vendredi 15 juillet 2022

«La Belle de Casa», de In Koli Jean Bofane

Lu: «La Belle de Casa», de In Koli Jean Bofane, éd. Actes Sud (2018)


Portrait d’un quartier de Casablanca, «que l’on nomme aussi ad-Dar al Bayda’» tout en soleil, tout en chaleur, car comme dans «l’Étranger», le climat est moteur de l’action, par un auteur qui nous fait aimer ses personnages. Et des personnages, il y en a. Cette foule sentimentale commence par mourir, la gorge tranchée dans une ruelle, alors on mène l’enquête, on découvre mille histoires, on pleure le sort de la folle Zahira, sublime en son temps, mère seule de la sublime Ichrak en quête d’un père, hélas, qui n’est pas même un sujet de conversation. C’est Ichrak que l’on retrouve morte au début du roman, on a assassiné la beauté. Avant sa mort, elle a rencontré le Congolais Sese qui, en partance pour Deauville, s’est retrouvé malgré lui à Casa où il a vite réussi à se débrouiller pour survivre, malgré le racisme de certains habitants contre la population noire. Aussi, la langue, la langue. L’auteur emploie des expressions locales, des paroles de chansons de la mythique Oum Kalthoum, quelques références en lingala qui provoquent un dépaysement direct, pas besoin de prendre l’avion, juste ce roman et ton voyage est garanti. Très très beaux portraits de femmes, intrigue policière prenante, personnages au destin sans demi-mesure, ce roman est une explosion de vie, de vérité. Chapeau, l’artiste.

Il se trouve que Ichrak, à la beauté inatteignable, au caractère de fer ne cesse de fantasmer sur ses propres origines à l’écoute de la version audio du roman de Kaoutar Harchi intitulé: «À l’origine notre père obscur». J’ai lu d’elle le splendide essai intitulé «Je n’ai qu’une langue, ce n’est pas la mienne» dans lequel elle retrace… « les carrières de cinq écrivains algériens de langue française (Kateb Yacine, Assia Djebar, Rachid Boudjedra, Kamel Daoud et Boualem Sansal)» (site de l’éditeur). Ne pas hésiter à le lire, il est sublime par son propos et par sa langue, parce que Kaoutar Harchi écrit merveilleusement bien. Ah, il est aussi question d’Assia Djebar dans le roman «marocain» de In Koli Jean Bofane. Donc, voulais-je conclure, je me précipite vers ma bibliothèque, je cherche quelques minutes comme un dératé et trouve l’origine du père obscur. Je savais bien que je l’avais.





mardi 12 juillet 2022

«La pluie ébahie», de Mia Couto

«La pluie ébahie», de Mia Couto, éd. Chandeigne (2014)
Traduction du portugais (Mozambique) d’Elisabeth Monteiro Rodrigues

La quatrième de couverture présente très bien ce court roman, ou ce conte. Plutôt un conte, en fait: «À Senaller (s’en aller), un village dont on ne peut que partir, la pluie ne tombe plus, elle demeure en suspens. Le fleuve est à sec, la sécheresse menace. Le village est-il la proie d’un châtiment divin ou des rejets de l’usine installée à proximité?...»

Mia Couto présente plusieurs personnages, dont le grand-père qui est LE personnage principal selon moi, avec sa mémoire, ses histoires, ses secrets et ses rêves. En quelques pages, 93, tout un monde se déploie, des relations de familles complexes à une crise de couple. Peu de mots, tout un univers! Et l’auteur est surtout un poète. Le quotidien se transforme avec lui en une réalité extraordinaire!

J’ai eu le bonheur de lire le dernier roman de cet auteur qui sortira le 2 septembre chez Métailié(«Le Cartographe des absences»), et j’ai été littéralement soufflé par sa poésie. Oui il va raconter mille histoires, mais en plus il va ouvrir des mondes. Il est extraordinaire. Cela fait des années que je voulais le lire, ce sont des années perdues. Il est fabuleux. Fabuleux! Mia Couto. Quel grand auteur!!!




