vendredi 29 mai 2020

“Huit leçons sur l’Afrique”, d'Alain Mabanckou



Lu: “Huit leçons sur l’Afrique” (données au Collège de France en 2016, plus trois autres textes) d’Alain Mabanckou, éd. Grasset. Ces leçons représentent une excellente introduction à l’histoire de la littérature en français du continent noir. La leçon inaugurale (magistrale et magnifique, à la fois savante et accessible, que j’avais eu le plaisir de suivre sur internet) est en soi une remarquable mise en contexte historique de cette littérature, ou plutôt de ces littératures, car loin d’être réducteur, le professeur Mabanckou présente différentes oeuvres au niveau entre autres des auteurs (leurs buts, leurs influences, leur contexte de production) et des lecteurs (la réception, l’interprétation, les préjugés). Ensuite est abordée la Négritude, avec ses origines, et ses critiques. La troisième leçon pour moi fut passionnante car elle aborde “la question du roman de la migration”, ou de la “migritude”, qui représente aussi une réalité de ce XXIe siècle que j’avais lue (je pense à Edem Awemey, à Sami Tchak, à Calixte Beyala…) mais que je n’avais pas nommée. Sont abordées ensuite les questions de “l’édition de la littérature africaine en France”, de la “Littérature nationale et (de la) démagogie politique” avec cette idée, ce projet profondément politique proposé par Patrice Nganang “d’écrire sans la France”, car la France est l’ancien pays colonisateur (coupable des horreurs de la colonisations). Alain Mabanckou répond à ces questions d’un point de vue humaniste, en recadrant le débat toujours de manière éclairée et généreuse. Il prend parti avec intelligence et humour, et je me demande (réflexion très personnelle) comment ne pas être d’accord avec lui. La leçon suivante porte sur “L’Afrique et la “France noire” face à leur histoire”, où l’auteur revient entre autres sur les polémiques qui ont suivi la publication de son essai “très personnel” (et important, lisez-le!) intitulé: ”Le Sanglot de l’homme noir”, dans lequel il renvoie ex-colonisateurs et ex-colonisés à regarder leur passé en face, où chacun porte une part de responsabilité. Les deux dernières leçons abordent l’image de l’enfant soldat dans la littérature, que veut-on montrer à travers sa représentation littéraire ? Et il répond pour conclure à la question qu’il ne pose pas (puisqu’il n’y a pas de point d’interrogation dans le titre, et cela me fait bien sûr penser à cette autre question à propos d’un autre génocide: comment écrire après Auschwitz?): “ Écrire après le génocide du Rwanda”. Car on a écrit, et peu de temps après. Les petits bonus à ces huit leçons sont l’avant-propos où l’on apprend pourquoi l’auteur a accepté cette invitation du Collège de France, ensuite son refus politique de “contribuer aux travaux de réflexion que vous (Le président de la République française) souhaitez engager autour de la langue français et de la (et c’est là où le bât blesse) Francophonie.” Mais il a accepté de rendre un hommage national (texte final de novembre 2018) aux “Tirailleurs Sénégalais.” 


Ce livre est magnifique parce que j’ai appris de nombreuses et passionnantes informations sur cette littérature que j’aime, parce qu’il est très clair, qu’il donne envie d’en connaître davantage sur le sujet (merci pour les pages de notes en fin de volume), et parce que c’est écrit avec finesse et humour, comme d’habitude chez Alain Mabanckou. À l’école, j’avais découvert Senghor, Césaire, et Camara Laye. J’ai ensuite lu Richard Wright, Martin Luther King Jr et Toni Morrison, et c’est à peu près tout (ce qui est déjà pas mal). Vers 18 ans, j’ai commencé à m’intéresser à la littérature des Caraïbes, puis à la bibliothèque de l’université de Poitiers (où j’ai étudié une année le droit avant de fuir vers l’espagnol) je suis tombé sur la thèse de Lilyan Kesteloot (que j’ai photocopiée, je l’ai encore) intitulée: “Les écrivains noirs de langue française : naissance d'une littérature” et cela m’a ouvert… des mondes. Après plus d’une trentaine d’années à lire cette littérature, je pense comprendre assez bien de quoi parlent ces Huit leçons. Ce livre est un peu pour moi une bibliographie intime. Je n’ai pas tout lu, loin s’en faut, mais j’ai lu un peu, et j’ai eu le grand plaisir de rencontrer quelques auteurs cités. Enfin, j’ai le bonheur de posséder une lettre manuscrite que le grand Ahmadou Kourouma m’avait adressée en 2001 (en réponse à une lettre que je lui avais envoyée en témoignage de mon admiration.) Il y avait donc avant pour moi Lilyan Kesteloot, puis Jacques Chevrier, il y a aujourd’hui le professeur Alain Mabanckou. Mon avantage enfin de n’être pas universitaire, de ne pas avoir étudié la littérature (ou si peu) à l’université, c’est ma liberté totale de l’aimer et d’en parler comme cela me chante. Ahmadou Kourouma m’a écrit que j’étais “un lecteur isolé”, et c’est une excellente définition. Isolé mais si bien entouré par les livres! Merci, Alain! 



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