vendredi 9 septembre 2022

«Le cartographe des absences», de Mia Couto

Lu: «Le cartographe des absences», de Mia Couto (traduction du portugais (Mozambique) de Elisabeth Monteiro Rodrigues), éd. Métailié.

Ce roman nous ramène à l’époque de la colonisation portugaise du Mozambique. L’action se passe en partie en 1973, en pleine guerre d’indépendance qui voit s’affronter d’un côté le pouvoir colonial et fasciste portugais, et de l’autre une résistance qui prend différentes formes. Il y est question de massacres, de police d’État, d’occupation armée et de résistance aussi bien des Noirs que de quelques Blancs. Il est aussi question de racisme, de collaboration, d’un mur des fusillés, et de beaucoup d’incompréhension de la part de soldats portugais souvent désorientés.

L’action se déroule sur deux époques qui font écho. D’une part, en mars 2019, le poète Diogo Santiago se rend à Beira, sa ville natale, à la recherche de son enfance et de quelques secrets à percer. De l’autre, en février 1973, Adriano Santiago, père de Diogo et poète également, va à Inhaminga afin de recueillir les preuves d’un massacre perpétré par le pouvoir colonial. Les deux époques se déroulent sous nos yeux et peu à peu, je découvre la profondeur et la complexité des êtres pris dans des situations dramatiques.

Plusieurs enquêtes sont menées en parallèle. Adriano va partir à la recherche de son «neveu» Sandro, incorporé dans l’armée régulière portugaise mais qu’il va fuir. Où est-il passé? Est-il encore vivant? Diogo, lui, cherche à recoller les morceaux de son enfance afin de savoir qui a vraiment fait quoi. Il va être aidé par Liana à la recherche de l’histoire de sa mère miraculeusement sauvée des eaux dans sa jeunesse. Les êtres, à cause de la situation coloniale et de la guerre, ont tous une histoire plus lourde que le monde à porter. Il n’y a que des destins exceptionnels.

Si les deux personnages principaux sont des poètes, l’auteur en est un aussi. Bien souvent, le point de vue des personnages est surprenant, inattendu, original. Face à une situation ordinaire, ils proposent une vision extraordinairement profonde et poétique. C’est le décalage entre ce que le lecteur s’attend à lire et les mots surprenants des personnages qui provoque une émotion soudaine chez le lecteur, un merveilleux plaisir esthétique. C’est un roman bouleversant, vraiment bouleversant et terriblement beau. Il est en ce début septembre sélectionné pour recevoir deux prix littéraires prestigieux, et il ne fait aucun doute à mes yeux qu’un jour prochain, très prochain, l’auteur recevra le Prix Nobel de littérature car il est de cette trempe-là. Mia Couto est un géant! Précipitez-vous vers ce roman, c’est un chef-d'œuvre!

Citation, page 146:

«Un jour, les agents de la police secrète étaient venus chercher la machine à écrire. Ils voulaient vérifier qui était l’auteur de quelques pamphlets subversifs qui circulaient en ville. Les policiers avaient quitté notre maison en portant dans leurs bras cet appareil si suspect. Ils le tenaient à distance de leurs corps, comme s’il pouvait exploser à tout moment. Décoiffé et en maillot de corps, Adriano Santiago avait suivi comme un somnambule le cortège des policiers. Et il était resté ainsi sur la voie publique jusqu’à ce que ma mère le ramène à la maison. Un silence épais s’était abattu sur nous tous. Je n’aurais jamais imaginé qu’une simple machine nous occupe autant. »