mercredi 20 août 2025

Finaliste à des prix littéraires (mes livres) et prix reçus

 Finaliste prix littéraires


Hackmatack (Provinces Atlantiques du Canada)


Jacques Cartier Finaliste en 2013.

Les grands z'inventeurs  Finaliste en 2014
Alexander Graham Bell Finaliste en 2016

Joseph-Elzéar Bernier Finaliste en 2017

Joseph Broussard dit Beausoleil  Finaliste en 2018.

Championne d’expo-sciences ?  Finaliste 2015


Championne d’expo-sciences ? finaliste du Prix Mélèze Ontario 2016 

Finalistes au Prix Antonine-Maillet – Acadie Vie (Nouveau Brunswick)

  1. Partir comme jamais Finaliste en 2005

  2. Confidence à l’aveugle Finaliste en 2008

  3. Inventaire du Sud    Finaliste en 2011    


Le ciel en face, 2005. Finaliste Prix France-Acadie 2006. (Lauréat du Prix Émile-Ollivier 2007, au Québec)

Hier pour rien finaliste 2023 Prix littéraire Europe 1 - GMF, (France)

Mes livres pour la jeunesse ont souvent été en sélection communication-jeunesse


Prix reçus:

Prix Grand-Pré 2006 pour l'ensemble de son œuvre  (Nouvelle-Écosse)
Prix Émile-Ollivier 2007 (Pour "Le ciel en face"), au Québec
Prix de mérite pour un artiste établi 2007 (Nouvelle-Écosse)

mardi 5 août 2025

« À la racine », journal-poèmes

Mon dernier livre intitulé « À la racine », journal-poèmes, publié aux édtions L'instant même, le 16 septembre 2025
Je suis allé le chercher chez l'éditeur, ici mon éditrice Geneviève Pigeon. D'habitude je fais le travail de correction avec Jean-Marie Lanlo, mais cette fois ce fut avec lui pour la sélection des textes et avec Geneviève pour la correction. 





Voici ce qu'en dit mon éditeur:

Avec À la racine, la poésie devient l’écho du quotidien, saisissant ces moments fugaces qui, une fois couchés sur le papier, se révèlent être d’une profondeur insoupçonnée. Ce recueil prend la forme d’un journal-poèmes où chaque texte participe à une exploration plus vaste : celle du temps qui passe.
Sans suivre une ligne thématique rigide, À la racine propose une lecture en mouvement, où chaque poème trace une impression, esquisse une pensée, invite à une attention renouvelée au réel. Entre observations du quotidien et réflexions plus introspectives, le recueil d’Alain Raimbault laisse place à la sincérité d’une écriture qui privilégie l’instant plutôt que la démonstration.

Voici le texte du podcast ou balado que mon éditeur devrait publier fin août ou début septembre 2025: 



1. Ton recueil s’ouvre sur une déclaration forte : “seule la poésie compte”. Qu’est-ce que représente la poésie pour toi aujourd’hui ? Et pourquoi était-ce la forme juste pour ce livre?

La poésie aujourd’hui n’est lue que par les poètes, à la limite par les romanciers, par quelques enseignants et par deux ou trois lectrices extraordinaires. C’est un genre très peu populaire, profondément personnel mais il compte parce qu’il dit ce qui est impossible à formuler, l’indicible. Si la philosophie essaye d’expliquer ou de questionner notre existence, d’arriver à des questions essentielles, la poésie, elle apporte des réponses. Elle est la seule forme littéraire capable de nous envoyer dans les étoiles l’espace d’un cillement. Là où la philosophie cherche et dit, la poésie trouve et montre. Du grand art. Elle nous offre plus que des réponses, elle nous montre la voie du bonheur. Elle est une respiration. Cette forme s’est imposée naturellement pour ce livre. J’ai simplement eu envie d’écrire de la poésie. Je suis aussi nouvelliste et romancier, entre guillemet parce que je suis en réalité un poète qui écrit des nouvelles et des romans. J’écris en fait uniquement de la poésie. Poète un jour, poète toujours. Formule facile mais vraie, je ne vais pas porter de masque.


2. Tu as choisi de construire ce livre comme un journal-poèmes, entre fragments du quotidien et réflexions intimes. Comment cette forme s’est-elle imposée à toi?

Pourquoi un journal? Je me suis dit qu’il serait intéressant de traduire en poésie des événements du quotidien, sans garder ce matériel littéraire, le journal, en vue d’écrire plus tard une fiction, comme cela m’arrive souvent. J’ai décidé d’exprimer sans recul l’explosion du monde, la brutalité du réel, le silence du moment. Tout prendre sans filtre et le traduire en poème. Aussi, je me suis tourné vers mes souvenirs car il est impossible de vivre à 100% dans le présent. Dans le flux de conscience, cette petite voix fatigante qui n’arrête pas de nous parler, j’ai extrait des images, je parle beaucoup en image dans ma tête, mais j’écris avec des mots. Ce qui est intéressant pour moi, c’est aussi l’abandon du surréalisme qui était mon genre d’expression favorite. J’écrivais de manière surréaliste, mais je constatais que j’étais très peu compris. Alors, après bien des années d'incompréhension, j’ai changé mon fusil d’épaule et j’ai décidé d’écrire dans une forme sous-réaliste, à six pieds en dessous du réel, et dans cet espace, j’ai la certitude d’être beaucoup mieux compris car il semblerait que vivrions sur Terre.


3. On croise dans ces pages des figures tutélaires : Charles Bukowski, John et Dan Fante, Raymond Carver... Que partages-tu avec ces écrivains du brut, de la marge, du quotidien et du désenchantement?.


