samedi 24 avril 2021

J'ai dix ans (1er juillet 2021)



J’ai dix ans…


J’ai dix ans au Québec aujourd’hui. Lorsque j’ai passé la frontière entre le Nouveau-Brunswick et le Québec en ce vendredi 1er juillet 2011, j’écoutais la voix de Stanley Péan qui animait une émission de Jazz à la radio de Radio Canada. Je me suis dit que c’était de très bonne augure, arriver au Québec accompagné de la voix d’un écrivain. Je conduisais un camion de déménagement U-Hall. J’ai passé la nuit chez les parents de mon ami et collègue Régis, à Rivière-du-Loup, et je suis arrivé à Greenfield Park le 2 juillet vers midi. Très belle journée. Grand soleil. La radio racontait la visite du duc William et de son épouse la duchesse Kate à Montréal, où ils ont été applaudis et hués. L’avantage de venir au Québec en camion U-Hall, c’est que personne ne va te huer, un conseil amical que je donne à la famille royale d’Angleterre lors de sa prochaine visite. Ah, le chauffeur n’est pas fourni. Et puis il faut payer de sa poche, avec l’argent que tu as gagné en travaillant. (Je me souviens d’une banderole parmi les manifestants: Willian, paie ton voyage!) Bref.


Je suis là, devant mon logement, à Greenfield Park. J’attends les clefs. J’attends que Sandra arrive avec les enfants. Je me demande bien ce que l’avenir va nous réserver. Je n’ai plus de travail, je n’ai pas encore mes documents légaux pour enseigner dans cette province et il faut dire que je ne sais rien faire en particulier.


L’avenir, c’est deux mois de recherche d’emploi, le sentiment chaque matin de sombrer dans le vide, puis un poste d’enseignant d’histoire dans une école privée musulmane, un poste d’enseignant de français et de sciences humaines dans une école publique de Pointe-Claire, l’obtention de mon brevet d’enseignement en mars 2012 et à partir de cet instant, mon insertion normale dans le système d’enseignement public du Québec. J’ai galéré 9 mois avant de retrouver un poste stable dans l’Éducation.


Quand tu viens d'une autre province ou d’un autre pays, il faut savoir que tu arrives en pays étranger. Tu dois refaire tes papiers et souvent repasser des examens afin de t'insérer dans la société. Après 13 ans passés en Nouvelle-Écosse, parfaitement installé dans mes chaussons de Canadien, je suis redevenu un étranger le 1er juillet 2011. J’ai cherché du travail au milieu des nouveaux (et des moins nouveaux) émigrants latinos, syriens, africains. Mais moi, j’avais un avantage. Je venais de France, le français est ma langue maternelle, je possédais aussi un diplôme canadien (obtenu à l’Université Sainte-Anne, en Nouvelle-Écosse) et j’avais une expérience de travail au Canada. Je n’ai attendu que 9 mois avant de rentrer dans le rang, mais j’ai rencontré des Mexicains, des Salvadoriens, des Costaricains, des Cubains, des Roumains et des Algériens plus diplômés, bien plus brillants que moi et qui, des années après leur installation au Québec, n’avaient toujours pas retrouvé l’emploi qu’ils exerçaient dans leur pays d’origine.


En dix ans, les enfants ont grandi, c’est souvent en les regardant que l’on prend la juste mesure du temps qui passe, n’est-ce pas? J’ai obtenu un poste permanent dans une école publique québécoise, j’ai rencontré de nouveaux collègues. Après avoir enseigné en France, en Nouvelle-Écosse et au Québec, j’en tire une conclusion bien simple: tous les enseignants se ressemblent, et un élève reste un élève. J’ai eu beau changer de lieu, je n’ai pas changé de vie.


J’ai aussi continué à publier des livres, je me suis rapproché de mes éditeurs, de mes lecteurs, un peu, on ne connaît jamais ses lecteurs (contrairement à eux qui disposent d’un avantage certain sur vous: votre livre!) J’ai aussi pu rencontrer des écrivains que j’admire et en découvrir des dizaines. Et j’ai voyagé. Le Québec, ce n’est pas un pays, c’est un continent. C’est immensément grand, diversifié, riche en cultures et les paysages (Gaspésie, Côte Nord, Nunavik, entre autres) sont extraordinaires. Y a juste le climat. Faut aimer l’hiver. Si tu aimes, c’est le paradis, sinon, ça pique.


Et les Québécois? Je ne peux pas en parler car je ne les connais pas tous personnellement. Je peux dire qu’ils sont nord-américains dans leur façon d’envisager l’espace et la consommation. Faut pas chercher l’Europe en eux. Quoique de nombreux Européens comme moi sont québécois aussi alors oublions les généralités. Un Québécois, c’est tant de cultures. Exemple: le merveilleux Stanley Péan (que j’ai fini par rencontrer en vrai!)


L’avenir? Normalement, sans tirer des plans sur la comète, les enfants vont grandir, je vais continuer d’enseigner quelques années, d’écrire et de lire des livres (ça ne se voit pas mais je mène une vie passionnante, pas besoin de bouger pour exploser de l’intérieur) et de voyager un peu. Pour tout programme, je vais essayer de rester honnête. Ça devrait me garder sur la route.

2012, Robert Soulières réunit comme d'habitude ses auteurs en automne:



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