samedi 6 février 2021

“La fabrique des salauds”, de Chris Kraus

 Lu en janvier: “La fabrique des salauds”, de Chris Kraus, traduit de l’allemand par Rose Labourie, 1100 pages! (Je n’ai lu que ce livre-là en janvier) éd. 10/18


Tout commence à Riga, en Lettonie (dans le Baltikum, oui madame), années 20. Koja Solm raconte la vie de sa famille d’origine allemande. À Riga, Baltes, Russes, Allemands et Juifs ne se mélangent pas, chaque communauté vit dans son coin. Koja est amoureux de Ev, sa sœur (adoptée!), mais c’est finalement son grand frère Hubert qui va l’épouser. Ça reste en famille. Dans les années 30, Koja et Hubert vont travailler pour les services secrets nazis, et pendant la guerre, ils vont participer à la Shoah. Ensuite, Koja, le narrateur, va travailler pour divers services secrets. Il n’a aucune morale commune, il passe son temps à mentir, à tromper, à trahir, à assassiner pour des motifs stupides. 

Ce gros roman est intéressant comme l’est “Les Bienveillantes”, de Jonathan Littell. Mêmes thèmes. Un type instruit devient un monstre sur le front de l’Est pendant la guerre. Les 500 premières pages, ça va, même si l’amour que Koja porte à Ev prend beaucoup trop de place. Ensuite, faut aimer les histoires de services secrets pendant la Guerre Froide, ce qui n’est pas vraiment mon cas, alors je me suis un peu ennuyé les 600 dernières pages. Bon, il y a des rebondissements, mais trop, c’est trop. Je l’ai quand même fini, ce qui n’est pas le cas de tous les livres que je commence. 


“Ceux qui sortent dans la nuit”, de Mutt-Lon

Lu: “Ceux qui sortent dans la nuit”, de Mutt-Lon, éd. Grasset


Alain, oui, Alain, qui habite à Yaoundé, capitale actuelle du Cameroun, se retrouve dans le village de sa grand-mère afin d’assister aux funérailles de Dodo, sa petite sœur à lui. Il décide de connaître toute la vérité sur les circonstances du décès. Il interroge sa grand-mère, une ewusu ou sorcière très puissante. Hélas, toute vérité n’est pas bonne à dire et une fois qu’elle va parler, la vie d’Alain bascule. C’est de sa faute. Il voulait savoir. Maintenant, il sait, et les événements se précipitent.  

Je ne peux en raconter davantage. 

Je peux cependant affirmer que ce roman est passionnant! L’histoire renferme un suspens insoutenable, je veux savoir comment Alain va s’en tirer. Tant de dangers risquent de compromettre sa quête. Aussi, il ne s’agit pas de sorcellerie bon marché où l’application d’une poudre, d’un onguent suivie d’un sacrifice modifient le destin d’une Nation. Non. Il s’agit plutôt du monde de Ceux qui sortent dans la nuit et la nuit, une deuxième vie existe, avec ses propres règles et ses innombrables dangers. Ce roman est très beau aussi car il nous fait découvrir une Afrique extraordinaire et afin de parler sans rien dire, si ce roman était un livre de la Bible, ce serait la Genèse, avant la catastrophe.

Difficile de raconter. Il faut le lire. Je n’imaginais pas qu’un tel roman fût possible. Vraiment, j’ai été renversé, soufflé par l’histoire et le rythme impeccable des phrases. Bravo, l'artiste. Belle prise de risque. Très beau roman, profondément original, unique. Une œuvre littéraire comme je les aime.

Impressions de lecture signées: Alain Daniel Raimbault (Ah, je suis en train d’écrire un roman dont le personnage principal s’appelle Daniel...) 

 

vendredi 29 janvier 2021

Images de Frida Khalo

 Frida Kahlo




(Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )
( Photographie prise par Gisèle Freund )

( Photographie prise par Gisèle Freund )




















samedi 19 décembre 2020

“Mathématiques congolaises” de In Koli Jean Bofane

“Mathématiques congolaises” de In Koli Jean Bofane, éd. Actes Sud


Le monde entier est un calculus, et Célio Matemona crié Célio Mathématik se pique de la savoir. Tout commence par une équation politique qui tourne vinaigre pour un pauvre figurant payé pour pas de chance. De fil en aiguille, entre ses amis qui doivent prendre la tangente dans les entrailles externes de Kinshasa et les angles infinis à arrondir, Célio s’interroge sur le sens de sa fulgurante carrière... OK, vous n’avez rien compris à ce que je viens de résumer? Normal. C’est voulu. Parce qu’en politique congolaise, tout n’est qu’apparence. Et pour les maintenir, jusqu’où va-t-on aller trop loin dans le mensonge, la corruption crasse et le crime? 

