mercredi 13 octobre 2021

«La plus secrète mémoire des hommes», de Mohamed Mbougar Sarr

Lu (trop vite) : «La plus secrète mémoire des hommes», de Mohamed Mbougar Sarr, éditions Philippe Rey en coédition avec Jimsaan


    Dès la première et magnifique citation de Roberto Bolaño tirée de «Les détectives sauvages» (pas encore lu, mais qui dit détective sous entend enquête, non?), je pense à son chef-d'œuvre intitulé «2666», (roman si cher à Sami Tchak, notre maître à tous) qui commence par la révélation suivante: Jean-Claude Pelletier a 19 ans. Il étudie la littérature allemande à Paris et découvre avec admiration le roman intitulé «D’Arsonval» d’un certain Archimboldi, écrivain mystérieux que va traquer Pelletier. Et à qui est dédié le roman de Mbougar Sarr? Au malheureux Yambo Ouologuem que je n’ai pu arracher de mon esprit en pensant à Elimane, le mystérieux écrivain sur les traces duquel va se lancer Diégane. Et voilà. Le roman n’est pas commencé que dès la dédicace et la citation, l’imaginaire est en mouvement. Les fictions de Bolaño, la biographie de Ouologuem. Enfin, j’arrive enfin à la première page, l’esprit en ébullition. Premier paragraphe, référence à Octavio Paz et à son magistral «Laberinto de la soledad», le labyrinthe de la solitude qui s’interroge sur l’identité mexicaine, sur l’identité. Deuxième paragraphe, qui se conclut ainsi: « sur l’âme humaine, on ne peut rien savoir, il n’y a rien à savoir.” Ce qui conclut vraiment ce roman. (Désolé, j’ai raconté la fin) Dès le deuxième paragraphe. Je trouve ça très osé et très fort. Il ne s’agit pas de pessimisme, il ne s’agit pas non plus de la réalité, cette maxime lance le lieu de l’action qui est: l’incertitude. À présent, nous allons voguer. Nous allons rencontrer le roman lumineux et maudit de T.S. Eliot… pardon, de T.C Elimane qui copie Borges. Elimane est le véritable auteur des textes plagiés, mais personne ne s’en rend compte parce que Borges n’a pas encore écrit le Quichotte, pour faire court, et personne ou presque ne comprend la grandeur du «Labyrinthe de l’inhumain» (comme personne ou presque après 68 n’avait compris «Le devoir de violence».) Mais qu’est-ce qu’une œuvre littéraire? Que faut-il lui sacrifier? Vous me répondrez, et le sexe dans l’histoire? Le sexe est heureux car le monde est d’abord saisi avec le corps. Le corps est l’expérience première du vivant, alors pourquoi se priver des plaisirs de la chair? J’ai tout de même compris qu’un personnage fait le lien entre sexe et amour. Un seul. Je me suis dit bêtement: il y a encore de l’espoir de ce côté-là.

    Si par hasard ou suivant un invisible destin vous êtes écrivain, vous allez adorer ce roman. Il parle de nous à chaque page, de nos interrogations, de nos aspirations, de nos souvenirs, de notre histoire personnelle, de nos échecs, de notre inconscient. Ce roman ambitieux, sublime, est fort, très fort. On s’incline devant l’artiste qui a osé.



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Voici ce que j'ai écrit pour le journal 20 Minutes et qui sera publié fin octobre:

Citation:
«Les gens veulent qu’un livre parle nécessairement de quelque chose. La vérité, Diégane, c’est que seul un livre médiocre ou mauvais ou banal parle de quelque chose. Un grand livre n’a pas de sujet et ne parle de rien, il cherche seulement à dire ou découvrir quelque chose, mais ce seulement est déjà tout, et ce quelque chose aussi est déjà tout.»

Il faut lire ce livre...

Parce que ce roman se lit un peu comme une enquête policière. Le lecteur suit la quête de Diégane qui est celle de découvrir qui est ce fameux T.C. Elimane, auteur d’un roman qui connut son heure de gloire en 1938 et qui sombra dans l’oubli. Avec Diégane, le lecteur traverse les époques historiques: la Première Guerre mondiale qu’aurait faite le père du mystérieux écrivain; la Seconde Guerre mondiale où ont péri des personnages. La décolonisation. La dictature en Argentine…

Parce que l’auteur nous invite à un voyage littéraire. Il rend hommage entre les lignes à un grand écrivain qui a bel et bien existé et qui connut, un peu comme T.C. Elimane, la gloire et le déshonneur après avoir publié un roman extrêmement puissant qui lui vaudra le prix Renaudot en 1968. Le roman s’intitule :«Le devoir de violence», et l’auteur malien un peu oublié aujourd’hui est Yambo Ouologuem. D’autres hommages sont également rendus à Roberto Bolaño, à Jorge Luis Borges, à Ernesto Sábato, à Ahmadou Kourouma ou à Sami Tchak, entre autres.

