vendredi 1 mai 2020

Le dernier Lapon, d’Olivier Truc

Le dernier Lapon, d’Olivier Truc, éd. Métaillé Noir

Nous voici donc en Laponie (pour changer de ma douceur arctique qui m’est un territoire et beaucoup davantage) en plein hiver. Un crime est commis parmi les éleveurs de rennes (non, pas l’équipe de foot, non) et Klemet (un Sami) de la police des rennes secondé par Nina va essayer de découvrir le coupable, Ah, j’oubliais, on a aussi volé un tambour traditionnel au musée local. Excellent polar polaire où luttes politiques, intérêts économiques, Paul-Émile Victor et les paysages enneigés composent une fresque époustouflante. De très nombreuses qualités à ce roman: Des personnages bien campés, des descriptions qui enflamment l’imagination, une intrigue solide (On veut savoir! Vite, tournons la page!), des références ethnologiques captivantes, et une fin sublime! Et c’est bien écrit. En plus, je vais vous raconter la fin: elle arrive le jour de ma naissance, vendredi 28 janvier! 

Je vois de nombreux points communs entre le peuple des Samis et la réalité des Inuit ici, au Canada. Histoire de la colonisation, de la christianisation, de l'acculturation et de la sédentarisation forcée, et de l’exploitation industrielle du territoire au bénéfice unique des exploitants. Klemet, comme tout autochtone assimilé, à qui l’école des Blancs a volé la langue traditionnelle, manque de confiance en lui, il ne sait plus exactement qui il est, comment se situer, quelle est son identité. Il fait parti de l’institution des européens (la police) mais aussi travaille parmi les Samis, éleveurs de rennes comme son grand-père. J’ai beaucoup aimé, on l’aura deviné.

“Tout s’effondre”, de Chinua Achebe

“Tout s’effondre” (Things Fall Apart), de Chinua Achebe, éd. Actes Sud, roman traduit de l’anglais (Nigeria) par Pierre Girard. Okonkwo est un homme courageux, travailleur, fier. Par la force de son travail et d’une volonté de fer il devient un homme respecté de son clan et de son village. Nous suivons son destin d’homme ponctué par de nombreux rites, naissance, mariage, récolte, célébration, justice, fête. Un homme qui respecte les traditions dans ses moindres recoins, qui craint les Dieux, qui les écoute et qui dialogue avec. Un village africain dans toute sa beauté, en harmonie avec le temps. Dans son magnifique roman intitulé “Matisiwin”, Marie Christine Bernard écrit entre autres (je résume) que la colonisation (de l’homme Blanc) a apporté la laideur aux peuples autochtones. Dans “Tout s’effondre”, la laideur arrive dans le village par l’homme Blanc et sa religion. Il ne comprend absolument rien aux traditions ancestrales du village d’Okonkwo mais il n’est pas là pour comprendre, non, il est là pour convertir, par la persuasion et la force militaire qui l’accompagne. La fin, on la devine, hélas. Chinua Achebe donne à voir toute la rudesse, la richesse et la beauté d’un monde disparu à travers des épisodes choisis de la vie quotidienne d’un village africain. Les gens vivent, travaillent, souffrent, célèbrent, content et prospèrent dans un monde connu, réglé par une tradition d’une insoupçonnable complexité. Un grand cadeau que nous fait-là son auteur. Magnifique. Magnifique! Un grand merci à Blaise Ndala pour l’avoir présenté à l’émission “Plus on est de fous, plus on lit!” animée par la formidable Marie-Louise Arsenault.

“Un océan, deux mers, trois océans”, de Wilfried N'Sondé



“Un océan, deux mers, trois océans”, de Wilfried N'Sondé, éd. Mémoire d’encrier. Mon Dieu quel beau roman! Nsaku Ne Vunda, baptisé Dom Antonio Manuel, est un jeune et fidèle serviteur du Seigneur, brûlant d’une sincère foi catholique dans un petit village paisible sur les rives du fleuve Kongo, au début du XVIIe siècle. Choisi pour son honnêteté, sa foi véritable et son ignorance des enjeux politiques de l’heure, son roi “Manzou a Nimi, roi des Bakongos d’hier, d’aujourd’hui et de demain, appelé aussi Alvaro II par ses frères chrétiens depuis son baptême” l’envoie en ambassade à Rome. Il doit plaider auprès du Pape la fin de l’esclavage car les razzias qui dévastent les terres du Kongo affaiblissent humainement (et moralement) le pays. La loi du profit a remplacé l’intérêt commun à la base harmonieux et pacifique. Si le jeune prêtre pense aller en ligne droite jusqu’à Rome, terrible et impénétrable désillusion. Son interminable périple va le conduire à découvrir la bassesse humaine. Esclavage, trahison, torture, les bûchers de l’Inquisition, antisémitisme, barbarie sans nom... Lui qui ne rêvait que de pureté et d’amour tombe de bien haut. Le monde est divisé entre les puissants qui ne cherchent qu’à augmenter leurs profits par tous les moyens et la masse souffrante qui subit son destin sans aucune possibilité de fuite, de salut. Mais Nsaku Ne Vunda ne renonce pas. Non. Il doit mener à bien sa quête, ne serait-ce que pour témoigner. Il doit absolument rencontrer le Pape.


