mercredi 28 avril 2021

«Le livre du souvenir», du poète Tahar Bekri

Lu: «Le livre du souvenir», du poète Tahar Bekri, éd. Elyzad, coll. poche.

Ces souvenirs se présentent sous forme de journal. Le poète se remémore des rencontres d’écrivains auxquelles il a eu le bonheur de participer ici et là entre 1985 et 2015. France, Tunisie, Italie, Sicile, Mali, Québec, Angleterre, Espagne, Danemark, Turquie, États-Unis, Mexique, Portugal... le poète voyage et reste très attentif aux villes, aux paysages. La rencontre est avant tout humaine, chaleureuse, intellectuelle, artistique, et le lieu a son mot à dire. Un passage épique pour moi est la visite nocturne de Montréal dans la voiture d’un Gaston Miron très expansif et peu attentif à la route. Dans ces souvenirs, Tahar Bekri se présente comme un être profondément humaniste, ouvert à l’autre, à la rencontre, à ce que Édouard Glissant aurait nommé le Relation. Il dénonce les replis identitaires, la petitesse d’esprit, l’écrivain au service de la propagande, la violence de ce monde qui devient fou. Il oppose justement le dialogue en réponse à la violence. Et il nomme ces écrivains qui sont menacés de mort, il pleure ceux qui sont assassinés par des extrémistes de toutes engeances. Il écrit (page 230) «Les poètes n’ont pas le choix. Leur parole doit se dresser contre la barbarie.»

Les écrivains, les voyageurs, les poètes arabes et musulmans passés et présents habitent les lieux qu’il traverse. Abou al-Arab Assiqilli; Taoufik al-Hakim; Rifaat at-Tahtawi; Aboulkacem Chebbi; Al-Idrissi; Mohamed al-Fitouri; Antara ibn Chaddad; Ibn al-Muqaffa; Ibn Hazm; Al-Hallaj au terrible destin!... Et puis les autres, et non des moindres: Borges, Fouad Laroui, Ibrahim al-Koni, Nicole Brossard, Sony Labou Tansi, le controversé Peter Handke (comment a-t-il pu assister aux funérailles du génocidaire Milosevic?), Naguib Mahfouz, Jorge Amado, Hervé Guibert qui se meurt du SIDA, Marina Tsvetaeva exilée en France, un peu comme en écho à son propre exil. Très belle promenade littéraire intérieure.

Et puis il y a la mer, la mer, il n’y en a qu’une, c’est la Méditerranée. Où qu’il aille, le poète la cherche. Et j’aime cette quête parce que moi aussi, j’ai grandi pas loin d’elle. Dans le Sud. Au milieu des vignes, des platanes, des amandiers, des oliviers, des figuiers, des abricotiers, des pins, des grenadiers, des marronniers d’Inde, du thym et du fenouil, sous le grand soleil. J’avais chaud mais je ne le savais pas. J’ai compris ce que signifiait la chaleur, la grande lumière lorsque je les ai quittées, et c’est pourquoi j’ai écrit un recueil de récits poétiques intitulé: «Inventaire du Sud». Quand je lis Tahar Bekri, je lis un frère.

Un mot sur l’éditeur, que je ne connaissais pas. Je lis sur sa page facebook (son site officiel est en rénovation) Les éditions elyzad sont nées en 2005 à Tunis. Depuis ce pays de la Méditerranée, riche de nombreux métissages, nous avons choisi de faire partager une littérature vivante, moderne, qui s’inscrit dans la diversité. Des romans et nouvelles qui correspondent à nos engagements : faire entendre, au Sud comme au Nord, des voix singulières, d’ici et d’ailleurs, lire le monde dans sa pluralité.

(Photos. Le poète aime vraiment la nature, avec lui les fleurs, les herbes, les arbres ont des noms et même un prénom, une adresse, une histoire. J’ai voulu lui rendre hommage en montrant son livre dans le printemps frisquet de Sainte-Anne-de-Bellevue, à la pointe ouest de l’île de Montréal, au Québec, en ce 27 avril 2021. Le lac, pour évoquer en miniature la mer .)

Terminons par un poème, où le poète jusqu’à la fin, jusqu’à ce qu’il atteigne enfin la mer ultime, son Paradis, condamnera les extrémistes barbares ennemis des Civilisations:


XV


Je viendrai à toi

Mer ultime

Dans le tumulte des eaux fécondes

Rompues aux confidences des bois


Mes crues

Sous l’orage

Bravant les barrages menaçants


Je laisserai derrière moi

Les montagnes

Survolées par les sombres vautours


Leurs grottes comme des cavernes

Nids

Pour les serpents

Mus en barbes


Tahar Bekri, Les dits du fleuve, photographies de Joël Leick, éd. Al Manar, Poésie du Magbreb





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