vendredi 6 janvier 2023

«Harlem Shuffle». de Colson Whitehead

Lu: «Harlem Shuffle». de Colson Whitehead, roman (traduit de l’américain par Charles Recoursé), éd. Albin Michel.

Ce roman nous ramène à l’Amérique de la fin des années 50, début des années 60, à l’époque agitée des mouvements des droits civiques, de la guerre du Vietnam et de la conquête spatiale. La ville de New York, et plus précisément Harlem, est décrite en détail, avec le nom des rues, des magasins, des marques, des troquets et des célébrités du cinéma ou du jazz. Cet effet de réel nous emporte vers un ancien monde, violent, vibrant, où l’injustice règne en maître et où pour survivre, chacun y va de ses magouilles. La trame du roman est policière. Nous suivons la course effrénée de Ray Carney, honnête marchand de meubles le jour et receleur la nuit. Son cousin Freddy ne cesse de le compromettre dans des affaires sordides dont Carney essaie durant tout le roman de se sortir, vivant de préférence, ce qui est loin d’être évident. L’auteur met en évidence deux mondes opposés, séparés géographiquement dans le ville mais aussi au niveau social, judiciaire et historique. Celui des Blancs, qui gagneront toujours grâce à la corruption institutionnelle dont ils bénéficient, et celui des Noirs qui tentent comme Carney d’y arriver coûte que coûte. Cela dit en passant, le récit des émeutes de 1964 suite à l’assassinat d’un jeune homme noir par un policier blanc est à vous glacer le sang, et il nous rappelle hélas qu’en ce XXIe siècle, ce genre d’événement se perpétue.

C’est avec délice que je replonge dans le Harlem de Chester Himes, un quartier pauvre, violent, mais légèrement moins désespéré sous la plume de Colson Whitehead qui prend pour personnage principal un entrepreneur ambitieux qui, malgré les défis quotidiens, se sort peu à peu de la précarité. Et je ne peux que repenser aux auteurs qui ont su si bien décrire ce New York des années d’après guerre comme Donald Westlake, Ed McBain ou Jerome Charyn.

Finalement, Colson Whitehead m’explique de l’intérieur ce que c’est que l’Amérique, cette Amérique (États-Unis s’entend) cauchemardesque de «Underground railroad» ou de Harlem. Je n’ai pas encore lu «Nickel Boys», mais ça ne devrait tarder. S’il a reçu 2 Prix Pulitzer, ce n’est pas un hasard. C’est un grand, tout simplement.

Citation:

«Il suffisait à Carney de marcher cinq minutes dans n’importe quelle direction, et les maisons de ville immaculées d’une génération donnée devenaient les maisons de shoot de la suivante, des taudis racontaient en choeur le même abandon, et des commerces ressortaient saccagés et détruits de quelques nuits d’émeutes. Qu’est-ce qui avait mis le feu aux poudres, cette semaine? Un policier blanc avait abattu un jeune Noir de trois balles dans le corps. Le savoir-faire américain dans toute sa splendeur: on crée des merveilles, on crée de l’injustice, on n’arrête jamais.»



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