Je vis au Canada anglais et français depuis 27 ans. Je suis toujours l’actualité littéraire de mon pays d’origine, la France, avec grand intérêt. J’ai découvert la littérature acadienne et québécoise parce que j’en fais partie, cette littérature est devenue mienne, intime. Le temps passant, et mon anglais s’améliorant aussi, je me suis peu à peu tourné vers des auteurs nord-américains. D'abord vers les romans de John Fante, dont “Ask the dust”, “Demande à la poussière”, qui m’a impressionné, ensuite vers les nouvelles de Raymond Carver, et de fil en aiguille j’en suis arrivé à la poésie de Bukowski. On classe ces écrivains dans le mouvement ou genre littéraire du Dirty realism, ou réalisme sale, ce qui pour moi est une insulte à leur art. Il n’y a rien de sale à leur littérature. Est-ce que Beaudelaire était un sale écrivain à cause des thèmes qu’il abordait? Non, ces écrivains m’ont appris l’abandon de toute flagornerie, de toute préciosité. Surtout, écrire vrai sans vouloir épater la galerie. Aller à l’essentiel, ne pas jouer à l’écrivain qui se regarde écrire ou au poète qui se regarde poéter. Non, pas du tout. Faire simple et direct, évoquer une expérience commune avec celle de la lectrice ou du lecteur. En tirer quelques images. Je ne pense partager ni l’alcoolisme suicidaire, ni le désenchantement de ces auteurs. Certes le monde est désespérant mais il est possible d’en tirer une phrase ou deux pour continuer à espérer. Je tente de voler à Bukowski la forme de ses poèmes mais je suis un piètre plagiaire car comment écrire en dehors de moi, hein? Comment m’oublier? Si Arthur Rimbaud à affirmé: Je est un autre, moi, je n’y parviens pas. N’est pas Rimbaud qui veut.

4. Tu dis que tu t’es “obligé à écrire trois poèmes par jour”, comme une discipline vitale. As-tu besoin de cette contrainte pour écrire ? Et comment sais-tu qu’un poème mérite d’être gardé?

Non, je n’ai besoin d’aucune contrainte pour écrire, au contraire. L’écriture me vient d’instinct, sans préparation. Je m’assois face à mon carnet ou à l’écran de l’ordinateur et je laisse venir. L’expression “trois poèmes par jour” me vient d’un documentaire mexicain sur un étudiant-ingénieur qui, pour réussir ses études, disait: je peux sortir danser, faire la fête mais quand je reviens à la maison, j’étudie “trois heures tous les soirs”. À la fin du documentaire, il reçoit fièrement son diplôme et travaille dans une station d’épuration des eaux usées de la ville de Mexico. Il vient de nulle part, il a travaillé fort et il est fier d’être le responsable des travaux d’une station d’épuration. J’ai juste changé les soirs en jours et les heures en poèmes. Je me compare beaucoup à cet ingénieur qui a réussi et qui répare. Moi aussi, quand j’écris, j’ai l’impression d’avoir réussi, et la publication de mes poèmes en livre est une forme de reconnaissance académique, de diplôme. Moi, qui ne viens de nulle part, je suis admis dans le vaste monde littéraire. Je répare aussi quelque chose, ou quelqu’un. Moi, peut-être. Pour ce qui est de savoir comment savoir si un poème mérite d’être gardé, il suffit d’attendre. Si le lendemain ou un mois plus tard je sens qu’il est bon, je le garde. Si je sens qu’il a perdu ses ailes, je le supprime. De toute manière, j’en écrirai un de bien meilleur demain.


5. Tu écris souvent en gardant à l’esprit ta fille, tes proches, ou même des lecteurs imaginaires. Est-ce que tu écris en pensant à qui te lira ? Quelle relation entretiens-tu avec le lecteur, dans un livre aussi personnel que celui-ci?

Je m’adresse effectivement à la personne qui me lit. Elle me lit toujours dans le présent, c’est la magie du texte écrit. Un livre est intemporel. Il parle toujours au présent, quel que soit ce présent. Oui, j’entretiens une relation serrée avec le lecteur parce que je lui parle de lui et il le sait. Il sait que ma poésie le concerne directement, comme une fable, une parabole, un accident. Je pense qu’il faut toujours tenir compte de la personne qui va nous lire pour la première fois, qui ne nous connaît pas et qui doit comprendre sans hésitation chaque mot, chaque sous-entendu. Une fois les vers compris, la magie opère peut-être et là, je n’y suis pour rien. J’offre le scénario, le lecteur l'interprète. À la fin, c’est toujours le lecteur le grand inventeur. Si la question est: pour qui j’écris? Ma réponse est: j’écris. Je ne peux savoir pour qui en particulier car le destin des livres est impénétrable. Dans le présent il y a mes proches, mes lectrices et mes lecteurs, mais dans le futur, ce présent de demain, il y a aussi un lectorat qui attend. Je les vois. Je ne les connaîtrais jamais. Je n’écris pas pour, j’écris avec. Avec la personne qui me lit. Nous écrivons ensemble, toujours, partout.

6. Que voudrais-tu que ce livre laisse au lecteur ou à la lectrice quand il ou elle le refermera? Une émotion, une lucidité, une voix?

Oui, une voix, une petite voix, une voix off sans mot, une voix de sous-titres. Et j’aimerais laisser des impressions. Des images utiles. Si ce livre ne laisse rien, il ne laisse rien dans la conscience, mais chaque texte lu nous transforme, chaque phrase entendue fait de nous une nouvelle personne, nous changeons presque d’identité. Quoi qu’il se passe, je sais que j’aurai semé une graine. J’aimerais que ce livre rapproche, qu’il laisse une sensation de proximité, de béatitude. Kerouac aimait bien le terme Beat Generation car beat se dit béat en français, synonyme de sérénité.


7. Pour finir, peux-tu nous lire un extrait de ton choix?


ces années à chercher le poème

à lire le livre

à croire au Père Noël

à vivre ici et là

feuille poussée par le vent

parmi les gens qui cherchent

l’argent

la paix

un travail raisonnable

une médaille

et ce que j’ai trouvé ne pourra jamais s’écrire

https://soundcloud.com/user-379196699/alain-raimbault-nous-parle-de-son-journal-poeme-a-la-racine 

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Voici l'avant-critique que Christian Dorsan a écrite pour le site ActuaLitté.com publiée le 19 août 2025

https://actualitte.com/article/125618/avant-critiques/a-la-racine-journal-intime-d-un-poete-entre-deux-rives 


À la racine : journal intime d’un poète entre deux rives


La poésie puise son inspiration dans le quotidien… à condition de savoir la reconnaître. Depuis son Québec d’adoption, Alain Raimbault nous livre sous forme de journal intime, des bribes de sa vie, ses impressions, ses pensées, ses interrogations pour affronter le temps de la réalité.


