vendredi 22 avril 2022

Hommage à Jacques Soleil



Hommage à Jacques Soleil



Depuis que j’ai rencontré Hilarion Hilarius en 1985, il ne m’a plus quitté. Il est mon compagnon de route. Il mène la lutte vers le soleil des indépendances, vers le soleil de la justice. Hilarion Hilarius a beaucoup voyagé. Il voyage encore dans les consciences éclairées d’un grand soleil rouge triomphant. Je voulais te dire depuis longtemps que tu as réussi la Révolution, cher, très cher Jacques Soleil. La Révolution a réussi. Peut-être pas celle que tu souhaitais pour le peuple en Haïti, ta terre vivante; peut-être pas non plus au niveau du politique, et encore moins de l'économie. Hélas, non. Mais on continue de te lire. On parle de tes romans, de tes articles, de ta poésie, on écrit et on écrira encore longtemps des commentaires sur tes œuvres car tu as ouvert un chemin. Un chemin à la fois esthétique et humain. Tes personnages qui perdent tant dans leurs combats quotidiens contre l’injustice et la pauvreté mettent en évidence, grâce à ta prose si poétique, parfois onirique, souvent réaliste, la grandeur de l’existence humaine. Tu as réussi à changer notre regard sur l’être humain, prisonnier de sa condition économique, et sur l’art du roman. Justement, dans ton article publié dans le deuxième numéro de la revue Présence Africaine publié en 1957, alors que tu demandes « Où va le roman?», tu réponds: « La forme esthétique du roman français par exemple, linéaire, sobre, cartésienne, éclaterait sous l’action de nos héros quotidiens, ne rendrait pas compte de leur vitalité, de leur exubérance, de leur poésie, de leur sens du rythme, du mouvement et de la merveille de l’univers. (...) La forme qui m’attire personnellement est une forme ramifiée, rigoureuse, dans son désordre comme les beaux arbres de nos forêts, chaotique comme la conscience haïtienne contemporaine, contradictoire, poétique, violente, sans que cependant la logique interne de l’histoire ne soit trahie. (...) Notre roman appréhende l’homme dans tout le contexte de la réalité par une sorte d’intuition divinatoire qui est tout le secret du génie nègre.» Plus loin, tu précises: «La forme est pour moi vaudouesque, tambourinaire, chantée et dansée. » Voilà un combat esthétique qui a été gagné, car il a inspiré bien des créateurs, en partant du Spiralisme, en passant le Réel merveilleux latino-américain, par la Créolité et en s’ouvrant sur le Tout-Monde.

Plus d’une fois tu as eu l’intuition de ton destin. Tu as vécu très vite, écrit une œuvre essentielle en seulement quelques années, rencontré les grands de ce monde, participé en 1956 à Paris au (mythique) premier Congrès international des écrivains et artistes noirs. Tu as effectué ton dernier retour au pays natal afin de changer ce dernier radicalement. Tu as mené le combat en intellectuel et en homme de terrain. Et tu es mort bien trop jeune, assassiné, et en véritable héros. Rassure-toi, tu as bien apporté la Révolution en Haïti, et dans la littérature mondiale. Nous avons bien reçu ton message et nous ne cessons de l'écouter. Tu as changé notre vie. Tu as même réussi à nous unir dans cette grande fraternité littéraire qui ne se dit pas toujours, qui se partage comme un secret. Ou qui se chante sur les toits. En cette année de commémorations, accepte l’humble hommage du poète que je suis à un grand d’Haïti. Merci, camarade Soleil.


Alain Raimbault, poète

Greenfield Park, Québec, 18 avril 2022