vendredi 30 décembre 2022

«Les Rescapés de l’Éternité», BD de Grégoire Bouchard



Lu:

«Les Rescapés de l’Éternité», BD de Grégoire Bouchard, éd. MOELLE GRAPHIK.

Je m’attendais à une nouvelle et trépidante aventure de Bob Leclerc, ce fut celle de Jim Flash, acteur dans des films de cowboy, puis conducteur de bolides. Le beau Jim vit avec sa vieille maman qui lui prépare toujours de la nourriture infecte. Nous sommes principalement dans les années cinquante, après les fameuses guerres asiates et le génocide martien (voir les deux épisodes précédents de Bob Leclerc que j’ai adorés!). Le lecteur navigue donc entre 1950 revisité et 2059 à Montréal City. Les dessins sont extraordinaires par la précision et l’invention des décors où le vrai, identifiable, se mêle à la fiction. L’histoire, la quête de l’immortalité de Jim Flash est une critique féroce du transhumanisme. À partir de la science ou de la pseudo-science des années 50, l’auteur invente l’homme du futur, prisonnier de sa biologie défaillante (il vieillit), imaginé par divers scientifiques. Jim cherche une voie dans les livres pour vivre 200 ans. Les solutions qu’on lui présente sont extraordinairement délirantes. Elles se font l’écho des discours actuels des techno prophètes des GAFA qui nous promettent aussi l’éternité. Au passage, la morale chrétienne des personnages en prend un coup, et le personnage innocent du début de l’histoire termine enfermé dans un école tenue par des nonnes qui vont le torturer. Cet épisode n’est pas sans rappeler les horreurs commises par le clergé catholique des années 50 au Québec contre les enfants qui leur étaient confiés.

C’est une BD qui se lit, avec des dialogues souvent philosophiques et parfois très drôles malgré leur sérieux. Le contraste entre l’attitude très calme des personnages et les répliques dévastatrices ou définitives, sans nuance qu’ils s'envoient est un pur plaisir. J’aime beaucoup celle-ci. Si vous avez le malheur d’avoir 48 ans, c’est pas de chance! Je cite, page 118: «Tu as 48 ans, Jim. À ton âge, il est normal que l’existence soit triste, dénuée de sens et sans espoir. Tu as atteint cette époque de la vie où l’enchantement s’est évanoui, où les illusions et les rêves ne peuvent plus te leurrer… Tu es déjà, mon fils, sur l’austère chemin du déclin.» Moi je dis: voilà un vrai ami qui ne te cache aucune vérité.

À part la page 233 qui ne m’a pas fait bonne impression, cette BD vaut son pesant d’or! Le monde de Bob Leclerc est un enchantement, à classer au niveau des Cités obscures de Schuiten et Peeters. Rien de moins!



vendredi 9 septembre 2022

«Le cartographe des absences», de Mia Couto

Lu: «Le cartographe des absences», de Mia Couto (traduction du portugais (Mozambique) de Elisabeth Monteiro Rodrigues), éd. Métailié.

Ce roman nous ramène à l’époque de la colonisation portugaise du Mozambique. L’action se passe en partie en 1973, en pleine guerre d’indépendance qui voit s’affronter d’un côté le pouvoir colonial et fasciste portugais, et de l’autre une résistance qui prend différentes formes. Il y est question de massacres, de police d’État, d’occupation armée et de résistance aussi bien des Noirs que de quelques Blancs. Il est aussi question de racisme, de collaboration, d’un mur des fusillés, et de beaucoup d’incompréhension de la part de soldats portugais souvent désorientés.

L’action se déroule sur deux époques qui font écho. D’une part, en mars 2019, le poète Diogo Santiago se rend à Beira, sa ville natale, à la recherche de son enfance et de quelques secrets à percer. De l’autre, en février 1973, Adriano Santiago, père de Diogo et poète également, va à Inhaminga afin de recueillir les preuves d’un massacre perpétré par le pouvoir colonial. Les deux époques se déroulent sous nos yeux et peu à peu, je découvre la profondeur et la complexité des êtres pris dans des situations dramatiques.

Plusieurs enquêtes sont menées en parallèle. Adriano va partir à la recherche de son «neveu» Sandro, incorporé dans l’armée régulière portugaise mais qu’il va fuir. Où est-il passé? Est-il encore vivant? Diogo, lui, cherche à recoller les morceaux de son enfance afin de savoir qui a vraiment fait quoi. Il va être aidé par Liana à la recherche de l’histoire de sa mère miraculeusement sauvée des eaux dans sa jeunesse. Les êtres, à cause de la situation coloniale et de la guerre, ont tous une histoire plus lourde que le monde à porter. Il n’y a que des destins exceptionnels.