Publié le :    19/08/2025 à 10:10





Cette réalité faite de conflit, de violence ou d’injustice s’oppose à son confort, à sa vie de famille, bien au chaud dans sa maison. La réalité est un inventaire à la Prévert dans lequel se mélangent futilités, tracas ou tragédies de l’actualité comme si l’horreur était mise sur le même plan que les autres, comme si le tragique faisait partie du quotidien.

De son origine, il garde une certaine nostalgie d’une enfance heureuse et innocente, une vie simple « mon village/mes pierres/mes lézards mes têtards mes couleuvres » qui contraste avec sa vie citadine « REM du matin/je remarque les chaussures/à la place des yeux/des passagers/des chaussures bien propres/bien cirées/bien lacées ».

Ses réflexions portent sur son identité de nomade car pour lui : « c’est rester qui m’angoisse », bientôt, il aura passé plus de temps au Québec qu’en France, ce qui le rend sensible aux questions des communautés autochtones dans lesquelles sa fille aînée aujourd’hui vit et travaille. Alors que reste-t-il de lui entre ces cultures ?

Un poète, un homme qui écrit, qui se penche sur ses contemporains, qui regarde les autres : « on recherche chez l’autre/des similitudes/des angles connus/un lumineux réconfort/une habitude/qui finiront par nous faire/pleurer de désespoir » et feuillette sa vie on comme on lit distraitement un magazine, s’attardant sur certaines photos, passant sur des articles.

Lire Alain Raimbault, c’est visiter un ami qu’on aurait perdu de vue, et qui nous explique son travail : « je tente de saisir l’instant/sans exagérer la description/ne pas tout donner/ne pas tout voler non plus », parle de ses passions : « quand je lis romans et poésie/le temps suspend son vol/seul le temps s’arrête/face à la beauté/l’unique promesse d’éternité ».


Heureux de le retrouver, il nous confie qu’il ne reviendra plus en France, et qu’il est sage de contempler le temps qui passe avec la mort au bout de la route : « pourquoi désirer l’éternité ? /vivre n’est pas assez difficile ? ».

Lire À la racine, c’est partager un peu la vie de cet exilé entre Québec et enfance, entre réalité et impressions, trouver ce qui nous révèle ou trahi dans le quotidien.



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En octobre 2025, le journaliste littéraire Marc Sony Ricot et son photographe Lesly Dorcin sont venus chez moi pour enregistrer l'émission 

Des fous et des dieux

Alain Raimbault, ce que la poésie retient du monde

Dans ce nouvel épisode de Des fous et des dieux, on reçoit Alain Raimbault, poète et écrivain. Il vient de publier À la racine, un journal-poème paru aux éditions L’Instant même.

C’est un livre intime, traversé par la vie, l’amour, la mémoire et cette lutte douce qu’est l’écriture. Une parole qui cherche à comprendre ce qui nous relie, ce qui nous fait tenir debout malgré les absences, les blessures, les jours qui passent.

Equipe du podcast
Présentation: Marc Sony Ricot
Réalisation: Ritzamarum Zétrenne & Marie-André Belange
Graphiste: Carlin Trézil
Photographe: Lesly Dorcin
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Hébergé par Ausha.
















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Publié le 12 novembre 2025    Site    D’Ailleurs poésie


Alain Raimbault : À la racine

par Florent Toniello | 12.11.2025 | Chroniques des recueils

« je m’oblige à écrire trois poèmes par jour / trois / ou plus / selon affinités / toujours une surprise de me relire le soir / et si je ne m’étais contraint à rien / je n’aurais pas écrit ce recueil / né d’un hasard forcé » : à mi-volume d’À la racine, Alain Raimbault lève le voile sur sa routine d’écriture, celle qui l’a conduit à rédiger l’ouvrage qu’on tient en main. Il enfoncera d’ailleurs le clou dans le tout dernier texte : « si je frappe Alzheimer un beau matin / ce sera la fin / la mort blanche / raison pour laquelle / chaque jour / trois poèmes ». Et pourtant, la routine de trois poèmes quotidiens (« après le silence / seule la poésie compte ») est bien la seule à laquelle il entend se soumettre. N’affirme-t-il pas que « le jour où nous recevons un salaire régulier / une large partie de notre cerveau / cesse de fonctionner / un œil se ferme / nous ne respirons plus qu’à moitié // l’argent est une épidémie dévastatrice / je le sais / je l’ai essayé », entre autres réflexions sur le sujet (écouter à ce propos également l’extrait audio) ?

Le mot est écrit : il s’agit bien là d’une poésie de réflexion, ancrée dans des bribes d’existence, faite de courtes narrations dans un langage simple (ce n’est pas un hasard si Bukowski revient plusieurs fois dans le livre et se voit citer en exergue). Le poète porte son regard acéré sur ces épisodes, les transformant en petites leçons de philosophie. La nostalgie de l’enfance (« je viens d’une jeunesse de garrigue / de fenouil et d’asperges sauvages / et je me demande bien chaque matin / ce que je fabrique / dans cette frigorifique Amérique / de série B »), la vie quotidienne actuelle fournissent leur lot d’histoires éclectiques ; celles-ci n’ont pas besoin d’être spectaculaires, puisque « y a toujours un auteur pour / raconter sa journée passée à regarder par la fenêtre / même quand personne ne passe ». Or une interrogation émerge : « l’écrit / de l’oral à rabais », « quand l’oral transmet depuis la nuit des temps / ces émotions indélébiles » ? Car Alain Raimbault nous entretient aussi de ses doutes, qui naissent paradoxalement de son rapport à la poésie : « pourquoi je suis pas simplement / plombier / une personne qui détient les outils pour / résoudre les problèmes / genre psychiatre des tuyaux / on m’aimerait pour quelque chose ». Eh oui, il faut « tant d’efforts / pour être lu ». Et le poète de nous raconter les manuscrits refusés, une éditrice enthousiaste qui ne rappelle jamais… « il manque une case / une sacrée case aux timbrés / qui donnent à lire leur je-me-moi / parce qu’après cette profanation / il leur reste quoi au juste ? » Le livre est là pourtant, avec ses mots simples en apparence, profonds dans leurs intentions. Même si « la poésie n’a jamais nourri les entrailles de personne / citez-moi un poète riche ? », l’argent n’est évidemment pas l’objectif.