«Coeur du Sahel», de Djaïli Amadou Amal

«Coeur du Sahel», de Djaïli Amadou Amal, éd. Emmanuelle Collas

Après avoir lu «Les Impatientes» qui est un GRAND livre, très dur, très courageux, je me demandais bien quelle surprise me réservait cette auteure. Bien sûr, comment aurait-il pu en être autrement? je n’ai vraiment pas été déçu. Elle s’intéresse ici au terrible sort des femmes domestiques dans le nord du Cameroun.

Faydé (fille elle-même de domestique violée qui est rentrée au village pour accoucher) quitte donc son village pauvre pour gagner sa vie en ville, et améliorer le quotidien de sa mère et de sa fratrie. Le père a disparu il y a quelques années. Une seule possibilité: devenir domestique dans une famille riche, Peule et musulmane alors qu’elle est pauvre, villageoise, chrétienne et… «non-Peule». Les barrières sociales sont nettes, elle n’appartient pas au monde des gens, des maîtres absolus, qu’elle doit servir docilement.

Encore une fois, Djaïli Amadou Amal sait nous raconter d’une manière limpide et sans ambiguïté aucune la vie des femmes dans le Sahel, leur quotidien, leurs rêves (quand elles rêvent), mais aussi les injustices, le racisme, la violence dont elles sont victimes, sans oublier les menaces et les horreurs commises par les djihadistes de Boko Haram. On suit Faydé et on tremble pour elle à chaque page. Encore une fois, un roman TRÈS fort. 346 pages, lu en deux jours, sans respirer.







«Les Aquatiques», d’Osvalde Lewat


«Les Aquatiques», d’Osvalde Lewat, éd. Les escales

Katmé est bien mariée, très bien mariée, même, au préfet de la ville. Elle vit dans la haute. Ce qui implique de n’être qu’au service de son mari, de ne vivre que pour la réussite de son mari aux ambitions politiques dévorantes. Katmé, avant, avait une vie qu’il a fallu abandonner. Elle avait des amis qui risquent maintenant de faire de l’ombre à son mari. Que faire pour vivre en accord avec soi-même quand tous (amis, relations, famille, religion) vous poussent à rester à votre place d’épouse modèle et à vous taire?

Le roman se passe dans un pays africain fictif, dirigé par un parti politique corrompu jusqu’à la moelle, où chaque individu ne peut sortir de sa position sociale sans craindre de lourdes représailles, et où les juges appliquent une justice «équitable» uniquement quand ils reçoivent des pot-de-vin égaux venant des partis opposés? Les personnages sont tous coincés comme des rats dans un pays sans liberté de parole. Au moindre écart, c’est la déchéance. Malheur aux artistes, comme à Samuel ici, qui cherchent à exprimer librement qui ils sont. Eux aussi doivent servir le pouvoir en place.

Ce roman montre, entre autres, la quête de liberté d’une femme qui essaie de ne pas se compromettre, qui tente de rester fidèle à ses principes dans un pays terriblement fermé. Malheur à elle, malheur aux femmes, malheur aux artistes, malheur aux opposants politiques, malheur aux pauvres, malheur aux incroyants, malheur au peuple. Oui, la situation est désespérée, mais un espoir demeure. Dans ce roman le lecteur se noie à chaque page mais la force avec laquelle Katmé résiste est la bouée de sauvetage. Il se demande à chaque ligne jusqu’où elle va aller.

Une œuvre très ambitieuse, très intelligente, captivante. J’ai aussitôt pensé aux romans d’Hemley Boum ou de Djaïli Amadou Amal. Bref, j’ai adoré.



samedi 9 juillet 2022

John Fante

 John Fante




John Fante working as a busboy at Marcus grille in Los Angeles, 1933.






