samedi 17 juillet 2021

«La Danse du Vilain», de Fiston Mwanza Mujila



Lu: «La Danse du Vilain», de Fiston Mwanza Mujila, éd. Métailié

C’était à l’époque du Zaïre et de la guerre civile en Angola où les diamants coulaient à flots pour ceux qui savaient saisir leur chance. Il sera question du personnage mythique de la Madone Tshiamuena, japonaise de naissance, environ, à l’âge environ également. Nous passerons dans les rues de Lubumbashi au Katanga et nous y resterons avec les gamins sans toit et avec pour unique loi celle de l’argent. Même si la corruption et la répression de l’État mène la vie dure aux habitants, la Danse du Vilain réconcilie tout un chacun au Mambo de la fête. Mais toute bonne dictature hélas a une fin et le Zaïre se fit RDC, la guerre remettant au passage les destins à zéro.

Ce roman est, encore une fois (il faut lire «Tram 83»!), extraordinaire. Chaque page contient un destin haut en couleur. Comment, mais comment l’auteur fait-il pour connaître tant d’histoires? Aussi, chaque phrase est criante de vérité. Certains écrivains, tu les vois venir de loin. Tu te dis: là, il exagère. Là, il veut m’en mettre plein les mirettes. Là, il se la joue grand auteur. Là, il fait son érudit. Mais pas Fiston Mwanza Mujila. Quand il te parle, tu l’écoutes. Attentivement. Il te raconte la vérité. C’est vrai, et les événements se sont passés tels que décrits. Je n’en doute pas une seconde. Je me disais, difficile de faire mieux que «Tram 83». Eh bien je me suis trompé. L’auteur ne fait pas mieux, il fait différent, il change de langue (vous connaissez beaucoup d’écrivains capables de changer de langue entre deux romans? Moi, non) et c’est encore un grand roman. Celui qui en fin de compte danse du début à la fin, c’est le lecteur. Chapeau, l’artiste. Toute mon admiration pour votre art.



vendredi 9 juillet 2021

«Tram 83», de Fiston Mwanza Mujila



Lu: «Tram 83», de Fiston Mwanza Mujila, Métailié


Dans la Ville-Pays dirigée par le Général dissident, le point de ralliement inéluctable est le bar à traînées-cabaret-restaurant(chien grillé/rat salé)-maison de passe nommé Tram 83: «Déconseillé aux pauvres, minables, incirconcis, historiens, archéologues, lâches, psychologues, radins, imbéciles, insolvables et vous autres qui avez la guigne...» mais ouvert aux clients divers (la liste est longue, on attache sa tuque): «prostituées (tout un poème)... musiciens par inadvertance… prestidigitateurs ou pasteurs des églises de réveil ou étudiants aux allures de mécanos ou médecins… ou jeune journalistes déjà à la retraite…» (Il faut lire la liste, un vrai poème aussi.) Bon, l’industrie du coin est l’exploitation sauvage de la mine avec toutes les activités de survie connexes. Requiem est doué pour le commerce et son meilleur ennemi est l’écrivain rêveur Lucien qui est le seul, mais alors le seul à défendre son âme pure d’écrivain dans un tel lieu de misère et de violence. Au Tram 83, c’est comme la météo. On se sait jamais quel temps va sévir.

Ce roman est une véritable explosion de poésie. La langue libre (baroque?) de l’auteur nous tiraille vers les quatre ou cinq horizons dans chaque phrase, chaque situation. Le lecteur flotte au sommet d’un océan déchaîné. Faut vraiment avoir le pied marin pour tenir à flot. Voilà une œuvre terriblement originale. J’ai savouré ce roman comme un recueil de poésie, lentement, très lentement. C’est une bombe, ce livre.

