dimanche 2 mai 2021

«Combats», de Néhémy Pierre-Dahomey

Lu: «Combats», de Néhémy Pierre-Dahomey, éd. du Seuil

Que savais-je sur Haïti en ce début de XIXe siècle, plus de 30 ans après son indépendance gagnée dans le sang sur le colonisateur français? Pas grand chose, je dois l’avouer. Eh bien l’auteur de ce roman me donne deux-trois petites informations politiques, comme par exemple la dette pharaonique que la nouvelle République doit payer à la France pour la rembourser de la perte de cette colonie: l’indemnité de dédommagement aux anciens colons! Eh oui. Ce n’est pas une blague. Après avoir été exploité sans vergogne, le nouveau pays doit encore payer. Normalement, ce devrait être à la France de dédommager Haïti pour toutes ces années de torture et de colonisation, non? Cherchez l’erreur. Donc, le pays doit payer. Mais qui en particulier? Le bon peuple, bien sûr. Les paysans. Et à qui paient-ils? À l’État, ou à la force militaire, corrompus jusqu’à la moelle. Peu importe qui dirige la levée de l’impôt, pharaonique lui aussi, c’est toujours aux plus pauvres de payer. Le décor est planté, l’ambiance est explosive. Les personnages: Ludovic Possible notaire et propriétaire terrien qui défend les paysans contre le pouvoir politique en place. Il décide de construire une école dans son arrière-cour afin d’instruire le peuple, de l’éduquer pour lui permettre de mieux se défendre. Timoléon Jean-Baptiste est un fidèle allié du notaire, mais un peu trop fougueux. Il va provoquer en duel l’ennemi juré de Ludovic, son demi-frère Balthazar Possible, qui souffre d’un mal incurable: la jalousie. Ce sera un combat de coqs. À la gaguère. Le combat va-t-il mettre fin à la rivalité entre les deux demi-frères? Le sang et les plumes vont voler! En parallèle, nous découvrons le destin de la jeune Aïda, enfant naturelle du vieux Ludovic. C’est une fille de peu de mots, au début pour le moins, mais qui sait écouter les contes de sa vieille mère. Plus le roman avance et plus la tension augmente. Le lecteur craint le pire. Le pire se produit, mais ce n’est pas du tout celui auquel on s’attendait.

J’avais beaucoup aimé «Rapatriés», le premier roman de cet auteur. Ce roman-ci est encore plus fort. La langue est splendide. Les personnages, épiques. L’auteur me tient. Il me fait penser à Patrick Chamoiseau pour la qualité de la langue, sa poésie, et les thèmes abordés: le petit peuple dans sa lutte quotidienne pour sa survie face au pouvoir public aveugle; la transmission de la culture par le conte; l’héritage colonial lourd à porter. Et puis, l’épisode de l’inondation fait basculer le roman dans le mythe, c’est le Déluge. L’auteur martiniquais a écrit sa «Biblique...», Néhémy Pierre-Dahomey fait référence à deux frères ennemis, Caïn, jaloux, qui veut tuer Abel. J’ai enfin saisi avec plaisir les références à «La Lézarde», le premier roman (révolutionnaire) d’Édouard Glissant. Vraiment, «Combats» annonce, trompette la naissance d’un romancier important qui connaît ses classiques!



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