mardi 27 février 2018

Sönke Neitzel & Harald Welzer, Soldats. Combattre, tuer, mourir

Sönke Neitzel & Harald Welzer, Soldats. Combattre, tuer, mourir :

procès-verbaux de récits de soldats allemands,

Paris, Gallimard, 2013, coll. NRF essais, 619 p.

Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni.


Les auteurs ont mis la main sur des sources nouvelles pour étudier la Seconde guerre mondiale: les rapports d'écoutes réalisés secrètement par les services secrets anglais et américains sur des prisonniers de guerre allemands de la Wehrmacht et de la Waffen-SS dans des camps de prisonniers, ou camps d'écoutes, en Angleterre et aux États-Unis.

Les prisonniers parlent librement de leur vécu militaire, et les renseignements analysés dans cet essai passionnant  sont... consternants. Le lecteur découvre l'univers mental, le cadre de référence de ces guerriers, leur mentalité, et les constatations qui en découlent nous renseignent sur cette guerre, nous expliquent, nous éclairent, donnent un début de sens à tant de crimes insensés. Grâce à ce livre, pour la première fois je commence à comprendre ce qui a bien pu se passer entre 1939 et 1945.

Comme l'écrit Valérie Dubslaff (1): "  Pour l’individu, le glissement du monde civil au « monde des soldats » (p. 59), intransigeant et cruel, s’opère par le déplacement des « cadres de référence » (définis dans les chapitres 1 et 2) qui conditionnent les perceptions, les interprétations et les actions des combattants. " En effet, tout est là: le soldat se retrouve dans une situation de guerre, il ne voit que sa situation particulière et non le contexte général. Il agit en toute bonne foi, en bon ouvrier, et c'est le groupe auquel il appartient qui donne un sens à ses actions dont il n'a jamais honte, dont il ne se sent jamais coupable car le contexte d'extrême violence justifie ses actions. Le soldat agit conformément au groupe, conformément aux attentes du groupe, il veut sauver sa peau et souvent tue pour venger ses camarades assassinés par l'ennemi. Enfants, femmes, civils, Juifs, Noirs, Bolchéviques, partisans, soldats, tout le monde doit être tué sans nuance. La violence est toujours justifiée au niveau de l'action au sein du groupe. La perception (d'un fait réel ou imaginaire) entraîne une conséquence bien réelle et  d'une extrême violence. Un fait surprenant est que le discours national-socialiste avait peu d'emprise sur les soldats, bien souvent non-politisés. C'est le contexte de la guerre qui engendrait les massacres et non la volonté individuelle d'appliquer ce programme politique. Certes, le soldats gardaient une haute opinion de Hitler en qui ils croyaient malgré la guerre qui tournait de plus en plus mal pour eux mais dans leur vaste majorité, ils n'étaient pas des fanatiques prêts à se suicider pour les idées de leur  Führer.
Pour ce qui concerne la Shoah, ce n'est pour les soldats qu'un aspect parmi tant d'autres de cette guerre violente, et l'extermination des Juifs, avec laquelle ils sont d'accord, ne revêt pas de caractère particulier, exceptionnel ou amoral. Non. Comme les nazis ont créé, ont inventé un groupe à dévaloriser, responsable de tous les maux de la Terre, les Juifs, alors par opposition le groupe ethnique des Allemands non-juifs est valorisé, privilégié, renforcé, légitime dans sa volonté d'imposer par la force sa domination. La Wehrmacht a participé à l'extermination des Juifs et les soldats qui ont participé à ces massacres l'ont fait dans le cadre des opérations de guerre et non dans un but unique, ciblé, à part. Ils ont tué des Juifs parce qu'ils en ont reçu l'ordre, parce qu'ils sont souvent antisémites, parce que leur groupe participe à la tuerie, parce qu'on leur a dit que les Juifs sont de dangereux ennemis, parce que cela fait partie du travail de la guerre. Pas une seconde ils ne pensent que c'est mal de tuer des innocents. Si les Juifs sont morts, c'est la preuve qu'ils étaient coupables. La logique n'est pas du tout la même pour un soldat dans une unité de combat en temps de guerre qu'en temps de paix. Pour ce qui concerne la Waffen-SS, elle agit presque exactement comme les soldats de la Wehrmacht, mais commet plus de massacres de civils.

Cet essai est effrayant! Il révèle qu'en très peu de temps, à peine quelques années et à l'échelle d'une Nation, des humains on dira normaux, des ouvriers, des intellectuels peuvent se transformer en monstres sans nom! C'est effrayant! Les mécanismes de manipulation d'un peuple mis en place sont tellement simples et tellement efficaces que cela est profondément désespérant.

Très bel essai, très clair, très pédagogique, éclairant. À lire pour celles et ceux qui veulent comprendre pourquoi et comment la seconde guerre mondiale fut si mortelle.

(1)
Valérie Dubslaff, « Sönke Neit, zel & Harald Welzer, Soldats. Combattre, tuer, mourir : procès-verbaux de récits de soldats allemands », Clio. Femmes, Genre, Histoire [En ligne], 39 | 2014, mis en ligne le 01 juin 2014, consulté le 27 février 2018. URL : http://journals.openedition.org/clio/11976


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire