samedi 15 septembre 2018

Photo des élèves de mon école en 1971-1972 à Félines-Minervois


Publié le  / Mis à jour le 


https://www.midilibre.fr/2012/04/22/felines-minervois-souvenirs-pour-la-classe-71-72,489981.php 

En cette année 1971, la rentrée scolaire est le 14 septembre, ce sera la dernière année ou le jour d'interruption des classes est le jeudi, le ministre de l'éducation est Olivier Guichard, sous la présidence de Mr Georges Pompidou. Félines, village viticole et industriel avec les établissements Mathieu, compte 530 habitants, Jean Louvière est maire, le commerce et l'artisanat local sont en plein essor, la population active travaille durement, la vie au village est paisible, calme et tranquille.

Pour la scolarité des enfants félinois, de l'année 1961 aux années 80 Mme Corbière assure la garderie des petits jusqu'à 4 ans, dans l'actuelle bibliothèque. Pour le primaire deux enseignantes se partagent l'effectif des élèves, Mme Chabbert, institutrice à la retraite en 1990, enseigne les 5/7 ans dans le bâtiment actuel côté route et Mme Julien, institutrice et directrice, aujourd'hui décédée, prépare les 8/10 ans au passage vers le collège, sa classe est côté rue. Les deux cours sont séparées d'une barrière de ciment, mais un accès permet d'aller jouer d'une à l'autre. Deux voyages annuels sont organisés, « le petit » pour les élèves et « le grand » en fin d'année, auquel les parents peuvent participer, permet de visiter des lieux plus éloigner,  les familles ne voyagent pas comme aujourd'hui. Les enfants correspondent avec l'école de Cologne, dans le Gers, avec laquelle échanges et rencontres sont organisés.

Chaque année le photographe fait le cliché des élèves scolarisés, sur celui de 71/72, soit une trentaine, la moitié réside et travaille sur le village ou les villages voisins Hérault ou Aude. Les plus grands, sur la photo, ont ou vont faire cinquante ans et tous pourront se souvenir des années scolaires passées sur les bancs de l'école communale de Félines-Minervois.

Photo :
Rang du haut : Maria Escobar, Sylvie Borrèda, Claude Muret, Marie-Josée Colin, Dominique Baillot, Rémy Millies, Jean Lignières, Philippe Lignières, Philippe Chabbert, Jean-François Escande, Pascale Escande.
Rang du milieu : Christophe Fontrouge, Jean-Luc Marty, Alain Vaissière, Alain Baillot, Sylvie Chabbert, Bruno Durand, Anne Fraisse, Serge rieussec, Barbara Baillot, Eric Berdeil.
Rang du bas :
Félix Saffon, Jean -Marc Colin, Joséphine Escobar, Christophe Berrux, Gilbert Colin, Jean-Luc Millies, Laurent Marty, Ghyslaine Roux, Gilles Salles.

Remerciements à la Mairie de Félines-Minervois et à Mme Chabbert pour les renseignements.

FELINES-MINERVOIS Souvenirs pour la classe 71/72
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6 avril 2021:

Lettre à Madame Chabbert, ma maîtresse à l’école communale de Félines-Minervois (34) au milieu des vignes, début des années soixante-dix. 


Très chère madame Chabbert,

J’ai souvent, souvent pensé à vous ces cinquante dernières années. Vous allez comprendre pourquoi.


Lorsque je suis arrivé dans votre classe, vous enseigniez trois niveaux en même temps: CP, CE1, CE2. Dans le mien, celui des petits, nous étions 3: Gilbert, Jean-Luc et moi, si je me souviens bien. Les grands, me semble-t-il, étaient Félix, Jean-Marc et Christophe. Je sais que nous étions ensemble.

Pour commencer à apprendre à écrire, à bien former nos lettres, vous nous aviez fourni une plume, un encrier et un buvard. Comme dans le passé. Comme dans les films en noir et blanc. Vous savez, je n’ai jamais réussi à écrire avec ça. Je mettais de l’encre partout et je faisais des trous dans mon cahier. Mes lettres ressemblaient à des lacs. L’encre, c’est incontrôlable. Après quelques jours ou quelques semaines, vous nous aviez offert un stylo bille! Ôh joie! Objet magique. Plus de taches. Mais c’était trop tard. Ma graphie ressemblera toujours à celle d’un cochon. Je ne vous en veux pas. Mon grand-père agriculteur disait que j’étais aussi habile de mes mains qu’une chèvre de sa queue. Pour ce qui est du dessin des lettres, je n’étais donc pas doué. Et puis, vous m’avez appris à écrire des mots, des phrases, et à lire. Chaque fois que je lis un texte ou que j’écris une phrase, c’est grâce à vous. C’est vous, madame Chabbert, qui m’avez ouvert les portes du monde, qui m’avez appris à lire et à écrire. Ce n’est pas rien dans une vie. Ma mère disait: «Quand Alain a appris à lire, il a été sauvé.» Ma mère avait raison. Quand on sait lire, on dispose d’une arme infiniment puissante, d’une potion magique pour se défendre. 