Coincé dans les bouchons, l’auteur joue de malchance : « bien sûr les autres voies avançaient plus vite / que la mienne / et quand croyant bénéficier de l’élan / j’en changeais / immobilisation soudaine / mon ex-voie débarrassée de moi / se mettait alors à filer à un train d’enfer ». Il s’interroge devant sa télévision : « je me demande si les habitants de Gaza bombardée / lisent Mahmoud Darwich en ce mois de janvier / et quelle poésie naîtra des cendres ». Les souvenirs reviennent au gré des lectures : « par son journal / Anne Frank m’apprend que ma mère / est née un dimanche / jour de bombardements dans le nord d’Amsterdam / dimanche 18 juillet 1943 / je lis une époque / que je n’ai heureusement pas vécue / quelques jours plus tard / ma mère s’est fait tirer dessus à la mitraillette / dans la cour de la ferme / par les Allemands qui occupaient le village ». Alain Raimbault fait feu de tout bois, capte la poésie dans tous les événements qui l’entourent, l’ont entouré ou l’entoureront : « un jour / l’humanité fera un bond de géant / en remplaçant la voiture individuelle / par le cheval ». Avec générosité, il se met à nu dans un journal quasi intime pour partager une humanité, justement, qu’il importe encore de consigner par écrit : « la radio a été pour moi / mon ouverture sur le monde / me permet de tout imaginer / bonheur parfait / les écrans / ont créé la plus grande crise climatique / cérébrale / ils ont tout / asséché ». Coûte que coûte, pour faire face, la poésie avance dans ses pages. « tout est livre / (on se comprend) ».

Alain Raimbault, À la racine. Journal-poèmes, éditions de L’Instant même
ISBN 978-2-89873-037-5 (format papier)

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Vendredi 7 novembre 2025, je suis allé à l'Université de Montréal enregistrer l'émission...

Cette fin de semaine Poésie par mots et par vaux reçoit le poète et romancier Alain Raimbault.

Alain Raimbault a étudié l'espagnol à l’Université de Poitiers avant de devenir enseignant de Français en France, en Nouvelle-Écosse et maintenant dans une école secondaire publique de Montréal.
Nous discuterons autour de son dernier recueil intitulé À la racine, paru aux Éditions L'instant même, pour comprendre comment le journal-Poèmes gère l'épreuve de l'actualité.
Aussi pour comprendre de son livre la temporalité des faits, sa brièveté narrative, sa syntaxe obéissante et sa typologie instable.
Diffusion:
16 novembre 2025, midi,
CISM : 89.3,
Disponible sur Appel, Podcast et Spotify.
Présentation : Markendy Simon
Bonne écoute


Avec l'animateur Markendy Simon, qui m'a posé d'excellentes questions, c'était un vrai plaisir. Je ne connais pas le nom du monsieur qui a pris la photo. 

L'émission a bien été diffusée Dimanche 16 novembre à midi



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dimanche 20 juillet 2025

«L'équation avant la nuit», de Blaise Ndala

Lu: «L'équation avant la nuit», de Blaise Ndala, éd. JC Lattès.


Ce roman sur le projet de construction de bombe nucléaire par Hitler durant la seconde guerre mondiale se lit comme un roman policier. Nous partons d’un message inquiétant que reçoit une professeure à Washington DC, pour remonter ensuite la filière nucléaire qui va nous amener de Belgique au Katanga en passant par le Chili et le grand nord canadien. Qui a envoyé les messages menaçants? Quel rapport entre ce scientifique allemand et Beatriz, la professeure? Quel rôle joue dans l’affaire ce jeune prince Lunda étudiant en Belgique en 1943? Mystère dès le début, enquête haletante, personnages intenses et torturés, ce roman dévore comme un feu intérieur. Il est également une fable morale sur la science sans conscience et la ruine des âmes. Sur l’importance de la réparation. Sur le dilemme entre rester fidèle à sa communauté, à sa patrie, à son peuple, voire à sa minorité ou à soi-même et la trahison. Entre autres, il est reproché à Daniel Zinga, le célèbre écrivain, acolyte de Beatriz dans cette enquête identitaire pour le moins originale, de trahir sa communauté. Mais qu’est-ce que «sa», ou la communauté d’un écrivain? Certes Daniel vient d’Afrique, il est noir, mais il est aussi écrivain. Il ne peut être réduit à deux caractéristiques. Il ne les nie pas, bien sûr, mais il est aussi autre chose. On ne peut réduire une personne à ses origines, n’est-ce pas ? L’identité est un concept toujours en mouvement, en transformation, et la solution de facilité est de coller une étiquette définitive.