Je ne connais presque rien du Congo ni de son histoire politique, mais j’ai suivi avec passion le destin de l’orphelin (narration saisissante de la guerre civile durant laquelle il perd ses parents) Célio Mathématik qui tente de tirer son épingle du jeu, comme tout un chacun habité par la faim quotidienne. La faim justifie les moyens, et souvent ils sont définitifs. 

Je me souviens qu’un jour, en 1983, mon prof d’anglais affirmait que les gens ne veulent exercer le pouvoir que pour eux-mêmes. Ils aiment le pouvoir. En apprenti communiste que j’étais, je me disais que les gens au contraire devraient exercer le pouvoir pour les autres puisqu’ils sont élus. Hors, ce prof affirmait le contraire. Je ne l’ai jamais oublié. Et j’ai l’impression qu’en littérature, qui veut vraiment représenter le peuple termine assassiné. Ça ne se fait pas. Je ne veux pas paraître cynique mais la littérature n’est hélas que le pâle reflet de la réalité. Tout ça pour dire que Jean Bofane a la plume des grands. Il sait décrire, il sait emporter le lecteur, il sait maintenir le rythme, et même plus les pages défilent, plus tu trembles. La fin est haletante. Tu veux savoir. J’ai pensé aux grands écrivains latinoaméricains qui ont évoqué avec brio l’époque terrible des dictatures, et bien sûr à “La Vie et demie”, du géant Sony Labou Tansi. Ce roman, c’en est un grand. Comme son auteur. 

(Le problème, quand tu lis un grand roman et que tu as la prétention de devenir écrivain, c’est que la barre est haute pour faire aussi bien. Bien sûr, il ne faut pas se comparer, il faut écrire son œuvre à soi, celle qui te remue les tripes, mais comment tu veux oublier de telles lectures, hein? L’écrivain est d’abord lecteur, c’est là le problème.) 



"Western tchoukoutou” de Florent Couao-Zotti

"Western tchoukoutou” de Florent Couao-Zotti, éd. Gallimard


Le spaghetti du western béninois est liquide et se nomme tchoukoutou. Il rend nos trois larrons, les héros de la farce (à savoir un shérif rapide sur la détente, un cow boy fonceur et un cabaretier désespéré, amis d’enfance) mauvais. Ça oui ils l’ont mauvaise quand l’ex-beauté Kalamity Djane revient en ville (elle était pas morte? Mais oui elle était morte! Impossible que ce soit elle!!! Maman, un fantôôôme!) pour remettre en ordre son acte de naissance, vu que sa mort, on la connaît. Ça va brasser dans les chaumières de Natingou City. Le shérif se déplace en deux chevaux nerveuse, la vengeresse et son veuf inlassable amoureux un tantinet gratteux (ah, oui, il y a de l’amour aussi, et de la vraie poésie) en moto (le western, ça s’adapte), et ma chinoise préféré Lucy Liu… (ah, non, c’est pas elle) Xuo Luo (voilà) court dans tous les sens pour comprendre ce qu’il se passe. Même si elle mène son monde à la baguette, on peut pas toujours gagner. Surtout que Kalamity Djane, elle voit tout, elle sait tout, et c’est la plus rapide du far west. 

Je ne raconte pas la deuxième page. Ça, c’était la première. Un roman foisonnant, des personnages excessifs comme je les aime, et un humour à déplacer les montagnes. Tu ouvres ce roman et quand tu le refermes, tu l’as fini. Impossible de le lâcher. Cerise sur le gâteau, monsieur Couao-Zotti a du style, de l’élan, du panache. Il sait écrire. Et quel sens de la formule: “Ces malfaiteurs… tous de nationalité d’outre-montagne, étaient d’une stupidité à faire pousser des champignons dans le nez d’un barbu”... 

