vendredi 1 mai 2020

“Un océan, deux mers, trois océans”, de Wilfried N'Sondé



“Un océan, deux mers, trois océans”, de Wilfried N'Sondé, éd. Mémoire d’encrier. Mon Dieu quel beau roman! Nsaku Ne Vunda, baptisé Dom Antonio Manuel, est un jeune et fidèle serviteur du Seigneur, brûlant d’une sincère foi catholique dans un petit village paisible sur les rives du fleuve Kongo, au début du XVIIe siècle. Choisi pour son honnêteté, sa foi véritable et son ignorance des enjeux politiques de l’heure, son roi “Manzou a Nimi, roi des Bakongos d’hier, d’aujourd’hui et de demain, appelé aussi Alvaro II par ses frères chrétiens depuis son baptême” l’envoie en ambassade à Rome. Il doit plaider auprès du Pape la fin de l’esclavage car les razzias qui dévastent les terres du Kongo affaiblissent humainement (et moralement) le pays. La loi du profit a remplacé l’intérêt commun à la base harmonieux et pacifique. Si le jeune prêtre pense aller en ligne droite jusqu’à Rome, terrible et impénétrable désillusion. Son interminable périple va le conduire à découvrir la bassesse humaine. Esclavage, trahison, torture, les bûchers de l’Inquisition, antisémitisme, barbarie sans nom... Lui qui ne rêvait que de pureté et d’amour tombe de bien haut. Le monde est divisé entre les puissants qui ne cherchent qu’à augmenter leurs profits par tous les moyens et la masse souffrante qui subit son destin sans aucune possibilité de fuite, de salut. Mais Nsaku Ne Vunda ne renonce pas. Non. Il doit mener à bien sa quête, ne serait-ce que pour témoigner. Il doit absolument rencontrer le Pape.


C’est une grand roman picaresque qui tente de nous fait ressentir, presque (bien sûr c’est impossible), la douleur de l’être humain réduit en esclavage, torturé sans cesse, vendu comme une chose. Le narrateur-témoin côtoie encore et toujours la douleur, il est impuissant, il ne peut la soulager et pire, il ne peut même pas dialoguer avec les victimes qu’il croise au hasard de ses pérégrinations mais il n’abandonne jamais. Comme il est écrit en quatrième de couverture, ce roman extraordinaire est “un plaidoyer pour la dignité et la liberté.” C’est également un grand roman d’aventure avec des personnages taillés dans l’acier, un long poème intérieur, une romance impossible, un conte triste, un récit de voyage incertain, une parabole. J’ai pensé plusieurs fois à Cervantes plus pour sa vie épique, soldat, prisonnier aux Barbaresques, lettré, que pour son Don Quijote qui va se battre contre des géants, évoqués dans notre roman. Le vrai voyage est intérieur, le corps n’est pas souvent à la hauteur des drames en ce début XVIIe siècle mais l’esprit de Nsaku Ne Vunda est indestructible. D’ailleurs, Stefano Maderno a réalisé son buste en marbre noir, et l’on peut découvrir une représentation de lui au Palais du Quirinal à Rome car il a vraiment existé. Indestructible, je vous disais. Faut lire ce roman. C’est important. 



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