Par ce roman, j’ai d’une part beaucoup appris sur la course à la bombe atomique dans les années 40, et sur le processus de réparation pour les peuples victimes de l’extractivisme colonial. Passionnant ! D’autre part, j’ai beaucoup aimé le principe de l’enquête, partir d’un problème causé aujourd’hui et remonter le cours de l’histoire pour trouver des réponses, la narration à rebours. L’auteur est un maître en la matière. Le roman pose aussi la question de la culpabilité du traître et ses tourments. Il évoque enfin sans équivoque et avec un certain humour la corruption des élites africaines, plus intéressées par le profit personnel que par le destin des peuples qu’elles sont censées servir. Bref, Blaise Ndala affronte sans complaisance aucune sous le biais de la fiction des sujets sensibles, au niveau de l’humain et de l’universel. « L’équation avant la nuit» est un vaste roman, un grand roman. Chapeau, l’artiste!!! Il sort pile dans un mois en librairie, le 20 août Chez JC Lattès (France) et le 27 octobre chez Mémoire d’encrier (Canada).


https://www.editions-jclattes.fr/livre/lequation-avant-la-nuit-9782709676212/ 

 https://memoiredencrier.com/catalogue/l-equation-avant-la-nuit/

Ces impressions de lecture ont été publiées sur le site d'Afrolivresque



dimanche 13 avril 2025

Liste de ma soixantaine de critiques de livres pour le quotidien 20 Minutes (France) 2021-2024

Mes critiques ont presque toutes été publiées entre mars 2021 et septembre 2024

Un grand merci à Stéphane Leblanc qui m’a accepté dans son équipe de lectrices-lecteurs à 20 Minutes et qui m’a fait envoyer les livres par les éditeurs. Mes critiques étaient publiées en ligne, mais parfois dans la version papier du journal, dans toute la France. Cela m’a fait immensément plaisir.

Un grand merci aux attaché(es) de presse des maisons d’éditions pour leurs très agréables correspondances avec moi.

Un immense merci aux maisons d’éditions qui ont repris des phrases de mes critiques sur leur site internet, ou sur la couverture de leurs romans, ou en bandeaux publicitaires.

Un merci infini aux auteures et aux auteurs qui m’ont fait passer de merveilleux moments de lecture!!!


10 septembre 2024 La vie infinie, de Jennifer Richard


19 août 2024: « Le harem du roi », de Djaïli Amadou Amal, éditions Emmanuelle Collas

18 août 2024: Frapper l'épopée, de Alice Zeniter, éditions Flammarion

16 août 2024 « Jacaranda » de Gaël Faye, éditions Grasset

3 août 2024: « Cette femme qui nous regarde » d’Alain Mabanckou, éditions Robert Laffont

Le pacte de l'eau, de Abraham Verghese

La Reine aux yeux de lune, de Wilfried N'Sondé

Nos destins sont liés, de Walid Hajar Rachedi

Les femmes de Bidibidi, de Charline Effah

Le jour des caméléons, de Ananda Devi

Lettres à un jeune romancier sénégalais, de Alain Mabanckou

Veilleuse du Calvaire, de Lyonel Trouillot

Croix de cendre, de Antoine Sénanque

Portrait huaco, de Gabriela Wiener

Adieu Tanger, de Salma El Moumni

Rose nuit, de Oscar Coop-Phane

Lemon, de Kwon Yeo-sun

Comment sortir du monde, de Marouane Bakhti

Où vont les ombres quand la nuit vient, de Alain Gordon-Gentil

Mon cœur bat vite, de Nadia Chonville

Topographie de la terreur, de Régis Descott

«Harlem Shuffle», de Colson Whitehead

Morituri, de Patrick Rambaud

Neige sur Ballyglass House, de John Banville

Une somme humaine, de Makenzy Orcel

Stardust, de Léonora Miano

Open Water, de Caleb Azumah Nelson

La nièce du taxidermiste, de Khadija Delaval

Le cartographe des absences, de Mia Couto

Le grand baobab bleu, de Daniel Schick

«Jouissance», de Ali Zamir

En guerre(s) pour l’Algérie (Témoignages), de Raphaëlle Branche

«Dévorée», de Coralie Akiyama

W. ou la guerre, de Steve Sem-Sandberg

Gens du Nord, de Perrine Leblanc

Balak, de Chawki Amari

La Transmission, de Éliette Abécassis

Pour tout vous dire, de Joan Didion

Sombre éclat, de Jean-Marie Quéméner

«Vers Calais, en Temps ordinaire», de James Meek

«L’Abolition des privilèges», de Bertrand Guillot

À nous la Terre, de Collectif

Le manuscrit de Birkenau, de José Rodrigues Dos Santos

Rends-moi fière, de Nicole Dennis-Benn

La plus secrète mémoire des hommes, de Mohamed Mbougar Sarr

On l'appelait Maïco, de Yseult Williams

Batouala, de René Maran

«Un tueur sur mesure», de Sam Millar

Au moins le souvenir, de Sylvie YVERT

Madame Hayat, de Ahmet Altan

«Le Français de Roseville», de Ahmed Tiab

«Neuf ans parmi les Indiens», de Herman Lehmann

«Soleil à coudre», de Jean D'Amérique

Le magicien d'Auschwitz, de J. R. dos Santos

Combats, de Néhémy Pierre-Dahomey

«La mer Noire dans les Grands Lacs», de Annie Lulu

«J'ai tangué sur ma vie», de Maryssa Rachel

Dans le ventre du Congo, de Blaise Ndala


23 mars 2021 : Même les extincteurs rêvent de gloire, de Arthur Zingaro, Éditions du Horsain

« Jacaranda » de Gaël Faye, éditions Grasset, ma critique pour le quotidien 20 Minutes (France)

 16 août 2024: « Jacaranda » de Gaël Faye, éditions  Grasset



Ma citation préférée :

« J’observais les gamins s’amuser comme on se venge de tout - des enfances gâchées, des bagarres de rue, des coups de couteau et de machette, des nuits à dormir dehors, des overdoses de colle à sniffer, des familles décimées, de la misère crasse, de l’alcool frelaté, des viols, des maladies, de l’indifférence ou de la pitié des honnêtes gens. Ce soir-là, les enfants se tressaient des lauriers, chantaient leurs propres louanges, étaient princes et princesses en leur Palais. Toute leur énergie tendue vers la simple joie d’être en vie.» »

Pourquoi ce livre?Parce que le lecteur suit la quête de Milan qui vit à Versailles. Faute de connaître l’histoire familiale de sa mère Tutsie qui refuse de raconter, il va aller au Rwanda à plusieurs reprises afin de se trouver. Les différents moments de sa vie au pays de sa mère vont se révéler de plus en plus dramatiques. Plus il découvrira les lourds secrets des gens autour de lui et plus il aura envie de comprendre. Ce roman est à la fois celui d’une quête d’identité personnelle et le constat saisissant d’une société malade d’un génocide, qui cherche des moyens pour guérir.