Ce roman jubilatoire m’a aussi fait penser non pas à Achille F. Ngoye, ni à Aïda Mady Diallo ni à Moussa Konaté (j’aurais pu mais j’ai pas… OK, j’ai un peu quand même pensé à eux, c’était inévitable) mais au formidable Janis Otsiemi surnommé le James Ellroy du polar africain, auteur entre autres de l’inoubliable et fantomatique : “Tu ne perds rien pour attendre”. Un livre en appelle souvent un autre. Ma maman me disait: “quand t’as su lire, t’as été sauvé.” Elle avait raison. Ce “Western tchoukoutou” est le genre de livre qui sauve. 



dimanche 25 octobre 2020

“ De purs hommes”, de Mohamed Mbougar Sarr



Lu: “ De purs hommes”, de Mohamed Mbougar Sarr , éd. Philippe Rey


Une vidéo circule. Virale. On y voit un cadavre être déterré d’un cimetière et traîné par une foule en colère, dans un coin non identifié au Sénégal. Le narrateur Ndéné, jeune prof de littérature à l’université va chercher à connaître l’histoire de cet homme expulsé sauvagement de sa dernière demeure. Au même moment, il découvre une note émanant du ministère qui conseille aux professeurs de ne plus enseigner les oeuvres des écrivains homosexuels. Voilà le noeud de l’affaire. La société sombre de plus en plus dans un conservatisme religieux islamique et qui appelle publiquement au meurtre des homosexuels. Il s’agit ici de foi, aucun argument raisonnable ne peut s’y opposer.
Voilà un très beau roman engagé, qui dénonce les dérives du fait religieux dans la société, qui explique les mécanismes de l'intolérance qui vont conduire au meurtre. La foi n’est ni raison, ni dialogue, ni justice. Elle est un mécanisme incontrôlable qui pousse les foules vers l'inhumanité. Le lecteur est prévenu. C’est aussi la quête d’un homme vers sa lucide vérité. Très bien amenée, la progression vers l’inévitable fin vous prend à la gorge. Ce livre est à couper le souffle. L’auteur l’a écrit dans la vingtaine. C’est exceptionnel. Mohamed Mbougar Sarr, un pur écrivain.



“Une guillotine dans un train de nuit”, de Jean-François Samlong



Lu: “Une guillotine dans un train de nuit”, de Jean-François Samlong, éd. Gallimard coll. Continents noirs

Je viens de lire un excellent roman policier. L’éditeur s’est seulement trompé de collection. Il aurait dû le publier en Série Noire. Humble avis. Le titre annonce la fin. Le lecteur comprend que le coupable va être coupé. Pourquoi ? Qui est-il? Réponse page 19: “... on voyait qu’il était un homme à fasciner la foule qui se berçait de l’espérance de vivre plus dignement demain.” Il s’appelle Sitarane, un surnom. Nous sommes sur l’île de la Réunion en 1909, ancienne colonie française où l’esclavage n’a pas été aboli depuis tant de d’années que ça. Les traîne la misère se cachent dans l’arrière pays. Sitarane se terre dans une grotte. Pourquoi va-t-il sombrer dans la violence, assassiner ? La raison est annoncée dès le début: pour recouvrer un semblant de dignité, et pour se venger personnellement des humiliations réelles et symboliques vécues depuis toujours. En faisant trembler de peur les bonnes gens qui ont du bien, il incarne la revanche des humiliés. Sitarane est un peu le chef d’une troupe de guérilleros a-politiques et sanguinaires, une sorte de nègre marron satanique. Il fait le mal la nuit, il assassine, il pille, il brûle les chaumières. Bien sûr, l’ordre colonial… pardon, la justice française ne peut tolérer cette rébellion, ce désordre. Elle envoie la gendarmerie et… Bon, j’ai menti. Ce n’est pas un simple roman policier. C’est l’origine d’une légende. Sitarane, né au Mozambique, devient après sa mort un esprit du mal, bien présent aujourd’hui. Il a perdu la tête mais pas l’esprit qui continue de rôder, la nuit, autour des chaumières, sur les chemins de campagne. L’histoire est passionnante. L’auteur prend le temps de nous éclairer sur les tourments viscéraux qu'endurent les protagonistes. En fait, la plus grande coupable dans l’affaire n’est-elle pas l’Histoire elle-même? Sitarane n’est-il pas un héros de roman naturaliste, à la Zola? C’est presque la même époque. Il serait devenu criminel par la force des choses, malgré lui, à cause de son mauvais génie le sorcier Saint-Ange qui le pousse à tuer, à cause de la pauvreté dont il a hérité dès sa naissance et dans laquelle il est maintenu par la société, enfin à cause de son tempérament incontrôlable. Face à la justice, il n’a aucune chance. Il est condamné d’avance, par les préjugés et le racisme ambiant.
Jean-François Samlong écrit rudement bien. J’ai été ébloui par sa verve, bien souvent j’ai vogué entre les tout-mondes de Patrick Chamoiseau et le réalisme merveilleux de Gabriel Garcia Marquez. Je suis à la Réunion en 1909 et je sens la nature si bellement nommée, je vous laisse découvrir, bruisser. Très beau.