Enfin, ce Tram 83 m’a fait penser au «prostíbulo» ou bordel si important dans la littérature latinoaméricaine ou caribéenne. Un lieu de malemort extraordinairement vivant.









jeudi 1 juillet 2021

Leçon de dédicace. Merci à Daniel Maximin

 Daniel Maximin

Un type adorable. Je l'ai rencontré en 1998 à la Corderie royale de Rochefort. Peu avant, j'avais demandé à une écrivaine une dédicace. Elle m'a salement toisé, a pris son roman que je lui tendais et m'a pondu un gribouillis infâme en me faisant la gueule. Je l'avais dérangée. Et puis, je croise Daniel Maximin, dont j'avais lu l'éblouissant "L'isolé soleil". Je lui tends son roman "Lîle et une nuit" et je redoute le pire, à cause de l'écrivaine précédente. Eh bien pas du tout. Il prend gentiment son roman, il lève le nez en l'air avec un petit sourire pour chercher l'inspiration, quelques secondes, puis il m'écrit la longue et belle dédicace ci-dessous.A-do-rable! J'allais publier mon premier livre deux ans plus tard et chaque fois que j'écris une dédicace, je pense à Daniel Maximin qui en ce jour de mai 1998 m'a enseigné une bien belle leçon. (L'événement s'appelait: Balcon sur l'Atlantique). Merci Daniel!!!



dimanche 27 juin 2021

«Le Français de Roseville», d’Ahmed Tiab

Lu: «Le Français de Roseville», d’Ahmed Tiab, Éditions de l’aube, collection Mikrós noir (paru en 2016 aux Éditions de l’aube en grand format. C’est le premier roman de cet auteur)

Oran. Le commissaire Kémal Fadil se rend sur un chantier de construction parce qu’on a retrouvé des ossements humains, mais il faudrait que l’enquête soit bâclée parce qu’on ne va pas retarder la construction d’un immeuble pour si peu… Sauf que le commissaire désire connaître la vérité. Les os dateraient de 1960. Nous voilà donc plongés dans l’Algérie coloniale des années 50, puis dans la guerre d’Indépendance où chaque personnage essaie de s’en tirer le mieux possible: pieds-noirs, Arabes, Français métropolitains, Espagnols. L’enquête progresse par va-et-vient entre passé et présent. Au final, c’est une fabuleuse fresque historique qui ne dit pas son nom que l’auteur, sous prétexte d’une enquête complexe et passionnante, a pondu-là. J’ai adoré. C’est son premier roman. Formidable. Je vais lire les suivants.




samedi 12 juin 2021

«La Trinité bantoue», de Max Lobe

Lu: «La Trinité bantoue», de Max Lobe, éd. Zoé

Mwána, le narrateur, a quitté le Bantouland pour venir étudier chez les Helvètes. Il vit avec son conjoint Ruedi qui a décidé de ne pas travailler. Après tout c’est vrai, pourquoi travailler, hein? Mais du jour au lendemain, Mwána perd son emploi de commercial ambulant chez Nkamba African Beauty et vogue la galère. Commence la longue épreuve de recherche d’emploi dans une Suisse pas vraiment accueillante. En parallèle à cette quête, la mère de Mwána restée au Bantouland commence à connaître de petits problèmes de santé et cela ira de mal en pis. Heureusement, il existe des Dieux vers lesquels se tourner: Nzambé tout puissant, Élôlombi protecteur des âmes, et ceux des ancêtres, les Bankóko.

Je me suis laissé entraîné par la verve du romancier, par son personnage qui vit en Suisse mais dont le pays laissé, bien présent grâce à la famille et au téléphone, ne cesse de le rappeler à la réalité. Sa réalité entre deux cultures. Le dernier tiers du livre est, je vous préviens, vraiment émouvant. Un très beau roman écrit avec justesse, humour, sensibilité. Beaucoup aimé.




