samedi 10 octobre 2020

“Écrire pour sauver une vie Le dossier Louis Till” de John Edgar Wideman

 Lu: “Écrire pour sauver une vie Le dossier Louis Till” de John Edgar Wideman, éd. Folio

Qu’on se le dise, écrire ne sauve personne. Quand on est mort, y a plus rien à sauver. En fait, en essayant de redonner vie au pauvre Louis Till et à son pauvre fils Emmet, l’auteur leur dresse un monument vivant. Oui, il sont bien vivants dans notre mémoire, mais l’auteur n’a pas pu les sauver. C’est trop tard. Emmet a été lynché alors qu’il n’avait que 14 ans, parce qu’il était Noir, et son père a été pendu pour la même raison. Aux yeux des habitants Blancs des États-Unis (ok, pas tous, bien sûr), si tu es Noir, tu es coupable. On va inventer un crime que tu aurais commis pour te condamner et d'exécuter. Si tu es accusé, c’est trop tard. Un Noir ne peut être innocent aux yeux de la justice des Blancs. Mais John Edgar Wideman refuse l’injustice dont il pourrait être lui-même victime. Justement, il se remémore son enfance à lui pour ressentir celle d’Emmet. Pour nous la faire voir. Entendre. Lui et Emmet ont le même âge. Entre 1941 et 1955, ils ont dû vivre les mêmes expériences, non? Et puis, en s’intéressant à Emmet, il découvre le destin tout aussi tragique de son père Louis Till, soldat américain pendu par l’armée américaine sous prétexte d’un crime qu’il n’a pas commis. Mais il est Noir et se trouvait au mauvais endroit. C’est suffisant pour être pendu. Pour rien. À vingt-trois ans. La vie d’un Noir ne vaut pas plus que ça. John Edgar Wideman cherche à comprendre le déroulement de l’enquête, il imagine les pièces manquantes, les mensonges successifs afin d’en arriver à une condamnation inévitable en cour martiale. Il met en évidence que le dossier d’instruction n’est qu’une fiction continue pour en arriver à faire pendre Louis Till. Qui meurt assassiné par l’armée des États-Unis. L’auteur se recueille sur sa tombe et tente un dialogue. Impossible. En fait, je comprends que John Edgar Wideman écrit pour se sauver lui-même. Et il navigue entre Till père et fils pour dialoguer avec sa famille à lui, ses ancêtres, sa mère. Et soudain, ces va et vient entre réalité et fiction me parlent à moi, lecteur. L’auteur évoque l’ensemble des Noirs victimes de discrimination au fil des siècles mais pas seulement. Il ne s’arrête pas là. Il exprime son incompréhension face au temps qui passe, temps passés et présents. Sa peur. Sa méfiance. Et il met en évidence une faiblesse du temps, qui n’est pas si inexorable que ça. Sa faiblesse, c’est qu’on peut le nommer. On peut le manipuler avec les mots. Souvenirs, mémoire, dates, silences, John Edgar Wideman s’infiltre par la brèche. On appelle ça la Littérature. Si l’auteur tente de sauver sa peau, son livre sauve aussi la mienne. John Edgar Wideman, grand auteur. Grand auteur. 




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