doutes quant à la possibilité d’écrire un premier, puis un nouveau roman. «Je n’écris que pour découvrir ce que je pense, ce que je regarde, ce que je vois et ce que ça signifie.» Clair, honnête, direct, précis, et au final très beau.

citation

«Tout ce que je savais à l’époque, c’était de quoi j’étais incapable. Tout ce que je savais à l’époque, c’était ce que je n’étais pas, et il m’a fallu quelques années pour découvrir qui j’étais. C'est-à-dire un écrivain. Je veux dire non pas un «bon» ou un «mauvais» écrivain, mais tout simplement un écrivain, une personne qui passe ses heures de passion et de concentration les plus intenses à disposer des mots sur des bouts de papier.»





https://www.20minutes.fr/arts-stars/livres/3225787-20220210-tout-dire-joan-didion-ecrivait-avant-etre-ecrivain

lundi 31 janvier 2022

«Vers Calais, en Temps ordinaire», de James Meek

Lu: «Vers Calais, en Temps ordinaire», de James Meek (Traduction de David Fauquemberg) Éditions Métailié


L’auteur, grâce à une profusion de détails, nous présente de manière très réaliste l’arrivée de la peste noire dans le sud de l’Angleterre en 1348. Mais plus que cette épidémie et ses ravages, ce sont les descriptions des mœurs de l’époque qui fascinent car les agissements des personnages sont mus par des valeurs oubliées ou inconnues aujourd’hui: amour courtois; fidélité à son maître; supériorité de classe pour la noblesse; quête ou désir de liberté des serfs; hiérarchie religieuse; omniprésence des valeurs chrétiennes dans toutes les sphères de l’existence; peur du Malin.

Il y a toujours une surprise, un étonnement à lire les réactions et les motivations des protagonistes. Je dirais même qu’il y a là une forme de suspens. Chaque question est extraordinaire, et chaque réponse à la fois surprenante et instructive. Aussi, la grande question intime est de savoir à quel point chaque personnage se sent coupable, et est-ce qu’il accèdera finalement au paradis chrétien ?

De plus, la fin de l’époque médiévale présentée est fascinante. L’Angleterre est encore chrétienne catholique et chrétienne (la Réforme protestante n’a pas encore eu lieu). La société est féodale et chacun est le serviteur ou le vassal d’un autre. Les Anglais sont comme d’habitude en guerre contre les Français. Du reste, le récit fragmentaire de la bataille de Crécy deux ans plus tôt à travers les yeux d’un archer anglais est saisissant de vérité. Le lecteur suit les volées de flèches anglaises et constate le massacre des chevaliers français bien peu organisés, très beaux dans le soleil, et très morts le soir.

Aussi, la quête de l’amour vrai et de la liberté de la noble Bernardine fait de celle-ci le personnage le plus courageux, celui qui va le plus changer aux cours de l’histoire. De la jeune fille lectrice passionnée par «Le Roman de la Rose», promise à un mariage arrangé par son père avec un vieux barbon, elle va devenir une femme lucide et bien trop indépendante pour son époque. Enfin, le porcher qui se sent Hab un jour et sa sœur Madlen le lendemain est des plus modernes, des plus révolutionnaires. Il transgresse de manière jubilatoire tous les codes de l’époque.

Et pour conclure, la langue est un véritable feu d’artifice. (Il faut saluer au passage le remarquable travail de traduction de David Fauquemberg). L’auteur ne pastiche pas une langue anglaise médiévale mais invente la sienne, inédite, en tortillant quelque peu la syntaxe, en usant de mots vieillis, en malmenant parfois le latin et en citant des prières. Et parfois des chansons. Juste pour le plaisir des mots, ce livre est un trésor. Dans le Temps ordinaire de la liturgie chrétienne, il se passe en ce voyage épique vers Calais des événements extraordinaires!


Citation très utile en temps de pandémie… (page 343):

« Il y a parmi eux un gaillard, Buisse, celui qui transporte les corps et les met en terre, et que chacun tenait pour un gueux malfaisant. Il fut l’un des premiers infectés, et le voilà de nouveau sain. Nul ne saura jamais ce qui motive les choix du Tout-Puissant. Chacun devrait assister à la messe et prier ses chapelets, allumer des cierges, demeurer sec et frais, boire les simples qu’il faut, répandre de l’eau bénite sur le seuil de sa maison, se garder du vent du sud, mais en dernier ressort, tout repose sur la providence. »