John Fante in Roseville, 1937


19??




Avec Joyce, années 30



1939






John Fante in Roseville, 1942.






19??


19??





Fante home on South Van Ness in Los Angeles, 1950.



Avec son fils Dan, vers 1950





19?? En famille





John Fante and his pit bull 'Rocco' in Malibu, 1960.








Fante home in Malibu, 1961.




1969



19??






Joyce et John, 1970




John Fante with 'Willie', 1975.






19??






Avec Dan




19??



19??




Voir cette entrevue de JF réalisée par Ben Pleasant le 17 février 1981, publiée là, en 2010:

https://www.3ammagazine.com/3am/flashback-the-john-fante-tapes-five/ 

En fait, il me semble que Ben Pleasant a enregistré ses entrevues sur plusieurs années (tape 1, 2...) , puis en donne ici une version écrite


https://www.babelio.com/auteur/John-Fante/2847/videos     video

samedi 21 mai 2022

«Jouissance» , d’Ali Zamir

Lu : «Jouissance» , d’Ali Zamir, éd. Le Tripode (Magnifique couverture, oeuvres de Lucie Giglio)

Le problème des livres est qu’ils ne parlent pas. Eh bien, pas celui-ci, car il est le narrateur de l’histoire et en plus, il ose révéler des secrets intimes, ce qui cause bien des malheurs aux lectrices et aux lecteurs car toute vérité n’est jamais bonne à lire. Voici un livre d’action, hâbleur, et responsable de son propre (propre, c’est vite dit) destin. Si son début est sensuel, sa fin (complètement surprenante, une véritable épopée policière!) est menée tambour battant, un vrai orage poétique. Un livre qui raconte son lecteur. Vous, moi.

Ce roman est une nouvelle fois une excellente surprise par un auteur que j’admire sans limite, parce qu’il ose, parce qu’il prend des risques et parce que sa plume trempe dans la pure imagination des poètes. Avec Ali Zamir, je me sens à la maison. En plus, il habite un département de mon enfance, chaud, sec, homérique.

«Jouissance», narré du point de vue d’un livre, m'a fait penser à ces œuvres du Nouveau Roman que je trouvais indigestes et dont les auteurs avaient disséqué les structures du récit afin de les mettre en évidence et de jouer avec elles. Le résultat donnait des romans qui me tombaient des mains dès la première page et que je devais lire de force à l’université dans les années 80. Je me souviens que Robbe-Grillet était venu rencontrer les profs de l’université de Poitiers où j’étudiais et que j’avais assisté (oui, j’étais entré dans la salle par curiosité) à l’échange le plus ennuyeux du monde. Les profs jubilent, ils tenaient un Dieu du Nouveau Roman entre leurs griffes. Ils invitent toujours des auteurs publiés aux Éditions de Minuit. Les jeunes auteurs (Jean-Philippe Toussaint, François Bon, Jean Echenoz…) heureusement, sont retournés à la notion de récit et de personnage, et certains avaient même de l’humour. Bref, tout cela pour en arriver à une scène, je crois dans un roman de Duras, où le poisson au milieu de la table décrit un repas. Bon, on pourrait trouver cela comique, mais Duras ne m’a jamais fait rire. « Jouissance » est à mon avis un sacré pied de nez au Nouveau Roman en général, et à Marguerite Duras en particulier. Ce roman franchement réjouissant me soigne de mes anciens tourments néo-romanesques et me montre que l’imagination (et la poésie) est bien au pouvoir chez Le Tripode!