En CE1 ou CE2, nous avons reçu un manuel de français. Je me souviens encore de deux textes: l’histoire d’un enfant qui boit du jus d’orange et qui fait la grimace parce qu’il n’a pas mis de sucre dedans. Et l’autre, celle d’un bateau qui fabrique du sel, qui coule et qui est donc à l’origine du sel dans les océans. L’école, c’était facile pour moi. Pendant que je formais mes lacs d’encre ou mes pattes de mouches hyperactives, j’écoutais vos leçons pour les plus grands. Et quand je devins grand, quand j’eus six et sept ans, je savais déjà. Nous faisions des compositions de cinq lignes. Nous devions inventer des histoires. Aucun problème pour moi. Inventer des histoires, c’était dans mes cordes. Et vous m’encouragiez sans cesse. De tous les trois élèves de mon niveau, sans me vanter, j’étais le meilleur. Quand je suis passé dans la classe de madame Julien qui enseignait les CM1 et CM2, j’étais prêt. 

Je n’ai jamais cessé d’écrire vos compositions. Je suis devenu écrivain. Aujourd’hui j’ai publié trente et un livres au Canada (au Québec, en Ontario et au Nouveau-Brunswick). J’ai aussi publié des nouvelles et de la poésie dans de nombreuses revues et, bref, j’écris. Avec vos mots. Avec votre syntaxe. Avec votre conjugaison. Ce que je mets sur le papier, ce que lisent mes lectrices et mes lecteurs, au Québec où je vis et un peu partout dans le monde, ça vient de vous. Je tenais à vous le dire.

Mais ce n’est pas fini.

Je suis aussi devenu enseignant. D’abord parce que j’adore l’école. Je me sens bien à l’école. Quand je rentre dans une école, je pousse un soupir de soulagement. Enfin, voici ma vraie maison. Et vous savez d’où me vient ce sentiment? De vous, bien sûr. Quand on aime l’école, c’est petit. Le sentiment reste. Vous n’imaginerez jamais l’impact positif que vous avez eu sur moi.

Au début de ma carrière d’enseignant, à Bressuire (79), vous allez rire, lorsque j’écrivais une phrase au tableau, les élèves me demandaient: 

  • Monsieur, c’est quel mot, là?

Je demandais:

  • Comment ça, quel mot?

  • Le premier...

Mon écriture de cochon me posa bien des soucis. En terminant l’école secondaire, j’écrivais mal. Après des années de prises de notes en accéléré à l’université, j’étais devenu illisible. Un trait entre deux voyelles en forme de i signifiait deux consonnes identiques, mais lesquelles? Ou une suite aléatoire de voyelles. Le sens général de ma phrase illisible devait donner le sens du mot illisible. J’ai donc dû apprendre à former mes lettres au tableau, lentement. Je pense que mes élèves devaient penser que j’avais un problème psychomoteur. Ou une lésion cérébrale qui m’empêchait de bouger la main droite normalement. Quand j’oubliais de former mes lettres, la question tombait comme un couperet:

  • Monsieur, c’est quel mot, le premier. Et… le deuxième aussi.

Et puis on inventa l’ordinateur, le traitement de texte et le projecteur. Plus besoin d’écrire au tableau, ou si peu. Tu appuies sur une touche, la lettre est miraculeusement formée! 

Voilà, très chère madame Chabbert, je ne suis pas Camus mais je vais terminer avec ces mots qu’il écrivait à son instituteur Monsieur Germain peu après avoir reçu le Prix Nobel de Littérature:


 «…(vous dire ce que) vous avez été, et êtes toujours pour moi, et …  vous assurer que vos efforts, votre travail et le cœur généreux que vous y mettiez sont toujours vivants chez un de vos petits écoliers qui, malgré l’âge, n’a pas cessé d’être votre reconnaissant élève.

Je vous embrasse, de toutes mes forces.»

Alain Raimbault



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