J'ai lu cet excellent roman pour le journal 20 Minutes qui a publié cette critique ce 31 janvier 2022
https://www.20minutes.fr/arts-stars/livres/3208639-20220131-vers-calais-temps-ordinaire-james-meek-sort-peste-noire-manuels-histoire?fbclid=IwAR3ico9EFRYx9W6aDsGGeUwTCwSZsdovLkhm4Nh3nkb2fqR4nS-47VSmFuE 


lundi 24 janvier 2022

«Rue Félix-Faure», de Ken Bugul

Lu: «Rue Félix-Faure», de Ken Bugul, éd. Serpent à plumes, collection l'Ecdysiaste

Le roman commence dans la rue Félix-Faure où le corps d’un gros lépreux découpé en morceaux gît au petit matin. Le roman commence dans la rue Félix-Faure et le soleil refuse de se lever sur ce spectacle, car ce n’est pas un crime, ce corps découpé en morceaux est un spectacle, une histoire à raconter. Après la présentation des habitués de la rue, l’action va se concentrer sur la vie des personnages et le lecteur va découvrir peu à peu de bonnes et terribles raisons pour vouloir découper une masse d’ombres lépreuses en petits morceaux.

Très très beau roman qui dénonce les faux dévots et leurs ravages parmi les croyants, les victimes de bonne volonté, et surtout les femmes. Je me suis laissé emporter par le rythme lent et incantatoire des premières pages pour terminer absolument accroché par les récits. L’enquête policière ne commence que vers la fin du livre, et elle ne dure pas longtemps. Même si nous avons un crime et un ersatz d’enquête, le suspens est bien là. Ce roman met entre autres en évidence les ressorts de la manipulation des femmes par des hommes pervers narcissiques.

J’ai enfin pensé à un excellent roman d’Agatha Christie: «Le Crime de l’Orient Express.»
(Je me suis demandé comment, depuis toutes ces années de lecture, j’avais pu passer à côté d’une auteure de cette qualité. Oh, j’avais bien lu des articles sur ses œuvres, des articles, mais pas ses romans. C’est peut-être parce que ses livres sont hélas difficilement trouvables en librairie.)



samedi 22 janvier 2022

Photographies de Jacques Stephen Alexis (1922-1961)

 Photographies de Jacques Stephen Alexis (1922-1961)


source: consultée le 22 janvier 2022
https://letempslitteraire.com/2020/04/22/lettre-de-jacques-stephen-alexis-a-sa-fille-florence/ 

Jacques, Françoise et Florence Alexis
Source : archives familiales du fonds Jacques Stephen Alexis






11 janvier 1946 : Jacques Stephen Alexis, Georges Beaufils, Gérald Bloncourt, Théodore Baker et Gérard Chenet (source : Île en Île).




Jacques-Stephen Alexis en 1961
D.R. © photo des archives de Gérald Bloncourt



Portrait du romancier Jacques Stéphen Alexis à Port-au-Prince (Haïti) en 1945
Florence Alexis - Travail personnel



Photo : @CIDHICA





Photo : @CIDHICA ???





Collection CIDIHCA - Jacques Stephen Alexis (1960) : "retour de Moscou et arrivée à La Havane avant de débarquer en Haïti'




source de la photo inconnue






Alexis avec Mao Tsé-toung à Pékin en 1961
D.R. © photo des archives de Gérald Bloncourt



7 décembre 1945
(Photo de Jacques Stephen Alexis, sur le site de Michel Séonnet)





" Gérald Bloncourt, Jacques Stephen Alexis , and René Depestre, with friends. In Unité, vol. 2, no. 9"
(Au centre Gérald Bloncourt, à sa droite Jacques S. Alexis, et à sa gauche René Depestre, il me semble) 





Aimé Césaire, Jacques Stephen Alexis et Richard Wright, lors du 1er congrès des écrivains et artistes noirs, tenu à Paris en Sorbonne du 19 au 22 septembre 1956.
Source de la photo : https://balistrad.com/hommage-a-jacques-stephen-alexis.../ 




Il me semble qu'il est assis à gauche de Senghor (3e à partir de la droite, de profil) 
Premier Congrès des écrivains et artistes noirs, tenu à la Sorbonne, en septembre 1956.
Source de la photo : Cidihca Montreal 




Opening Ceremony in the Amphithéâtre Descartes, Jacques Rabemananjara, Richard Wright, Alioune Diop (standing), Dr. Jean Price-Mars, Paul Hazoume, Aime Cesaire, Emile Saint-Lot, Jacques Alexis, Paris, 1956, Roger-Viollet Collection
cf. http://dubois-paris2006.fas.harvard.edu/biographies_fr...