Parce que l’auteur évoque entre autres les audiences des tribunaux gacaca où victimes et bourreaux se faisaient face afin que justice se fasse. Des moments intenses pour que victimes et bourreaux puissent ensuite continuer à vivre dans un même pays. Cet effort de réconciliation des est le prix à payer pour arriver à une certaine paix sociale, sans pour cela éteindre complètement des désirs de vengeance, ni consoler complètement les survivants, ni effacer la culpabilité de certains. Plus le roman avance et plus le lecteur découvre la complexité de vivre dans un pays après un génocide.

Parce que l’auteur ose aller au bout des témoignages des victimes, qui sont insoutenables, mais aussi des bourreaux, dont certains révèlent l’emplacement des fosses où ont été jetés enfants, parents et grands-parents. Il faut vraiment du courage pour écrire un tel roman car les massacres de 1994, qui ont été précédés par d’autres massacres de Tutsis, ne sont pas si éloignés du présent, et ce roman aura des échos douloureux chez bons nombres de lecteurs. La fiction ici éclaire vraiment la réalité.

Parce que c’est un roman qui nous concerne toutes et tous car il montre sans équivoque les terribles conséquences de discours racistes, et l’on se souviendra que l’Europe, il n’y a pas si longtemps, a aussi vécu un génocide.

L’essentiel en 2 minutes

L’intrigue. Milan, de père français et de mère rwandaise, va séjourner plusieurs fois au Rwanda afin de découvrir la vérité sur sa famille maternelle. Mais ce qu’il va découvrir est l’histoire d’un pays traumatisé par un génocide.

Les personnages. Milan, fils de parents d’origines différentes; les parents de Milan; Claude, oncle de Milan, rescapé du génocide; Sartre, grand lecteur à Kigali; Stella, fille de Tante Eusébie.

Les lieux. Versailles; Kigali, au Rwanda.

L’époque. De 1998 à 2020.

L’auteur. Auteur compositeur interprète, Gaël Faye est l’auteur du premier roman phénomène Petit pays (Grasset 2016, prix Goncourt des lycéens) ainsi que de plusieurs albums. Il était la Révélation scène de l’année des Victoires de la musique 2018.

Ce livre a été lu avec empathie pour la quête de Milan qui désire découvrir le côté maternel tout en me doutant bien que le silence de sa mère résulte d’un traumatisme. Ensuite, c’est bouleversant. Pas d’autre mot. Bouleversant.

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« La vie infinie » de Jennifer Richard, éditions Philippe Rey, ma critique pour le quotidien 20 Minutes (France)

10 septembre 2024: « La vie infinie » de Jennifer Richard, éditions Philippe Rey








Ma citation préférée :

« « Tu m’expliqueras comment on pourra encore se supporter, si on devient immortel, reprit-il. Tout doit disparaître, pour prendre sa pleine valeur. Tu ne t’es jamais demandé pourquoi les dieux de l’Olympe se détestaient tant, alors qu’ils sont de la même famille ? Comment peux-tu accepter un père obsédé par le sexe si tu n’as aucune chance de le voir mourir ? Un mari laid et boiteux, enchaîné à toi jusqu’à la fin des temps ? Une fille tellement sûre de sa beauté qu’elle est constamment à poil ? S’ils ne connaissaient pas l’amour, c’est parce qu’il ne connaissait pas la mort. » »

Pourquoi ce livre ?Parce qu’Adrien incarne le désir du tout technologique. Pour lui, l’avenir est dans le numérique. Toutes les sphères de la société doivent se laisser envahir pour leur bien par la réalité virtuelle. Il pousse l’idée jusqu’à espérer numériser son esprit afin de devenir immortel, d’effacer le temps. Ce désir transhumaniste est poussé à l’excès. Adrien utilise au maximum les possibilités du numérique dans sa vie quotidienne, et sa fille Zoé préfère bien sûr ses amis virtuels. Elle préfère même parler avec l’avatar de sa mère qu’avec sa mère réelle.

Parce que ce roman est une critique féroce d’un avenir possible car Adrien, même s’il incarne un personnage qui a perdu de vue des valeurs simples comme l’amitié ou l’amour nés d’une vraie rencontre, la solidarité, le bien commun, Adrien existe déjà autour de nous, et un peu en nous. Bien sûr il est excessif, mais il est capable de convaincre son épouse Céline qu’un bon programme informatique est capable d’apporter le bonheur, de nous bouleverser, de devenir indispensable.


Parce que c’est également la critique d’un capitalisme libéral à outrance. Adrien est fils de riches, et très riche lui-même grâce à ses activités d’opérateur de marchés ou de prédateur de start-up. Il ne parle qu’en termes de profit, et de profit personnel, s’entend. Malheur aux pauvres. Cependant, Céline a un ami d’enfance, Pierre, qui est l’opposé d’Adrien. Il vit sur une péniche, marche pour se déplacer à Paris, n’a pas de téléphone et privilégie les contacts humains. Céline, influencée par son époux, pense que Pierre est « improductif et sans ambition ».


Parce que le tiraillement de Céline entre ses valeurs de bourgeoise méprisante acquises auprès de son mari et celles humanistes, voire hippies de Pierre le bohème donne des dialogues savoureux. Céline passe son temps à condamner Pierre mais elle sent au fond d’elle qu’il a raison. Son tourment met en relief nos propres contradictions entre nos désirs et la réalité, virtuelle ou non. Une fable cornélienne.


L’essentiel en 2 minutes


L’intrigue. Adrien et Céline vivent heureux dans leur monde envahi par la réalité virtuelle quand un vieil ami de Madame refait surface : Pierre…


Les personnages. Adrien, époux riche de Céline ex-gauchiste et réalisatrice d’émission. Zoé, leur fille, limite hypocondriaque. Pierre, ami de Céline.


Les lieux. Paris.


L’époque. Présent, futur proche.


L’auteur. Née en 1980, d’origine guadeloupéenne et normande, Jennifer Richard est Franco-américaine et vit à Berlin. Elle a publié sept romans.


