vendredi 19 février 2021

“Les impatientes”, de Djaïli Amadou Amal

Lu: “Les impatientes”, de Djaïli Amadou Amal, éd. Emmanuelle Collas.

Deux jeunes filles, pas 18 ans, des enfants encore, sont mariées de force par leur père ou leur oncle, l’une, Hindou, à un ivrogne violent (son cousin!), l’autre, Ramla, à un vieux riche polygame. C’est la première femme de ce dernier qui dans la deuxième partie du roman nous conte comment elle vit l’arrivée de cette deuxième épouse, toute jeune, toute belle, et qui risque de l’évincer. Elle ourdit ses vengeances…

Ce roman est un long cri de souffrance de l’ensemble des femmes du Sahel. Pas une seule ne peut étudier, se marier par amour, vivre une seconde en paix. Elles sont mariées de force, comme leur mère, elles sont violées, battues, trompées, humiliées sans cesse et vivent constamment dans la peur. L’homme (père, oncle, époux…) est violent, insensible, polygame et déteste profondément la femme. Il la menace sans cesse, il la viole, il la frappe, il la fouette, il se sert de la religion, ici l’islam, pour justifier ses agissements, et si la femme se plaint, elle devrait avoir honte car cela signifie qu’elle a été mal élevée et que sa mère doit aussi être punie! Du reste, elle l’est. La femme esclave doit obéir aveuglément, attendre patiemment en silence que ses tortures cessent, et en plus elle doit sourire. Bref, ce roman est une véritable bombe littéraire, un cri de révolte. Il montre un exemple de la violence que doivent endurer certaines (de nombreuses) femmes dans ce triste monde durant toute leur existence. Djaïli Amadou Amal, par ses changements de perspectives, par la richesse des détails et son art de conter m’a tenu en haleine pendant toute ma lecture (deux jours). À chaque page je me disais: mais c’est pas possible! On ne peut pas traiter un être humain de cette façon! Mais c’est pas possible!!! Et je me suis souvenu qu’un jour, dans un reportage, Tahar ben Jelloun disait à peu près ceci: “Je suis pessimiste quant à l’avenir des femmes dans le monde musulman.” Bien sûr, il ne faut pas généraliser, mais ce roman est nécessaire pour comprendre un peu mieux la réalité terrible que vivent ces femmes. Woaow! Quel livre !!!


mardi 16 février 2021

“Les 700 aveugles de Bafia”, de Mutt-Lon



Lu: “Les 700 aveugles de Bafia”, de Mutt-Lon, éd. Emmanuelle Collas


Damienne Bourdin, ex-médecin des troupes coloniales, revient au Cameroun en 1961 à la recherche du Pygmée Ndongo qui lui a plus d’une fois sauvé la vie en 1929. Pourquoi? Parce qu’une révolte éclate à cause d’une terrible erreur médicale dans l’administration du traitement de la trypanosomiase (maladie du sommeil) et qu’elle doit partir en mission afin de rétablir la paix en zone hostile. C’est le célèbre docteur Jamot qui l’envoie (en résumé.) Dès le début du roman, le conflit éclate et la tension ne cesse d’augmenter au fil des pages. Suspens insoutenable, qui me fait tourner les pages pour savoir comment la pauvre Damienne va s’en sortir. Mais l’intérêt de ce roman passionnant réside aussi et surtout dans les relations sociales que les différentes tribus entretiennent entre elles, dans l’exposition des différents rites et dans le portrait éclatant d’Edoa, la femme que Damienne est venue chercher et qui va se révéler tout un personnage.

Après “Ceux qui sortent dans la nuit”, j’ai été enchanté de retrouver la plume de Mutt-Lon qui est un auteur pas assez connu à mon humble avis. Deux phrases, page 252: “Pourtant, quand un Pygmée est en liberté dans la forêt sauvage, qui est son milieu premier, c’est un intellectuel qui n’a rien à attendre de personne. Tout participe de façon naturelle à l’assouvissement de ses obsessions.” On pourrait écrire une thèse sur le Pygmée Ndongo car il est toujours en décalage par rapport aux événements hautement conflictuels, en harmonie avec son milieu, héritier d’un savoir qui lui permet de vivre en paix quelle que soit la situation, et le plus loyal des personnages. Damienne qui le retrouve 32 ans après les événements est bien triste de constater ce que la colonisation française a fait de lui. (Qu’est-ce qu’elle croyait?) Les coupables de l’erreur médicale ne seront pas jugés et pire, ils seront oubliés. Heureusement, Mutt-Lon nous rafraîchit la mémoire tout en nous donnant une nouvelle œuvre d’art magnifique. J’espère qu’il est en train d’écrire un nouveau roman. (Facile pour un lecteur de dire cela, je sais.)