C’est une grand roman picaresque qui tente de nous fait ressentir, presque (bien sûr c’est impossible), la douleur de l’être humain réduit en esclavage, torturé sans cesse, vendu comme une chose. Le narrateur-témoin côtoie encore et toujours la douleur, il est impuissant, il ne peut la soulager et pire, il ne peut même pas dialoguer avec les victimes qu’il croise au hasard de ses pérégrinations mais il n’abandonne jamais. Comme il est écrit en quatrième de couverture, ce roman extraordinaire est “un plaidoyer pour la dignité et la liberté.” C’est également un grand roman d’aventure avec des personnages taillés dans l’acier, un long poème intérieur, une romance impossible, un conte triste, un récit de voyage incertain, une parabole. J’ai pensé plusieurs fois à Cervantes plus pour sa vie épique, soldat, prisonnier aux Barbaresques, lettré, que pour son Don Quijote qui va se battre contre des géants, évoqués dans notre roman. Le vrai voyage est intérieur, le corps n’est pas souvent à la hauteur des drames en ce début XVIIe siècle mais l’esprit de Nsaku Ne Vunda est indestructible. D’ailleurs, Stefano Maderno a réalisé son buste en marbre noir, et l’on peut découvrir une représentation de lui au Palais du Quirinal à Rome car il a vraiment existé. Indestructible, je vous disais. Faut lire ce roman. C’est important. 



“Lumières de Pointe-Noire”, d’Alain Mabanckou



“Lumières de Pointe-Noire”, d’Alain Mabanckou, éd. Seuil. 

L’auteur revient à Pointe-Noire (République du Congo ou Congo-Brazzaville) où il a grandi. Vingt-trois ans qu’il n’y est pas retourné. Alors, ça vous remue un peu l’écrivain, ça. Pointe-Noire, je dirais, c’est sa ville, où sa famille s’est peu à peu installée au fil des ans. L’auteur est invité à donner des conférences à l’Institut français qu’il connaît bien car “jadis (c’était) l’unique bibliothèque de la ville… que nous fréquentions régulièrement.” Il écrit aussi: ”Chaque fois que je monte les escaliers de l’Institut, je me rappelle que je les gravissais déjà à douze ans lorsqu’il n’y avait là-haut que des livres…” Ce livre est composé de souvenirs, de rencontres plutôt percutantes, mais aussi de portrait des membres de la vaste famille qui a vieilli, vingt-trois ans d’absence. Sa maman Pauline est morte lorsqu’il était loin de Pointe-Noire, et son papa Roger aussi. Mais les souvenirs demeurent et les gens qui durent malgré tout sont bien là, bien réels, avec leurs nécessités du moment ou la vieillesse, la maladie, Le plus beau portrait selon moi, le plus émouvant, est celui (bien sûr, celui de sa maman Pauline est très touchant, bien sûr) de grand-mère Hélène, sa tante, en réalité. Elle est très vieille, sans date de naissance précise, et qui passait son temps à coincer dans la rue les enfants de la famille pour leur donner de force à manger. L’auteur (j’écris “l’auteur” parce que si j’écris Alain, j’ai l’impression que c’est un peu moi hors, ce n’est vraiment pas moi, alors j’évite, l’auteur, c’est parfait, c’est beaucoup moins moi, quoique j’écrive aussi, c’est pas facile, les noms, c’est pas facile) l’auteur découvre grand-mère Hélène alitée, à l’article de la mort. Contre toute attente, elle reconnaît l’auteur et surtout l’ombre Blanche qui l’accompagne, et qui la sauve un peu. Un portrait magnifique! L’auteur reste une dizaine de jours à Pointe-Noire, il tient son journal, il nous l’avoue, dans le but d’écrire ce livre. C’est comme d’habitude un petit bijou. 

