jeudi 3 avril 2014

Les cloches de la Brésilienne

J'ai écrit une petite critique d'un livre formidable que Thelyson Aurélien a eu la gentillesse de partager sur son blog: 

Les cloches de la Brésilienne

1 AVRIL 2014 PAR  

LCdlBDans Les cloches de la Brésilienne, les éléments traditionnels du genre policiers sont en place. Le schéma crime-enquête-suspect-coupable est plutôt bien respecté. Nous avons des politiciens tous plus corrompus, véreux, violents et manipulateurs les uns que les autres. Le policier de service, l’inspecteur Azémar Dieuswalwe (Dieusoitloué) répond également aux critères classiques : désespérément honnête, pauvre comme Job, incorruptible, alcoolique à souhait ou kakakleren, affligé d’un strabisme convergent (il louche et en a honte), il est forcément célibataire et n’a d’yeux que pour les belles métisses. Aucune surprise de ce côté-là. Dans le village imaginaire de La Brésilienne, près de Jacmel, les guerres font rage, tout d’abord pour le pouvoir entre le Maire Exantus et le député-trafiquant de drogue Maren; ensuite entre l’église catholique représentée par le prêtre breton Lefenec qui dissimule une arme sous sa soutane et le pasteur Sirius, affligé de deux gardes du corps armés; enfin entre le Maire et sa femme.
Dès le début, la situation se révèle très tendue dans le village (et non la ville, lieu de prédilection du polar) où chacun accuse l’inspecteur de travailler pour le camp adverse. Mais quel est l’objet de l’enquête? C’est ici où le roman prend une toute autre dimension. L’inspecteur est convoqué par le prêtre Lefenec afin qu’il retrouve le son des cloches de son église qui a été volé. Pas de meurtre, donc. Juste une surprenante disparition. C’est là le crime. Ainsi, l’inspecteur dira à son chef resté à Port-au-Prince (p.89) : « Je mène une enquête où toute logique m’est interdite.» Nous entrons de plain-pied dans le panthéon vaudou en parallèle avec celui de l’Église catholique. Il sera ainsi question (p.56) de « …ceux qui adorent Marie et Erzulie. » Plus loin, le lecteur découvre des paysans qui sont des chanpwèls. Ils conduisent l’inspecteur dans la montagne pour écouter le carillon des cloches sous la pleine lune. Les sons (p. 58) «… chevauchaient une brise capricieuse… voltigeaient… jouant à cache-cache… tournaient si vite… Les vibrations des cloches redonnaient vie à la pierre. » Page 69, il est question de « …deux polanvè qui s’étaient égarés. Polanvè était une manière d’appeler les loups-garous. » On les retrouvera assassinés au petit matin. Et ce n’est pas fini. Un fou se fait surnommer Al Quaida. Il croit (p.93) en « la magie du Coran ».
Il vit dans un manguier et il affirme détenir une part de la vérité pour ce qui concerne l’enquête. Nous avons une petite fille qui se promène une calebasse dans les bras que sa mère lui a donnée en rêve. Plus loin, le prêtre Lefenec organise une cérémonie vaudou dans son église avec trois batteurs de tambours, six ounsi qui dansent à l’intérieur d’un cercle tracé au sol avec de la farine, et un vieux oungan. Les ounsi sont des prêtresses et le oungan un prêtre selon les croyances (ou la religion, c’est selon) vaudous. La foi chrétienne est encore mise à mal par le prêtre Lefenec en personne qui, apprend-on plus tard, a connu une histoire d’amour torride avec la belle mambo Shibouna. Il a commis le péché de chair pendant des semaines au sommet d’un mapou afin d’expulser de son corps les makaya, ou démons.
Si les hommes ne sont que des pantins mus par leurs pulsions, ce sont les femmes les véritables héroïnes de ce roman. Elles manipulent les hommes, les consolent, les guérissent, les éliminent, communiquent par rêves et se jouent du monde matériel. Elles détiennent la vérité, la connaissance et ce sont donc elles qui possèdent le pouvoir spirituel. Les hommes s’entretuent uniquement afin de posséder le pouvoir matériel. Ce sont des hommes-objets.
Le genre policier est donc mis à mal car même si l’architecture narrative est identifiable, les éléments propres au genre fantastique viennent troubler les attentes du lecteur et c’est là la véritable réussite et la grande richesse de ce roman. Il se termine en apothéose par les témoignages tous plus farfelus et plus poétiques les uns que les autres reçus par l’inspecteur Dieuswalwe lors de son enquête. Enfin, le prologue ressemble à un conte, à un rêve, à une parabole. Et ce récit plus près du mythe que du rapport de police décrit le crime. Dès la première page, le lecteur a été prévenu. Le raisonnement logique ne suffira pas pour découvrir l’auteur du crime.
J’ai rencontré pour la première fois Frankétienne en 1998 à la Corderie royale de Rochefort, dans l’ouest de la France. Je lui ai alors demandé si tous les écrivains haïtiens étaient des poètes. Sans hésitation aucune il m’a répondu : Oui ! J’aurais tendance à le croire.
Alain Raimbault
Gary Victor, Les cloches de la Brésilienne, éditions Vents d’ailleurs, 2006

1 commentaire:

  1. et aussi ici:

    http://laplumefrancophonee.wordpress.com/2014/04/04/gary-victor-les-cloches-de-la-bresilienne/

    RépondreSupprimer