J'ai rencontré l'auteur au salon du livre de Montréal en 2014

«Neuf ans parmi les Indiens», de Herman LEHMANN

Lu: «Neuf ans parmi les Indiens», de Herman LEHMANN, éd. Séguier, traduit de l’anglais par Nicolas Jeanneau (Témoignage publié en 1927)

Herman Lehmann, fils d’immigrés allemands, est enlevé au Texas en 1870 par une tribu apache. Il a dix ans. À la dure, il va devenir une vrai Apache lui-même et participer comme guerrier aux raids contre les visages pâles afin de voler leurs chevaux, leurs armes, leurs couvertures, et bien souvent afin de les tuer et de les scalper haut et court. Il va aussi devoir fuir sa tribu après avoir vengé l’assassinat de son chef Carnoviste. Il va se réfugier chez les Comanches, dont il ne comprend pas la langue, et devenir lui-même un guerrier Comanche. Il retourne vivre dix ans après son enlèvement chez sa mère et ses frères et sœurs. Hors, il a tout oublié de son passé. Son adaptation chez les visages pâles qu’il a toujours combattus va se révéler bien difficile. Il sera à jamais un Comanche. Sur ses vieux jours, il raconte sa vie à un journaliste, ami de sa famille, J. Marvin Hunter.

Ce livre est un témoignage bouleversant sur la réalité que vivent les tribus apaches et comanches dans les années 1870 au sud-ouest des États-Unis. Les vagues d'immigrants européens déferlent à travers les territoires ancestraux des autochtones. Le chemin de fer est construit. Des hordes de chasseurs blancs exterminent les bisons. Les villes poussent partout. L’armée fédérale n’a qu’une mission: neutraliser les autochtones et les enfermer, les sédentariser dans des Réserves (ou bien souvent les exterminer jusqu’au dernier bébé!) Bien sûr, des chefs de tribus résistent aussi longtemps qu’ils le peuvent mais la raison du plus fort, du plus nombreux l’emporte. Ces chefs meurent en combattant, ou de maladie au fond d’une prison, ou de vieillesse dans une Réserve, ou se suicident de désespoir. Juin est le mois de l’histoire des Autochtones au Canada. L’histoire des Autochtones chez les voisins du sud est également terrible.



samedi 22 mai 2021

«Abobo Marley», de Yaya Diomandé

Lu: «Abobo Marley», de Yaya Diomandé, éd. JC Lattès

(Prix Voix d’Afriques)


Moussa alias Mozess balance à bord d’un gbaka (transport collectif limite), un fourgonnette. Il hèle et transporte les clients entre Abobo et Adjamé, deux communes d’Abidjan. Mozess, fils aîné de la famille, préfère travailler qu’aller à l’école pour subvenir aux besoins de sa mère, délaissée et humiliée par un mari égoïste et violent. Si Mozess n’a plus le temps d’aller à l’école, il tient à payer les frais de scolarité de sa petite sœur Fatim et du reste de la fratrie. En deux mots, il remplace le père. Il est courageux, Mozess. Il travaille sans compter pour donner de l’argent à sa mère et économiser pour le grand voyage à Bengue, en Europe, à l’étranger. C’est son rêve. Mais tout rêve à un coût. Si au départ, l’argent se gagne en travaillant, le commerce des choses plus ou moins légales est beaucoup rentable. À partir de ce changement d’activité, la vie de Mozess est un long fleuve intranquille.

Ce roman ressemble à une charge de cavalerie légère. Tous les moyens sont bons pour que notre héros picaresque atteigne ses deux buts: premièrement, aider sa mère et sa fratrie. Deuxièmement, aller à Bengue. Quitte à y risquer sa vie. Le lecteur n’a pas le temps de respirer: commerce douteux; prison; rébellions; traversée du désert; émigration; corruption en tous genres; racket; assaut à la machette… Au passage, l’auteur met en évidence quelques maux endémiques qui empêchent le petit peuple de Côte D'ivoire d’accéder à un niveau de vie décent. Yaya Diomandé sait aussi très bien écrire. J’ai beaucoup aimé les passages en nouchi, traduits aussitôt. C’est un parler local, une sorte d’argot populaire, incompréhensible pour moi mais étonnamment très poétique, je ne sais pas pourquoi. J’ai lu ce roman d’un trait. Il m’a fait penser à un Don Quichotte chevauchant une grosse cylindrée. Pour un coup d’essai (premier roman!), c’est un coup de maître. Les membres du jury du Prix Voix D’Afriques ne se sont vraiment pas trompés. À découvrir!!!