Page 51: «… la bibliothécaire s’est résolue à faire du rangement afin d’éviter de flamboyer sans cesse jusqu’au blanc des yeux, et c’est ce qui m’a permis de mieux comprendre de quoi il retournait, jusqu’alors beaucoup de choses m’échappaient à cause du vacarme de certains verbes froufroutant sur leurs pages dans l’espoir obstiné d’attraper les lecteurs, de devenir des best-sellers, ce jour-là j’ai vu la bibliothécaire s’exiler de mon côté et s’employer à ranger des verbes à l’extrême bas de ma colonne, l’effeuillage de mes camarades pouvait reprendre de plus belle…»





vendredi 22 avril 2022

Hommage à Jacques Soleil



Hommage à Jacques Soleil



Depuis que j’ai rencontré Hilarion Hilarius en 1985, il ne m’a plus quitté. Il est mon compagnon de route. Il mène la lutte vers le soleil des indépendances, vers le soleil de la justice. Hilarion Hilarius a beaucoup voyagé. Il voyage encore dans les consciences éclairées d’un grand soleil rouge triomphant. Je voulais te dire depuis longtemps que tu as réussi la Révolution, cher, très cher Jacques Soleil. La Révolution a réussi. Peut-être pas celle que tu souhaitais pour le peuple en Haïti, ta terre vivante; peut-être pas non plus au niveau du politique, et encore moins de l'économie. Hélas, non. Mais on continue de te lire. On parle de tes romans, de tes articles, de ta poésie, on écrit et on écrira encore longtemps des commentaires sur tes œuvres car tu as ouvert un chemin. Un chemin à la fois esthétique et humain. Tes personnages qui perdent tant dans leurs combats quotidiens contre l’injustice et la pauvreté mettent en évidence, grâce à ta prose si poétique, parfois onirique, souvent réaliste, la grandeur de l’existence humaine. Tu as réussi à changer notre regard sur l’être humain, prisonnier de sa condition économique, et sur l’art du roman. Justement, dans ton article publié dans le deuxième numéro de la revue Présence Africaine publié en 1957, alors que tu demandes « Où va le roman?», tu réponds: « La forme esthétique du roman français par exemple, linéaire, sobre, cartésienne, éclaterait sous l’action de nos héros quotidiens, ne rendrait pas compte de leur vitalité, de leur exubérance, de leur poésie, de leur sens du rythme, du mouvement et de la merveille de l’univers. (...) La forme qui m’attire personnellement est une forme ramifiée, rigoureuse, dans son désordre comme les beaux arbres de nos forêts, chaotique comme la conscience haïtienne contemporaine, contradictoire, poétique, violente, sans que cependant la logique interne de l’histoire ne soit trahie. (...) Notre roman appréhende l’homme dans tout le contexte de la réalité par une sorte d’intuition divinatoire qui est tout le secret du génie nègre.» Plus loin, tu précises: «La forme est pour moi vaudouesque, tambourinaire, chantée et dansée. » Voilà un combat esthétique qui a été gagné, car il a inspiré bien des créateurs, en partant du Spiralisme, en passant le Réel merveilleux latino-américain, par la Créolité et en s’ouvrant sur le Tout-Monde.

Plus d’une fois tu as eu l’intuition de ton destin. Tu as vécu très vite, écrit une œuvre essentielle en seulement quelques années, rencontré les grands de ce monde, participé en 1956 à Paris au (mythique) premier Congrès international des écrivains et artistes noirs. Tu as effectué ton dernier retour au pays natal afin de changer ce dernier radicalement. Tu as mené le combat en intellectuel et en homme de terrain. Et tu es mort bien trop jeune, assassiné, et en véritable héros. Rassure-toi, tu as bien apporté la Révolution en Haïti, et dans la littérature mondiale. Nous avons bien reçu ton message et nous ne cessons de l'écouter. Tu as changé notre vie. Tu as même réussi à nous unir dans cette grande fraternité littéraire qui ne se dit pas toujours, qui se partage comme un secret. Ou qui se chante sur les toits. En cette année de commémorations, accepte l’humble hommage du poète que je suis à un grand d’Haïti. Merci, camarade Soleil.


Alain Raimbault, poète

Greenfield Park, Québec, 18 avril 2022