Il y a quelque chose que j’aime beaucoup chez cet auteur. Le ton, je crois. La sincérité, le style impeccable, ses phrases coulent, tu le lis et tu es emporté, pas de montagne à franchir, pas d’expédition himalayenne, non, tu ouvres un de ses livres et tu es emporté, c’est tout. C’est intéressant, instructif, terriblement émouvant, toujours, lui, il écrit avec son coeur, et souvent amusant. Un peu comme quand on discute avec lui. Il se trouve qu’il est né 27 jours après moi, alors cela me donne l’avantage de comprendre son temps à lui. Il a par exemple 29 ans en 1995, et moi aussi. Il était au lycée entre 1981 et 1984, et moi aussi, en série A, lettres et philosophie, comme moi. Et il est parti. Il n’y a cependant aucun rapport entre lui et moi, c’est un grand, lui, attention, il travaille fort, nous n’avons pas la même vie, et je l’aime bien, Alain, je l’aime bien.

 

vendredi 27 mars 2020

La facilité du lâche

Je suis auteur et j'ai choisi la facilité en décidant de trouver un travail régulier à côté de l'écriture. C'est lâche de ma part, je n'ai pas le courage des auteurs à plein temps qui osent tenter de survivre uniquement grâce à leur art. Toute mon admiration pour vous! Je n'ai ni votre force, ni votre détermination, sachez que je vous admire sincèrement. J'ai eu le bonheur de côtoyer le poète Yves Boisvert qui essayait de vivre de son art et ce qu'il me racontait de sa vie quotidienne n'était vraiment pas enviable. Yves représente pour moi le Van Gogh de la poésie au Québec.

jeudi 19 mars 2020

De pierre et d'os, Bérengère Cournut

De pierre et d’os, de Bérengère Cournut, éd. Le Tripode, 2019. Excellent roman, très beau, très poétique. La jeune Uqsuralik se retrouve soudain seule au monde après sa séparation d’avec sa famille sur la banquise capricieuse, qui a cédé. Va-t-elle réussir à survivre dans un monde aussi hostile que celui de l'Arctique? Va-t-elle rencontrer un groupe qui l’aidera plus ou moins? Sa vie est une épopée intime où cohabitent les esprits du monde marin et ceux de la terre, les vivants et les morts dans une nature qui dicte ses lois depuis la longue nuit des temps. Un très beau roman. Bon, j’ai déjà un peu lu sur le sujet et le ton très poétique de ce roman est unique. Les récits, les contes inuit sont remplis d’une violence et d’une poésie qui d’habitude me laissent sans voix, car je ne les comprends pas même si j’ai lu Saladin d’Anglure, Rasmussen, Boas ou Malaurie, et même si je suis moi-même allé brièvement en Arctique en février 2019. J’aime le roman de Bérengère Cournut parce qu’il me parle dans une langue familière et qu’il est rempli d’une poésie bienveillante. Oui, un très beau roman. La presse en général ne s’est pas trompée.



Cher virus (18 mars 2020)

Cher virus
tu nous tues
8732 morts à l’instant
pour presque 8 milliards de vivants
mars 2020 coincés comme des tortues
sous notre carapace d’immobilité
on t’attend on se cache
on se méfie on ne sait pas trop de quoi
ça a un nom mais ça se voit pas
alors on tremble mais
on crèvera pas à cause de toi
pas tous
pas cette année
on t’aura
que les jours sont bizarres
j’ai du mal à les croire
pandémie
pandémie mondiale
tous unis
pour une fois
tous menacés par la même menace
comme quoi on est bien tous pareils
les racistes peuvent aller se rhabiller
et pendant ce temps
les Italiens chantent sur leur balcon
ils ont eu 475 morts aujourd’hui
475!!!
les Italiens chantent ensemble
ils opposent l’art à la mort
l’image qu’on retiendra
et au combat les travailleurs de la santé
la première ligne
la mort en face meurent parfois
moi je suis coincé chez moi
je respecte les consignes d’isolement
payé quand même aucun souci
je me lève tard
je lis des romans
je regarde les informations
comme tout le monde
j’embête le chat
les magasins sont ouverts alors si j’ai faim
je fais les courses et je reviens
je prends un café
j’attends
tout va bien
je suis privilégié
mais c’est bizarre
y a comme un détail qui m’échappe dans cette affaire
un truc que je n’arrive pas à comprendre
y a quelque chose
quelque chose
peut-être parce que c’est la première fois
je sais pas
mais j’accepte
j’accepte
c’est comme ça
quand le vaccin sera prêt
je me ferai vacciner et on n’en parlera plus
à moins que cette catastrophe digne d’un film apocalyptique
ne nous rapproche enfin
nous les presque 8 milliards d’humains
ça serait bien
voilà

Alain Raimbault