Ce livre a été lu amusé et terrifié par le monde décrit dans ce roman car je sens qu’il est fort probablement prophétique.


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« Le harem du roi », de Djaïli Amadou Amal, éditions Emmanuelle Collas, ma critique pour le quotidien 20 Minutes (France)

19 août 2024: « Le harem du roi », de Djaïli Amadou Amal, éditions Emmanuelle Collas




Ma citation préférée :

« En réalité, notre société peut être impitoyable envers les femmes ! Peu importe ce qu’on fait, on est jugé sans cesse ! Pour la plupart, on finit par céder et vivre uniquement par rapport au regard d’autrui. Parce que je ne suis pas mariée, je suis immédiatement cataloguée au rang de mauvaise personne. Mauvaise fille, mauvaise femme, la honte de ses parents ! Je travaille mais, si je m’achète une nouvelle voiture ou que je voyage, c’est un homme qui m’a probablement tout offert ! J’ai une promotion, c’est juste parce que j’ai dû coucher avec mon patron ! Ce n’est jamais mon seul mérite, le fruit de mes efforts ! » »

Pourquoi ce livre ?Parce que ce roman nous transporte dans un lieu interdit, un lamidat ou chefferie traditionnelle musulmane. Nous découvrons à travers la vie de Seini, ancien médecin élu chef ou lamido, et à travers les yeux de son épouse, la hiérarchie implacable qui sévit en ce lieu traditionnel, où chacun doit agir en fonction de sa position sociale soumise à une très longue tradition. En effet, « le lamido est le commandeur des croyants de toute la localité, le garant des traditions et de la religion ». Et sa position impose qu’il peut ou doit avoir des épouses et concubines, et des esclaves.

Parce que nous découvrons des secrets d’alcôve, c’est-à-dire les mille et une rivalités, jalousies et bisbilles qui existent dans le harem entre les concubines, les jeux de pouvoir. Qui va être la préférée ? Qui va être appelée le plus souvent dans la chambre du lamido ? Qui va obtenir le privilège de résider au plus près des appartements du lamido ? Qui est heureuse, amoureuse, laquelle a encore des rêves ?

Parce que le personnage de Boussoura, l’épouse de Seini, incarne la modernité. Elle est éduquée et enseignante. Elle travaille donc, conduit sa propre voiture. Cependant, lorsqu’elle est invitée à vivre au palais du lamidat après l’élection de son mari, elle se heurte aux traditions séculaires et doit abandonner son ancien mode de vie. Et elle découvre scandalisée la vie terrible des femmes prisonnières un peu comme elle des traditions, et de l’autorité sans partage des hommes.

Parce que l’autrice dresse le portrait d’un monde qui semble si éloigné de nous, que l’on croyait révolu, et qui montre les femmes vraiment coincées, écrasées entre l’autorité de leur famille, leur époux, leur roi et la religion.

L’essentiel en 2 minutes

L’intrigue. La vie du médecin Seini est chamboulée quand il est élu roi du lamidat. Son épouse hésite longuement à le suivre au palais, ce qui signifierait abandonner son ancien mode de vie.

Les personnages. Seini, médecin élu roi, et Boussoura, professeure de littérature ; les différentes concubines du palais

Les lieux. Yaoundé, Cameroun.

L’époque. Aujourd’hui.

L’auteur. Djaïli Amadou Amal et née en 1975 au Cameroun. Elle est une militante féministe et romancière. Son roman intitulé « Les Impatientes », qui a connu un immense succès, fut couronné du Goncourt des lecteurs de 20 Minutes et du Goncourt des Lycéens en 2020.

Ce livre a été lu en me demandant, tout au long du roman, si ce monde existait vraiment tant il me semblait anachronique et si cruel pour les femmes.

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« Cette femme qui nous regarde » d’Alain Mabanckou, ma critique pour le quotidien 20 Minutes (France)

3 août 2024: « Cette femme qui nous regarde »,  d’Alain Mabanckou, éditions Robert Laffont


Ma citation préférée :

« Durant les années 1960-1970, le monde s’effondrait sous tes yeux, nous dis-tu d’emblée. Tu l’entendais bien alors, ce craquèlement quotidien. Tu te souviens aussi nettement du sentiment que tu t’éloignais chaque jour un peu plus de la sortie du tunnel. Tu empruntais même le sens contraire et, tu le savais, ta jeunesse serait perdue pour de bon si aucune action concrète ne venait remettre le train sur ses rails. Les conséquences de cet activisme, poursuis-tu, sont manifestes, elles ont changé le cours de ce que tu estimes être notre destin commun. »

Pourquoi ce livre ? Parce que l’auteur dresse un portrait sensible et personnel d’un personnage essentiel de l’histoire de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis. Le 8 mai 2014, Angela Davis donne une conférence à UCLA, où il enseigne. Lorsqu’il était enfant au Congo, l’autobiographie de cette militante trônait fièrement dans la bibliothèque familiale. Aujourd’hui, Alain Mabanckou rencontre enfin cette figure mythique. Passé et présent se bousculent dans sa tête où défilent souvenirs personnels et histoire de la lutte contre le racisme au fil des siècles, aux États-Unis et sur d’autres continents.

Parce que le lecteur découvre des détails essentiels non seulement sur la vie extraordinairement courageuse de cette militante mais aussi sur l’histoire de la ségrégation et la discrimination. L’auteur, avec finesse et clarté évoque les différents mouvements qui se côtoyaient, s’opposaient ou se rejoignaient pour la justice et l’égalité. « Le Black Power… était le terme générique englobant la plupart des initiatives collectives du monde noir. » Les Black Panthers, les Black Muslims, Martin Luther King, Malcom X, tous avaient leur idéologie propre pour en arriver à leur fin.