Si les deux personnages principaux sont des poètes, l’auteur en est un aussi. Bien souvent, le point de vue des personnages est surprenant, inattendu, original. Face à une situation ordinaire, ils proposent une vision extraordinairement profonde et poétique. C’est le décalage entre ce que le lecteur s’attend à lire et les mots surprenants des personnages qui provoque une émotion soudaine chez le lecteur, un merveilleux plaisir esthétique. C’est un roman bouleversant, vraiment bouleversant et terriblement beau. Il est en ce début septembre sélectionné pour recevoir deux prix littéraires prestigieux, et il ne fait aucun doute à mes yeux qu’un jour prochain, très prochain, l’auteur recevra le Prix Nobel de littérature car il est de cette trempe-là. Mia Couto est un géant! Précipitez-vous vers ce roman, c’est un chef-d'œuvre!

Citation, page 146:

«Un jour, les agents de la police secrète étaient venus chercher la machine à écrire. Ils voulaient vérifier qui était l’auteur de quelques pamphlets subversifs qui circulaient en ville. Les policiers avaient quitté notre maison en portant dans leurs bras cet appareil si suspect. Ils le tenaient à distance de leurs corps, comme s’il pouvait exploser à tout moment. Décoiffé et en maillot de corps, Adriano Santiago avait suivi comme un somnambule le cortège des policiers. Et il était resté ainsi sur la voie publique jusqu’à ce que ma mère le ramène à la maison. Un silence épais s’était abattu sur nous tous. Je n’aurais jamais imaginé qu’une simple machine nous occupe autant. »





vendredi 15 juillet 2022

«La Belle de Casa», de In Koli Jean Bofane

Lu: «La Belle de Casa», de In Koli Jean Bofane, éd. Actes Sud (2018)


Portrait d’un quartier de Casablanca, «que l’on nomme aussi ad-Dar al Bayda’» tout en soleil, tout en chaleur, car comme dans «l’Étranger», le climat est moteur de l’action, par un auteur qui nous fait aimer ses personnages. Et des personnages, il y en a. Cette foule sentimentale commence par mourir, la gorge tranchée dans une ruelle, alors on mène l’enquête, on découvre mille histoires, on pleure le sort de la folle Zahira, sublime en son temps, mère seule de la sublime Ichrak en quête d’un père, hélas, qui n’est pas même un sujet de conversation. C’est Ichrak que l’on retrouve morte au début du roman, on a assassiné la beauté. Avant sa mort, elle a rencontré le Congolais Sese qui, en partance pour Deauville, s’est retrouvé malgré lui à Casa où il a vite réussi à se débrouiller pour survivre, malgré le racisme de certains habitants contre la population noire. Aussi, la langue, la langue. L’auteur emploie des expressions locales, des paroles de chansons de la mythique Oum Kalthoum, quelques références en lingala qui provoquent un dépaysement direct, pas besoin de prendre l’avion, juste ce roman et ton voyage est garanti. Très très beaux portraits de femmes, intrigue policière prenante, personnages au destin sans demi-mesure, ce roman est une explosion de vie, de vérité. Chapeau, l’artiste.

Il se trouve que Ichrak, à la beauté inatteignable, au caractère de fer ne cesse de fantasmer sur ses propres origines à l’écoute de la version audio du roman de Kaoutar Harchi intitulé: «À l’origine notre père obscur». J’ai lu d’elle le splendide essai intitulé «Je n’ai qu’une langue, ce n’est pas la mienne» dans lequel elle retrace… « les carrières de cinq écrivains algériens de langue française (Kateb Yacine, Assia Djebar, Rachid Boudjedra, Kamel Daoud et Boualem Sansal)» (site de l’éditeur). Ne pas hésiter à le lire, il est sublime par son propos et par sa langue, parce que Kaoutar Harchi écrit merveilleusement bien. Ah, il est aussi question d’Assia Djebar dans le roman «marocain» de In Koli Jean Bofane. Donc, voulais-je conclure, je me précipite vers ma bibliothèque, je cherche quelques minutes comme un dératé et trouve l’origine du père obscur. Je savais bien que je l’avais.





mardi 12 juillet 2022

«La pluie ébahie», de Mia Couto

«La pluie ébahie», de Mia Couto, éd. Chandeigne (2014)
Traduction du portugais (Mozambique) d’Elisabeth Monteiro Rodrigues

La quatrième de couverture présente très bien ce court roman, ou ce conte. Plutôt un conte, en fait: «À Senaller (s’en aller), un village dont on ne peut que partir, la pluie ne tombe plus, elle demeure en suspens. Le fleuve est à sec, la sécheresse menace. Le village est-il la proie d’un châtiment divin ou des rejets de l’usine installée à proximité?...»

Mia Couto présente plusieurs personnages, dont le grand-père qui est LE personnage principal selon moi, avec sa mémoire, ses histoires, ses secrets et ses rêves. En quelques pages, 93, tout un monde se déploie, des relations de familles complexes à une crise de couple. Peu de mots, tout un univers! Et l’auteur est surtout un poète. Le quotidien se transforme avec lui en une réalité extraordinaire!