Parce que ce roman pose la question du destin de l’écrivain, et du destin du texte. Si Diégane cherche à découvrir ce que fut la vie de T.C. Elimane, il interroge également les sources: témoignages, lettres, journaux, critiques littéraires, photographies, et la question de la vérité historique se pose constamment. De plus, lorsqu’il s’agit d’un roman, se pose également la question de la lecture, de la bonne et juste lecture que souhaiterait l’auteur.

Parce que l’écriture est un voyage. L’auteur varie la longueur de ses phrases selon la situation. Il joue avec les niveaux de langues un peu comme le faisait Louis-Ferdinand Céline. Il n’hésite pas non plus à convoquer les fantômes. Il pose souvent une question et propose aussitôt deux ou trois alternatives, pour ne pas dire réponses car c’est davantage un principe d’incertitude qui fait progresser la narration. À la fin du livre, le lecteur comprend qu’aucune vérité n’est universelle et que l’incertitude est aussi douloureuse que grandiose.

L’intrigue

Diégane Latyr Faye, un jeune écrivain sénégalais découvre à Paris un chef-d'œuvre oublié publié en 1938. Ce roman s’intitule : «Le labyrinthe de l’inhumain.» Diégane se lance alors à la recherche de son mystérieux auteur, T.C. Elimane.

L’auteur

Mohamed Mbougar Sarr est né en 1990 au Sénégal. Il étudie en France. Il a reçu plusieurs prix littéraires. «La plus secrète mémoire des hommes» est son quatrième roman.

Comment j'ai ressenti ma lecture...

J’ai d’abord été intéressé par l’intrigue, par l’enquête, je veux découvrir qui est ce fameux T.C. Elimane, mais j'ai surtout été ébloui par le propos philosophique (entre autres) sur le destin. Enfin, le style littéraire est envoûtant. Un roman important, bouleversant. Qui touche à l'intime.

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Journal de lecture

Journal de lecture du roman de Mbougar Sarr: «La plus secrète mémoire des hommes».

Mercredi 6 octobre, le journal 20 Minutes (pour lequel je ponds de brèves chroniques littéraires) me propose de choisir un roman dans la deuxième sélection du Prix Goncourt 2021. La voici:

Christine ANGOT, Le Voyage dans l'Est, Flammarion
Anne BEREST, La carte postale, Grasset
Sorj CHALANDON, Enfant de salaud, Grasset
Louis-Philippe DALEMBERT, Milwaukee Blues, Sabine Wespieser
Agnès DESARTHE, L'éternel fiancé, L'Olivier
Clara DUPONT-MONOD, S'adapter, Stock
Abel QUENTIN, Le voyant d'Étampes, L'Observatoire
Mohamed Mbougar SARR, La plus secrète mémoire des hommes, Philippe Rey/Jimsaan
Tanguy VIEL, La fille qu'on appelle, Éditions de Minuit

Bien sûr, je choisis « La plus secrète mémoire des hommes» que je veux lire depuis longtemps mais qui n’est pas encore distribué au Québec. Je ne l’ai donc pas encore acheté, ni lu. J’aurais aussi aimé lire le Dalembert mais je devais faire un choix. Aussitôt dit, aussitôt fait. Je reçois le lendemain la version… pdf, électronique du livre. Nooon! Je déteste lire à l’écran. J’imprime donc les 460 pages, je range le gros paquet de feuilles perforées dans un classeur et je commence à le lire. C’est lourd à trimballer dans le sac à dos en plus de mes affaires habituelles: appareils photos, chargeur de batterie, objectifs, nourriture, café, autre roman, parapluie, stylo, clefs, téléphone, ordinateur portable… Je lis dans l’autobus, dans le métro, à la patinoire avant le match de ringuette de ma fille, dans ma voiture, dans mon salon, sur mon lit. Je me rends très vite compte que je ne suis pas obligé de transporter le livre entier, qui est redevenu une sorte de manuscrit, l’ultime étape des épreuves avant impression. Il n’est pas relié. Donc, le matin, j’évalue le nombre de feuilles que je vais être capable de lire en une journée et ne prends qu’un petit paquet. Le manuscrit est devenu une sorte d’horloge, ses pages divisent ainsi le temps. Aussi, en transportant avec moi un passage du texte, passage situé au milieu du livre, le livre qui n’en est plus un se trouve écartelé et pire, chaque page a repris sa liberté de feuille, chaque feuille comportant sa propre histoire. Même ,il m’arrive d’écrire un commentaire dans la marge, de transformer la page en palimpseste, un peu comme ces incunables du Moyen-Âge. Il a fallu attendre hier soir, le 11 octobre pour que le manuscrit soit réunifié après avoir été lu, pour qu’il redevienne un. Un presque livre. Que je vais bientôt jeter au recyclage car l’édition originale en papier et reliée devrait être disponible cette semaine à Montréal et je vais l’acheter pour environ 50$ canadiens à la librairie Archambault car j’ai gardé ma carte-cadeau offerte par mi amorcita Sandra pour la fête des pères en juin dernier. Ce journal de lecture est terminé non j’ai pris des photographies laissez-moi les chercher…..





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