lundi 31 janvier 2022

«Vers Calais, en Temps ordinaire», de James Meek

Lu: «Vers Calais, en Temps ordinaire», de James Meek (Traduction de David Fauquemberg) Éditions Métailié


L’auteur, grâce à une profusion de détails, nous présente de manière très réaliste l’arrivée de la peste noire dans le sud de l’Angleterre en 1348. Mais plus que cette épidémie et ses ravages, ce sont les descriptions des mœurs de l’époque qui fascinent car les agissements des personnages sont mus par des valeurs oubliées ou inconnues aujourd’hui: amour courtois; fidélité à son maître; supériorité de classe pour la noblesse; quête ou désir de liberté des serfs; hiérarchie religieuse; omniprésence des valeurs chrétiennes dans toutes les sphères de l’existence; peur du Malin.

Il y a toujours une surprise, un étonnement à lire les réactions et les motivations des protagonistes. Je dirais même qu’il y a là une forme de suspens. Chaque question est extraordinaire, et chaque réponse à la fois surprenante et instructive. Aussi, la grande question intime est de savoir à quel point chaque personnage se sent coupable, et est-ce qu’il accèdera finalement au paradis chrétien ?

De plus, la fin de l’époque médiévale présentée est fascinante. L’Angleterre est encore chrétienne catholique et chrétienne (la Réforme protestante n’a pas encore eu lieu). La société est féodale et chacun est le serviteur ou le vassal d’un autre. Les Anglais sont comme d’habitude en guerre contre les Français. Du reste, le récit fragmentaire de la bataille de Crécy deux ans plus tôt à travers les yeux d’un archer anglais est saisissant de vérité. Le lecteur suit les volées de flèches anglaises et constate le massacre des chevaliers français bien peu organisés, très beaux dans le soleil, et très morts le soir.

Aussi, la quête de l’amour vrai et de la liberté de la noble Bernardine fait de celle-ci le personnage le plus courageux, celui qui va le plus changer aux cours de l’histoire. De la jeune fille lectrice passionnée par «Le Roman de la Rose», promise à un mariage arrangé par son père avec un vieux barbon, elle va devenir une femme lucide et bien trop indépendante pour son époque. Enfin, le porcher qui se sent Hab un jour et sa sœur Madlen le lendemain est des plus modernes, des plus révolutionnaires. Il transgresse de manière jubilatoire tous les codes de l’époque.

Et pour conclure, la langue est un véritable feu d’artifice. (Il faut saluer au passage le remarquable travail de traduction de David Fauquemberg). L’auteur ne pastiche pas une langue anglaise médiévale mais invente la sienne, inédite, en tortillant quelque peu la syntaxe, en usant de mots vieillis, en malmenant parfois le latin et en citant des prières. Et parfois des chansons. Juste pour le plaisir des mots, ce livre est un trésor. Dans le Temps ordinaire de la liturgie chrétienne, il se passe en ce voyage épique vers Calais des événements extraordinaires!


Citation très utile en temps de pandémie… (page 343):

« Il y a parmi eux un gaillard, Buisse, celui qui transporte les corps et les met en terre, et que chacun tenait pour un gueux malfaisant. Il fut l’un des premiers infectés, et le voilà de nouveau sain. Nul ne saura jamais ce qui motive les choix du Tout-Puissant. Chacun devrait assister à la messe et prier ses chapelets, allumer des cierges, demeurer sec et frais, boire les simples qu’il faut, répandre de l’eau bénite sur le seuil de sa maison, se garder du vent du sud, mais en dernier ressort, tout repose sur la providence. »


J'ai lu cet excellent roman pour le journal 20 Minutes qui a publié cette critique ce 31 janvier 2022
https://www.20minutes.fr/arts-stars/livres/3208639-20220131-vers-calais-temps-ordinaire-james-meek-sort-peste-noire-manuels-histoire?fbclid=IwAR3ico9EFRYx9W6aDsGGeUwTCwSZsdovLkhm4Nh3nkb2fqR4nS-47VSmFuE 


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