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Dieu bénisse l'Amérique, de Mark SaFranKo
Mark SaFranKo, Dieu bénisse l’Amérique, 13e
note éditions, Paris, 2012, excellemment traduit de l’anglais (États-Unis) par
Karine Lalechère
L’alter ego de l’auteur,
Max Zajack nous raconte sa jeunesse dans une famille pauvre d’émigrés polonais,
quelque part en Amérique, côte est. Années 50, début 60, la pauvreté ressemble
à une malédiction héréditaire. Le père de Max, Jake, enchaîne les petits
boulots de crève-la-faim jusqu’à devenir pompier. Si l’on espère une
amélioration de la situation familiale, on a tout faux. L’espoir n’est pas de
mise. La misère crasse reste la même. Dans une société de classes comme celle
des États-Unis d’après-guerre, aucune élévation de quelque sorte n’est
possible. Bien au contraire. Jake se sent impuissant contre le sort qui
s’acharne sur lui alors comme un rat en cage, il enrage et mord tout ce qui
l’approche. Il cherche des coupables car il se dit victime d’un système qui le
dépasse. Des coupables? Ce sont les Noirs, les « bamboulas… responsables
de tous les maux de la Terre. » En plus d’être raciste, Jake est violent.
Max reçoit des raclées environ toutes les dix pages, soit par son paternel,
soit par ses camarades de classes prêts à t’estourbir ou à te brûler vif pour
un regard de travers, soit par ses institutrices catholique qui répandent
l’amour de Dieu à coups de torgnoles et de chicotte, soit par les gangs de rue
que Max a le malheur de croiser. Quand ce n’est pas sa mère qui l’assomme en
public ou le coiffeur qui lui plante sa paire de ciseaux dans le cou en
clamsant raide net devant lui. Max, il n’a pas de chance.
Il
grandit dans un monde apocalyptique peuplé de fous (sa mère Bash, l’oncle
Henry, dans la rue, les voisins, au travail, les cinglés sont partout), de
criminels (ses amis, ses collègues), de pédophiles et de demeurés bouseux (voir
la rencontre familiale au Canada chez des éleveurs de porcs dont tous ne sont
pas doués de la parole…). Les relations de Max avec les femmes, possible source
d’espoir, relèvent du fiasco. Lorsqu’il se fait passer pour un membre du FBI
afin de peloter la belle Sandy, la police lui tombe sur le paletot et la Mafia
menace de l’éliminer. Les femmes, c’est dangereux.
Ce livre se dévore comme on assiste en voyeur à une série
d’accidents de la route, voire à une longue séance de torture. L’unique bouée
de sauvetage est l’humour, seule distance possible entre la vie et le
narrateur. Par exemple, lorsque son ami Joey lui explique la mécanique du
sexe : « Tu plaçais ta bite à côté de celle de la fille… vous
les frottiez l’une contre l’autre et au final, on obtenait un bébé. » Peu
avant cette explication, le narrateur avait précisé : « Plus
tard, je devais me rendre compte que sa théorie comportait quelques
faiblesses. » Faiblesses ou pas, le sexe conduit toujours à la
catastrophe.
Pas besoin d’être sorti de la cuisse de Jupiter pour
comprendre que contrairement au titre, Dieu à maudit l’Amérique. Comment
poursuivre le bonheur quand le destin du peuple ouvrier est joué d’avance? Le
rêve américain, c’est d’éviter de mourir trop vite. Et ce n’est pas joué
d’avance. Quand tu ne meurs pas de faim ou de maladies transmises par les
souris, les rats, les poux et la vermine, quand tu ne te suicides pas, quand tu
survis à divers accidents plus scabreux les uns que les autres, quand on ne
t’assomme pas ou quand tu ne te prends pas une balle perdue, le pays a toujours
la possibilité de t’envoyer te faire tuer dans le Pacifique ou au Viet-Nam. Et
l’avenir, dans tout ça? Max rêve d’une gigantesque explosion nucléaire qui
règlerait ses problèmes.
Dans sa post-face, l’éditeur Zslot Alapi
affirme : « Le monde littéraire devrait avoir peur de ce
roman… » et il a tout à fait raison car cette fiction secoue profondément
le lecteur. Mark SaFranKo fait plus que du vrai et du beau genre Baudelaire, il
frappe là où ça fait mal, à l’humain de base. Il torpille à jamais le roman
d’apprentissage. La prose de SaFranKo, c’est du Zola désespéré qui a lu Bukowski,
Fante et Carver. J’en suis resté estourbi.
Alain
Raimbault