jeudi 7 octobre 2021

«Un tueur sur mesure», de Sam Millar

Lu: «Un tueur sur mesure» («The Bespoke Hitman», en anglais d'Irlande du Nord) traduit magnifiquement par nul autre que Patrick Raynal, éditions Métailié. Il sort aujourd'hui en France. (7 octobre 2021)



Je lis Sam Millar toujours avec un immense plaisir et je me dis que la violence de ce roman est un peu l’écho de la véritable violence qu’a dû endurer l’auteur lors de sa jeunesse en pleine guerre civile entre les Républicains irlandais et le Loyalistes britanniques des années 1970 à 2000. Je regardais ces événements à la télévision. D’un côté, l'armée britannique dans les rues de Belfast, fusil au poing, des hélicoptères de surveillance sans arrêt dans le ciel, je me souviens, il y avait toujours ce bruit des hélicoptères lors des reportages. Et en face une population assiégée qui se défendait comme elle pouvait, qui répondait à la violence par sa propre violence. Une guerre civile à armes inégales. Pauvre Irlande du Nord. J’ai toujours pris parti pour les Irlandais du Nord, pour les Républicains. Parce que ce que je voyais à l’époque était inadmissible: une force d’occupation qui tirait sur une population assiégée. Moi, je voyais ça à la télé mais Sam Millar habitait Belfast, il était jeune et révolté, et il a payé très cher son engagement: 7 ans prisonnier politique à la terrible prison de Long Kesh. Et quand je le lis, ce n’est pas la vengeance qui domine dans ses romans policiers, ce n’est pas la pure violence ou l’absurdité des destins, non, c’est l’humour, la bienveillance (son personnage de Karl Kane est si attachant!), c’est, ô paradoxe pour un genre noir, l’humanité. Ses romans de plus en plus noirs sont lumineux.

https://www.20minutes.fr/arts-stars/livres/3127623-20211007-tueur-sous-pluie-sam-millar-bijou-humour-noir-terriblement-jouissif


« À l’extérieur de la charmante maison individuelle, la nuit était comme une armée de vieillards sans âmes et en haillons. Une sale pluie cognait contre les fenêtres, comme des ongles tambourinant dans un cercueil. Ou deux. C’était pour l’instant le seul bruit, à un moment où les frontières avaient été tordues et abandonnées, où la dynamique du pouvoir avait été passée au hachoir.»

Parce que
l’auteur tisse habilement plusieurs enquêtes. Le lecteur suit ainsi plusieurs personnages à travers lesquels il comprend qu’en Irlande du Nord, si la guerre entre Républicains et Loyalistes a officiellement cessé en 1998, les rancœurs persistent et les survivants de cette époque ne sont pas tous des enfants de chœur, loin s’en faut. Du reste, une phrase au début du roman résume bien cette idée: «L’IRA et l’armée britannique acceptaient d’arrêter de se tirer dessus, mais pas mal de gens trouvaient que la paix était un concept très inquiétant.»

Parce que
l’auteur pousse ses personnages à l'extrême, ce qui crée une tension incessante, comme si chacun continuait de vivre en état de guerre, ou de siège. Nul n’a oublié de quel côté il combattait entre 1969 et 1998, et cette tension persiste, même si elle s’exprime à présent dans un contexte purement policier. La vengeance personnelle est finalement le moteur de l’intrigue.

Parce que
ce roman est d’une noirceur absolue. Les scènes violentes (braquage, tabassages, enlèvements, tortures, exécutions, explosions) sont ponctuées par des dialogues caractéristiques du genre policier et teintés d’un humour dévastateur. Et pas un jour ou une nuit sans pluie. Cette oeuvre magistrale est un petit bijou d’humour noir terriblement jouissif.

L’intrigue

Un soir d’Halloween, trois repris de justice maladroits déguisés en loup décident de braquer une banque... aux coffres vides. Par hasard, un client bavard se fait assommer et voler sa valise qui, elle, ô miracle, n’est pas vide. Les propriétaires de ladite valise décident de la récupérer en douce, la police mène l’enquête et tout est vraiment mal parti pour nos trois malfaiteurs.

Les personnages

Les trois braqueurs de banque: Charlie Madden, Jim McCabe et Brian Ross. L’inspecteur Harry Thompson; l’agent Robert Boyd. Un groupe de «citoyens préoccupés» (et très préoccupants): Conor O’Neil, George Magee, Barney Dennison et Seamus Nolan.

Les lieux
Belfast, Irlande du Nord

L’époque
Tout début du XXIe siècle

Ce roman est une merveille d’humour noir, de références aux genres populaires et, pour les amateurs du genre, un ravissement total.

L’auteur
Sam Millar est né à Belfast. Il a fait de la prison en Irlande du Nord comme activiste politique et aux États-Unis pour le fameux casse de la Brinks. De retour au pays, il écrit des romans policiers. Il est traduit dans plusieurs langues.

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