samedi 6 février 2021

“La fabrique des salauds”, de Chris Kraus

 Lu en janvier: “La fabrique des salauds”, de Chris Kraus, traduit de l’allemand par Rose Labourie, 1100 pages! (Je n’ai lu que ce livre-là en janvier) éd. 10/18


Tout commence à Riga, en Lettonie (dans le Baltikum, oui madame), années 20. Koja Solm raconte la vie de sa famille d’origine allemande. À Riga, Baltes, Russes, Allemands et Juifs ne se mélangent pas, chaque communauté vit dans son coin. Koja est amoureux de Ev, sa sœur (adoptée!), mais c’est finalement son grand frère Hubert qui va l’épouser. Ça reste en famille. Dans les années 30, Koja et Hubert vont travailler pour les services secrets nazis, et pendant la guerre, ils vont participer à la Shoah. Ensuite, Koja, le narrateur, va travailler pour divers services secrets. Il n’a aucune morale commune, il passe son temps à mentir, à tromper, à trahir, à assassiner pour des motifs stupides. 

Ce gros roman est intéressant comme l’est “Les Bienveillantes”, de Jonathan Littell. Mêmes thèmes. Un type instruit devient un monstre sur le front de l’Est pendant la guerre. Les 500 premières pages, ça va, même si l’amour que Koja porte à Ev prend beaucoup trop de place. Ensuite, faut aimer les histoires de services secrets pendant la Guerre Froide, ce qui n’est pas vraiment mon cas, alors je me suis un peu ennuyé les 600 dernières pages. Bon, il y a des rebondissements, mais trop, c’est trop. Je l’ai quand même fini, ce qui n’est pas le cas de tous les livres que je commence. 


“Ceux qui sortent dans la nuit”, de Mutt-Lon

Lu: “Ceux qui sortent dans la nuit”, de Mutt-Lon, éd. Grasset


Alain, oui, Alain, qui habite à Yaoundé, capitale actuelle du Cameroun, se retrouve dans le village de sa grand-mère afin d’assister aux funérailles de Dodo, sa petite sœur à lui. Il décide de connaître toute la vérité sur les circonstances du décès. Il interroge sa grand-mère, une ewusu ou sorcière très puissante. Hélas, toute vérité n’est pas bonne à dire et une fois qu’elle va parler, la vie d’Alain bascule. C’est de sa faute. Il voulait savoir. Maintenant, il sait, et les événements se précipitent.  

Je ne peux en raconter davantage. 

Je peux cependant affirmer que ce roman est passionnant! L’histoire renferme un suspens insoutenable, je veux savoir comment Alain va s’en tirer. Tant de dangers risquent de compromettre sa quête. Aussi, il ne s’agit pas de sorcellerie bon marché où l’application d’une poudre, d’un onguent suivie d’un sacrifice modifient le destin d’une Nation. Non. Il s’agit plutôt du monde de Ceux qui sortent dans la nuit et la nuit, une deuxième vie existe, avec ses propres règles et ses innombrables dangers. Ce roman est très beau aussi car il nous fait découvrir une Afrique extraordinaire et afin de parler sans rien dire, si ce roman était un livre de la Bible, ce serait la Genèse, avant la catastrophe.

Difficile de raconter. Il faut le lire. Je n’imaginais pas qu’un tel roman fût possible. Vraiment, j’ai été renversé, soufflé par l’histoire et le rythme impeccable des phrases. Bravo, l'artiste. Belle prise de risque. Très beau roman, profondément original, unique. Une œuvre littéraire comme je les aime.

Impressions de lecture signées: Alain Daniel Raimbault (Ah, je suis en train d’écrire un roman dont le personnage principal s’appelle Daniel...) 

 

vendredi 29 janvier 2021

Images de Frida Khalo

 Frida Kahlo




(Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )
( Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )




















samedi 19 décembre 2020

“Mathématiques congolaises” de In Koli Jean Bofane

“Mathématiques congolaises” de In Koli Jean Bofane, éd. Actes Sud


Le monde entier est un calculus, et Célio Matemona crié Célio Mathématik se pique de la savoir. Tout commence par une équation politique qui tourne vinaigre pour un pauvre figurant payé pour pas de chance. De fil en aiguille, entre ses amis qui doivent prendre la tangente dans les entrailles externes de Kinshasa et les angles infinis à arrondir, Célio s’interroge sur le sens de sa fulgurante carrière... OK, vous n’avez rien compris à ce que je viens de résumer? Normal. C’est voulu. Parce qu’en politique congolaise, tout n’est qu’apparence. Et pour les maintenir, jusqu’où va-t-on aller trop loin dans le mensonge, la corruption crasse et le crime? 

