mercredi 4 janvier 2023

«Ni partir ni rester», de Julián Fuks

 Lu: «Ni partir ni rester», de Julian Fuks, éd. Grasset

Lettre à l'auteur:

Bonjour Julián,
Je viens de lire ton roman «Ni partir ni rester», (A Resistência) en français, traduit du portugais (Brésil) par Marine Duval, éd. Grasset. Il correspond exactement à ma définition de la littérature. Il est tout en nuances, le narrateur questionne sans cesse chaque détail qui surgit dans ses souvenirs, et la réponse n’est jamais claire, jamais tranchée. En fait, on ne sait pas. Le narrateur ne sait jamais sur quel pied danser, il sait que les souvenirs se transforment au fil du temps, et s’il ne garde qu’une certitude, c’est justement celle de l’incertitude. Il ne sait pas, mais il avance dans sa quête, malgré lui, de son identité. Tourmentée. Son frère, adopté, son frère des douleurs, symboles des défaites de sa famille qui pourtant essaie. La dictature fait rage en Argentine, ses parents s'interrogent: Partir, arrêter de résister, abandonner les compagnons d’armes? Rester, et risquer de se faire assassiner comme tant d’autres? En fait, il n’existe pas de réponse car la question dépasse l’exil. Elle met en évidence notre humaine condition. Partir, aller de l’avant, tenter, essayer, imaginer, créer, fuir? Ou rester, s’enfermer dans les préoccupations du quotidien, faire face à ses responsabilités, lutter coûte que coûte, résister?

Je trouve aussi passionnant les œuvres des écrivains comme toi, nés sous les dictatures, mais ne les connaissant intimement que par le traumatisme de leurs parents. Qu’avez-vous perçu de cette époque fondatrice (traumatique) pour vos parents? Vous l’écrivez, vous la traduisez, vous l'interprétez, vous êtes les enfants de la guerre, et vous écrivez les silences. Vous êtes, vous, la deuxième génération, les écrivains du silence.

Plus j’avançais dans le roman et plus je lisais lentement. Je relisais. Il faut toujours relire. En fait, un roman n’est jamais terminé puisque le lecteur ne cesse jamais de l’écrire et de le réécrire dans sa tête. Un souvenir soudain: ce film argentin de 1983 intitulé: «La historia oficial», de Luis Puezo. Un couple adopte un bébé sous la dictature et la femme, la mère adoptive s’interroge sur la provenance de cet enfant, avant la découverte insupportable de la vérité. Voilà, Julián, tu as écrit pour moi: La novela oficial.

J’ai aussi beaucoup aimé ce roman pour des raisons très personnelles, tout d’abord au niveau de ma propre naissance, de ma généalogie, de ma famille très proche, enfin parce que, même si je n’ai pas choisi l’exil, j’ai tout de même changé de continent et j’ai dû apprendre une nouvelle langue.

Deux citations:
Page 47: «Je sais qu’il s’agissait d’un exil, d’une fuite, un acte imposé par la force, mais toute migration n’est-elle pas forcée par un certain malaise, une sorte de fuite, une inadaptation irrémédiable à la terre qu’on habite? Ou serais-je en train, avec ces questionnements insensés, ces enquêtes déplacées, de dévaluer leurs luttes, de déprécier leurs trajectoires, de diffamer l’institution de l’exil qui pendant des années a exigé de nous la plus grande gravité?»

Page 144: «Je sais que j’écris mon échec. Je voulais écrire un livre qui aurait parlé d’adoption, un livre avec une question centrale, une question pressante, ignorée de beaucoup, négligée y compris par les plus grands auteurs, mais qu’y avait-il finalement?»

Très très beau roman. J’ai beaucoup appris. Merci!!!



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