samedi 21 mai 2022

«Jouissance» , d’Ali Zamir

Lu : «Jouissance» , d’Ali Zamir, éd. Le Tripode (Magnifique couverture, oeuvres de Lucie Giglio)

Le problème des livres est qu’ils ne parlent pas. Eh bien, pas celui-ci, car il est le narrateur de l’histoire et en plus, il ose révéler des secrets intimes, ce qui cause bien des malheurs aux lectrices et aux lecteurs car toute vérité n’est jamais bonne à lire. Voici un livre d’action, hâbleur, et responsable de son propre (propre, c’est vite dit) destin. Si son début est sensuel, sa fin (complètement surprenante, une véritable épopée policière!) est menée tambour battant, un vrai orage poétique. Un livre qui raconte son lecteur. Vous, moi.

Ce roman est une nouvelle fois une excellente surprise par un auteur que j’admire sans limite, parce qu’il ose, parce qu’il prend des risques et parce que sa plume trempe dans la pure imagination des poètes. Avec Ali Zamir, je me sens à la maison. En plus, il habite un département de mon enfance, chaud, sec, homérique.

«Jouissance», narré du point de vue d’un livre, m'a fait penser à ces œuvres du Nouveau Roman que je trouvais indigestes et dont les auteurs avaient disséqué les structures du récit afin de les mettre en évidence et de jouer avec elles. Le résultat donnait des romans qui me tombaient des mains dès la première page et que je devais lire de force à l’université dans les années 80. Je me souviens que Robbe-Grillet était venu rencontrer les profs de l’université de Poitiers où j’étudiais et que j’avais assisté (oui, j’étais entré dans la salle par curiosité) à l’échange le plus ennuyeux du monde. Les profs jubilent, ils tenaient un Dieu du Nouveau Roman entre leurs griffes. Ils invitent toujours des auteurs publiés aux Éditions de Minuit. Les jeunes auteurs (Jean-Philippe Toussaint, François Bon, Jean Echenoz…) heureusement, sont retournés à la notion de récit et de personnage, et certains avaient même de l’humour. Bref, tout cela pour en arriver à une scène, je crois dans un roman de Duras, où le poisson au milieu de la table décrit un repas. Bon, on pourrait trouver cela comique, mais Duras ne m’a jamais fait rire. « Jouissance » est à mon avis un sacré pied de nez au Nouveau Roman en général, et à Marguerite Duras en particulier. Ce roman franchement réjouissant me soigne de mes anciens tourments néo-romanesques et me montre que l’imagination (et la poésie) est bien au pouvoir chez Le Tripode!

Page 51: «… la bibliothécaire s’est résolue à faire du rangement afin d’éviter de flamboyer sans cesse jusqu’au blanc des yeux, et c’est ce qui m’a permis de mieux comprendre de quoi il retournait, jusqu’alors beaucoup de choses m’échappaient à cause du vacarme de certains verbes froufroutant sur leurs pages dans l’espoir obstiné d’attraper les lecteurs, de devenir des best-sellers, ce jour-là j’ai vu la bibliothécaire s’exiler de mon côté et s’employer à ranger des verbes à l’extrême bas de ma colonne, l’effeuillage de mes camarades pouvait reprendre de plus belle…»