Je ne connais presque rien du Congo ni de son histoire politique, mais j’ai suivi avec passion le destin de l’orphelin (narration saisissante de la guerre civile durant laquelle il perd ses parents) Célio Mathématik qui tente de tirer son épingle du jeu, comme tout un chacun habité par la faim quotidienne. La faim justifie les moyens, et souvent ils sont définitifs. 

Je me souviens qu’un jour, en 1983, mon prof d’anglais affirmait que les gens ne veulent exercer le pouvoir que pour eux-mêmes. Ils aiment le pouvoir. En apprenti communiste que j’étais, je me disais que les gens au contraire devraient exercer le pouvoir pour les autres puisqu’ils sont élus. Hors, ce prof affirmait le contraire. Je ne l’ai jamais oublié. Et j’ai l’impression qu’en littérature, qui veut vraiment représenter le peuple termine assassiné. Ça ne se fait pas. Je ne veux pas paraître cynique mais la littérature n’est hélas que le pâle reflet de la réalité. Tout ça pour dire que Jean Bofane a la plume des grands. Il sait décrire, il sait emporter le lecteur, il sait maintenir le rythme, et même plus les pages défilent, plus tu trembles. La fin est haletante. Tu veux savoir. J’ai pensé aux grands écrivains latinoaméricains qui ont évoqué avec brio l’époque terrible des dictatures, et bien sûr à “La Vie et demie”, du géant Sony Labou Tansi. Ce roman, c’en est un grand. Comme son auteur. 

(Le problème, quand tu lis un grand roman et que tu as la prétention de devenir écrivain, c’est que la barre est haute pour faire aussi bien. Bien sûr, il ne faut pas se comparer, il faut écrire son œuvre à soi, celle qui te remue les tripes, mais comment tu veux oublier de telles lectures, hein? L’écrivain est d’abord lecteur, c’est là le problème.) 



"Western tchoukoutou” de Florent Couao-Zotti

"Western tchoukoutou” de Florent Couao-Zotti, éd. Gallimard


Le spaghetti du western béninois est liquide et se nomme tchoukoutou. Il rend nos trois larrons, les héros de la farce (à savoir un shérif rapide sur la détente, un cow boy fonceur et un cabaretier désespéré, amis d’enfance) mauvais. Ça oui ils l’ont mauvaise quand l’ex-beauté Kalamity Djane revient en ville (elle était pas morte? Mais oui elle était morte! Impossible que ce soit elle!!! Maman, un fantôôôme!) pour remettre en ordre son acte de naissance, vu que sa mort, on la connaît. Ça va brasser dans les chaumières de Natingou City. Le shérif se déplace en deux chevaux nerveuse, la vengeresse et son veuf inlassable amoureux un tantinet gratteux (ah, oui, il y a de l’amour aussi, et de la vraie poésie) en moto (le western, ça s’adapte), et ma chinoise préféré Lucy Liu… (ah, non, c’est pas elle) Xuo Luo (voilà) court dans tous les sens pour comprendre ce qu’il se passe. Même si elle mène son monde à la baguette, on peut pas toujours gagner. Surtout que Kalamity Djane, elle voit tout, elle sait tout, et c’est la plus rapide du far west. 

Je ne raconte pas la deuxième page. Ça, c’était la première. Un roman foisonnant, des personnages excessifs comme je les aime, et un humour à déplacer les montagnes. Tu ouvres ce roman et quand tu le refermes, tu l’as fini. Impossible de le lâcher. Cerise sur le gâteau, monsieur Couao-Zotti a du style, de l’élan, du panache. Il sait écrire. Et quel sens de la formule: “Ces malfaiteurs… tous de nationalité d’outre-montagne, étaient d’une stupidité à faire pousser des champignons dans le nez d’un barbu”... 

Ce roman jubilatoire m’a aussi fait penser non pas à Achille F. Ngoye, ni à Aïda Mady Diallo ni à Moussa Konaté (j’aurais pu mais j’ai pas… OK, j’ai un peu quand même pensé à eux, c’était inévitable) mais au formidable Janis Otsiemi surnommé le James Ellroy du polar africain, auteur entre autres de l’inoubliable et fantomatique : “Tu ne perds rien pour attendre”. Un livre en appelle souvent un autre. Ma maman me disait: “quand t’as su lire, t’as été sauvé.” Elle avait raison. Ce “Western tchoukoutou” est le genre de livre qui sauve.