J’ai eu le bonheur de lire le dernier roman de cet auteur qui sortira le 2 septembre chez Métailié(«Le Cartographe des absences»), et j’ai été littéralement soufflé par sa poésie. Oui il va raconter mille histoires, mais en plus il va ouvrir des mondes. Il est extraordinaire. Cela fait des années que je voulais le lire, ce sont des années perdues. Il est fabuleux. Fabuleux! Mia Couto. Quel grand auteur!!!




«Coeur du Sahel», de Djaïli Amadou Amal

«Coeur du Sahel», de Djaïli Amadou Amal, éd. Emmanuelle Collas

Après avoir lu «Les Impatientes» qui est un GRAND livre, très dur, très courageux, je me demandais bien quelle surprise me réservait cette auteure. Bien sûr, comment aurait-il pu en être autrement? je n’ai vraiment pas été déçu. Elle s’intéresse ici au terrible sort des femmes domestiques dans le nord du Cameroun.

Faydé (fille elle-même de domestique violée qui est rentrée au village pour accoucher) quitte donc son village pauvre pour gagner sa vie en ville, et améliorer le quotidien de sa mère et de sa fratrie. Le père a disparu il y a quelques années. Une seule possibilité: devenir domestique dans une famille riche, Peule et musulmane alors qu’elle est pauvre, villageoise, chrétienne et… «non-Peule». Les barrières sociales sont nettes, elle n’appartient pas au monde des gens, des maîtres absolus, qu’elle doit servir docilement.

Encore une fois, Djaïli Amadou Amal sait nous raconter d’une manière limpide et sans ambiguïté aucune la vie des femmes dans le Sahel, leur quotidien, leurs rêves (quand elles rêvent), mais aussi les injustices, le racisme, la violence dont elles sont victimes, sans oublier les menaces et les horreurs commises par les djihadistes de Boko Haram. On suit Faydé et on tremble pour elle à chaque page. Encore une fois, un roman TRÈS fort. 346 pages, lu en deux jours, sans respirer.







«Les Aquatiques», d’Osvalde Lewat


«Les Aquatiques», d’Osvalde Lewat, éd. Les escales

Katmé est bien mariée, très bien mariée, même, au préfet de la ville. Elle vit dans la haute. Ce qui implique de n’être qu’au service de son mari, de ne vivre que pour la réussite de son mari aux ambitions politiques dévorantes. Katmé, avant, avait une vie qu’il a fallu abandonner. Elle avait des amis qui risquent maintenant de faire de l’ombre à son mari. Que faire pour vivre en accord avec soi-même quand tous (amis, relations, famille, religion) vous poussent à rester à votre place d’épouse modèle et à vous taire?

Le roman se passe dans un pays africain fictif, dirigé par un parti politique corrompu jusqu’à la moelle, où chaque individu ne peut sortir de sa position sociale sans craindre de lourdes représailles, et où les juges appliquent une justice «équitable» uniquement quand ils reçoivent des pot-de-vin égaux venant des partis opposés? Les personnages sont tous coincés comme des rats dans un pays sans liberté de parole. Au moindre écart, c’est la déchéance. Malheur aux artistes, comme à Samuel ici, qui cherchent à exprimer librement qui ils sont. Eux aussi doivent servir le pouvoir en place.

Ce roman montre, entre autres, la quête de liberté d’une femme qui essaie de ne pas se compromettre, qui tente de rester fidèle à ses principes dans un pays terriblement fermé. Malheur à elle, malheur aux femmes, malheur aux artistes, malheur aux opposants politiques, malheur aux pauvres, malheur aux incroyants, malheur au peuple. Oui, la situation est désespérée, mais un espoir demeure. Dans ce roman le lecteur se noie à chaque page mais la force avec laquelle Katmé résiste est la bouée de sauvetage. Il se demande à chaque ligne jusqu’où elle va aller.

Une œuvre très ambitieuse, très intelligente, captivante. J’ai aussitôt pensé aux romans d’Hemley Boum ou de Djaïli Amadou Amal. Bref, j’ai adoré.



samedi 9 juillet 2022

John Fante

 John Fante




John Fante working as a busboy at Marcus grille in Los Angeles, 1933.






John Fante in Roseville, 1937


19??




Avec Joyce, années 30



1939






John Fante in Roseville, 1942.






19??


19??





Fante home on South Van Ness in Los Angeles, 1950.



Avec son fils Dan, vers 1950





19?? En famille





John Fante and his pit bull 'Rocco' in Malibu, 1960.








Fante home in Malibu, 1961.




1969



19??






Joyce et John, 1970




John Fante with 'Willie', 1975.






19??






Avec Dan




19??



19??




Voir cette entrevue de JF réalisée par Ben Pleasant le 17 février 1981, publiée là, en 2010:

https://www.3ammagazine.com/3am/flashback-the-john-fante-tapes-five/ 

En fait, il me semble que Ben Pleasant a enregistré ses entrevues sur plusieurs années (tape 1, 2...) , puis en donne ici une version écrite


https://www.babelio.com/auteur/John-Fante/2847/videos     video