Parce que comment ne pas évoquer aussi l’exode des écrivains de la Harlem Renaissance vers l’Europe, et les injustices, les meurtres non punis par l’État de tant et tant de Noirs aux cours de l’histoire ? Les immondes lois Jim Crow, le Ku Klux Klan et ses dynamitages impunis de maison de la population afro-américaine à Birmingham ? Cette note surprenante des « autorités américaines (qui) demandent à la France d’appliquer une politique ségrégationniste à l’égard des soldats noirs envoyés en Europe pour la Grande Guerre » ? Et les assassinats de Noirs par les policiers, encore aujourd’hui ?

Parce que c’est un très bel essai, très personnel, très bien écrit, qui passe par la conférence d’Angela Davis pour englober la jeunesse de l’auteur dans l’Afrique des dictatures, jusqu’aux premières manifestations du racisme. Après la merveilleuse « Lettre à Jimmy » de 2007 qui nous fait mieux comprendre la pensée et la portée essentielle de James Baldwin, cet hommage à Angela Davis est éblouissant ! Alain Mabanckou sait vraiment comment nous émouvoir en évoquant la vie des intellectuels qui ont marqué l’histoire.

L’essentiel en 2 minutes

L’intrigue. À travers la vie de militantisme d’Angela Davis, c’est un pan de l’histoire de la lutte pour les droits civiques qui se révèle.

Les personnages. Angela Davis, et autres figures marquantes de l’histoire, acteurs et victimes.

Les lieux. États-Unis ; Congo ; Europe

L’époque. 2014, le passé et l’époque actuelle

L’auteur. Alain Mabanckou est né en 1966 en République du Congo. Il est écrivain et professeur à l’Université de Californie à Los Angeles. Il remporte en 2006 le prix Renaudot pour son roman « Mémoires de porc-épic ».

Ce livre a été aussitôt reçu, aussitôt lu. Passionnant !

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Frapper l'épopée, de Alice Zeniter, éditions Flammarion, ma critique pour le quotidien 20 Minutes (France)

18 août 2024:  Frapper l'épopée, de Alice Zeniter, éditions Flammarion

Ma citation préférée :

« La notion de Blanc ici est un peu compliquée, ou du moins ce n’est pas la même qu’en métropole, ce n’est pas la même qu’aux États-Unis. Tass s’en est rendu compte en essayant de l’expliquer à Thomas. Avant, elle vivait avec, elle vivait dedans, elle n’avait pas besoin de l’interroger. Historiquement, lui a-t-elle dit, ce n’est pas tant une question de couleur de peau que de style de vie, ça s’est construit un peu à tâtons au XIXe siècle. Disons que si tu vivais en tribu, tu étais kanak. Et si tu faisais partie du colonat, quel que soit ton métissage, on te comptait parmi les Blancs. Ce qui voulait dire que tu pouvais être blanc et victime de racisme, puisque, quand même, tu n’étais pas blanc à l’œil, tu étais une « souris grise », une « peau de boudin ». »

Pourquoi ce livre ?Parce que l’autrice évoque la vie à Nouméa, sur le Caillou, selon le point de vue de Tass, jeune femme qui décide revenir vivre définitivement en Nouvelle-Calédonie après une rupture amoureuse avec Thomas, d’Orléans. Lassée par ses allers-retours entre son île et la métropole, devant l’incompréhension de Thomas pour ce qui concerne son attachement viscéral à son lieu d’origine, elle rentre à Nouméa retrouver ses amis mais aussi son histoire, affronter ses propres fantômes.

Parce que Tass, enseignante remplaçante en lycée, va croiser le destin de jumeaux kanak qui ont rompu avec leur tribu, et des membres d’un mouvement indépendantistes qui pratiquent l’ « empathie violente », qui consiste à « créer chez les Blancs un sentiment de dépossession, troubler l’évidence du chez-soi, limer la confiance qu’ils ont dans leur statut de propriétaire. »

Parce que l’histoire de l’archipel de Nouvelle-Calédonie défile sous nos yeux non pas du point de vue du colonisateur assoiffé de richesses, mû par une vision purement capitaliste et raciste mais de celui du Kanak, toujours en dialogue avec ses ancêtres. C’est aussi l’histoire de la colonie pénitentiaire qui, après la Guyane, a vu défiler et mourir bien trop jeunes des milliers de bagnards.

Parce que ce roman fait parfaitement écho aux événements tragiques de ce printemps. Il en explique un peu les racines, les origines du mal-être d’une population profondément divisée entre statu quo politique et processus menant à l’indépendance.

Parce qu’une des grandes originalités de cette fiction est l’intrusion soudaine de la voix de l’auteure qui, découvrant la présence de Kabyles parmi les bagnards, se demande si son arrière-arrière-grand-père, un peu comme celui de son personnage Tass, n’a pas vécu sur cette île. Et dans cette recherche elle nomme quelques prisonniers qui auraient pu avoir connu son ancêtre. Fiction et réalité se télescopent soudain, sans rompre l’enchantement. Et c’est passionnant.

Parce que ce livre dépasse la pure fiction. Il est poème, il est Histoire, il est sociologie, il est journal, il est philosophie. Et il est surtout très beau. Par certains points, île, colonisation, mouvement révolutionnaire, omniprésence du ruisseau et cætera, ce roman m’a fait penser à « La Lézarde », d’Édouard Glissant.

L’essentiel en 2 minutes

L’intrigue. Tass revient sur son île et part à la recherche de ses élèves jumeaux qui ont mystérieusement quitté sa classe.

Les personnages. Tass, enseignante ; des membres secrets du mouvement de l’empathie violente ; arrière-arrière-grand-père de Tass, bagnard libéré.

Les lieux. Nouvelle-Calédonie

L’époque. 2022 et avant, bien avant

L’auteur. Alice Zeniter est née en 1986. Elle a publié six romans qui ont remporté de nombreux prix. Elle est aussi dramaturge et metteuse en scène.

Ce livre a été lu très intéressé par la recherche des origines du personnage principal, puis par l’Histoire de cette île que bien sûr j’ignorais presque totalement. Beaucoup aimé le saut dans la réalité quand l’auteure s’interroge sur ses propres origines.

https://www.20minutes.fr/arts-stars/livres/4105109-20240818-lu-frappe-frapper-epopee-alice-zeniter 
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