dimanche 13 avril 2025

« Jacaranda » de Gaël Faye, éditions Grasset, ma critique pour le quotidien 20 Minutes (France)

 16 août 2024: « Jacaranda » de Gaël Faye, éditions  Grasset



Ma citation préférée :

« J’observais les gamins s’amuser comme on se venge de tout - des enfances gâchées, des bagarres de rue, des coups de couteau et de machette, des nuits à dormir dehors, des overdoses de colle à sniffer, des familles décimées, de la misère crasse, de l’alcool frelaté, des viols, des maladies, de l’indifférence ou de la pitié des honnêtes gens. Ce soir-là, les enfants se tressaient des lauriers, chantaient leurs propres louanges, étaient princes et princesses en leur Palais. Toute leur énergie tendue vers la simple joie d’être en vie.» »

Pourquoi ce livre?Parce que le lecteur suit la quête de Milan qui vit à Versailles. Faute de connaître l’histoire familiale de sa mère Tutsie qui refuse de raconter, il va aller au Rwanda à plusieurs reprises afin de se trouver. Les différents moments de sa vie au pays de sa mère vont se révéler de plus en plus dramatiques. Plus il découvrira les lourds secrets des gens autour de lui et plus il aura envie de comprendre. Ce roman est à la fois celui d’une quête d’identité personnelle et le constat saisissant d’une société malade d’un génocide, qui cherche des moyens pour guérir.

Parce que l’auteur évoque entre autres les audiences des tribunaux gacaca où victimes et bourreaux se faisaient face afin que justice se fasse. Des moments intenses pour que victimes et bourreaux puissent ensuite continuer à vivre dans un même pays. Cet effort de réconciliation des est le prix à payer pour arriver à une certaine paix sociale, sans pour cela éteindre complètement des désirs de vengeance, ni consoler complètement les survivants, ni effacer la culpabilité de certains. Plus le roman avance et plus le lecteur découvre la complexité de vivre dans un pays après un génocide.

Parce que l’auteur ose aller au bout des témoignages des victimes, qui sont insoutenables, mais aussi des bourreaux, dont certains révèlent l’emplacement des fosses où ont été jetés enfants, parents et grands-parents. Il faut vraiment du courage pour écrire un tel roman car les massacres de 1994, qui ont été précédés par d’autres massacres de Tutsis, ne sont pas si éloignés du présent, et ce roman aura des échos douloureux chez bons nombres de lecteurs. La fiction ici éclaire vraiment la réalité.

Parce que c’est un roman qui nous concerne toutes et tous car il montre sans équivoque les terribles conséquences de discours racistes, et l’on se souviendra que l’Europe, il n’y a pas si longtemps, a aussi vécu un génocide.

L’essentiel en 2 minutes

L’intrigue. Milan, de père français et de mère rwandaise, va séjourner plusieurs fois au Rwanda afin de découvrir la vérité sur sa famille maternelle. Mais ce qu’il va découvrir est l’histoire d’un pays traumatisé par un génocide.

Les personnages. Milan, fils de parents d’origines différentes; les parents de Milan; Claude, oncle de Milan, rescapé du génocide; Sartre, grand lecteur à Kigali; Stella, fille de Tante Eusébie.

Les lieux. Versailles; Kigali, au Rwanda.

L’époque. De 1998 à 2020.

L’auteur. Auteur compositeur interprète, Gaël Faye est l’auteur du premier roman phénomène Petit pays (Grasset 2016, prix Goncourt des lycéens) ainsi que de plusieurs albums. Il était la Révélation scène de l’année des Victoires de la musique 2018.

Ce livre a été lu avec empathie pour la quête de Milan qui désire découvrir le côté maternel tout en me doutant bien que le silence de sa mère résulte d’un traumatisme. Ensuite, c’est bouleversant. Pas d’autre mot. Bouleversant.

https://www.20minutes.fr/arts-stars/livres/4102271-20240816-lu-jacaranda-gael-faye-quete-sens-rwanda-apres-genocide 

« La vie infinie » de Jennifer Richard, éditions Philippe Rey, ma critique pour le quotidien 20 Minutes (France)

10 septembre 2024: « La vie infinie » de Jennifer Richard, éditions Philippe Rey








Ma citation préférée :

« « Tu m’expliqueras comment on pourra encore se supporter, si on devient immortel, reprit-il. Tout doit disparaître, pour prendre sa pleine valeur. Tu ne t’es jamais demandé pourquoi les dieux de l’Olympe se détestaient tant, alors qu’ils sont de la même famille ? Comment peux-tu accepter un père obsédé par le sexe si tu n’as aucune chance de le voir mourir ? Un mari laid et boiteux, enchaîné à toi jusqu’à la fin des temps ? Une fille tellement sûre de sa beauté qu’elle est constamment à poil ? S’ils ne connaissaient pas l’amour, c’est parce qu’il ne connaissait pas la mort. » »

Pourquoi ce livre ?Parce qu’Adrien incarne le désir du tout technologique. Pour lui, l’avenir est dans le numérique. Toutes les sphères de la société doivent se laisser envahir pour leur bien par la réalité virtuelle. Il pousse l’idée jusqu’à espérer numériser son esprit afin de devenir immortel, d’effacer le temps. Ce désir transhumaniste est poussé à l’excès. Adrien utilise au maximum les possibilités du numérique dans sa vie quotidienne, et sa fille Zoé préfère bien sûr ses amis virtuels. Elle préfère même parler avec l’avatar de sa mère qu’avec sa mère réelle.

Parce que ce roman est une critique féroce d’un avenir possible car Adrien, même s’il incarne un personnage qui a perdu de vue des valeurs simples comme l’amitié ou l’amour nés d’une vraie rencontre, la solidarité, le bien commun, Adrien existe déjà autour de nous, et un peu en nous. Bien sûr il est excessif, mais il est capable de convaincre son épouse Céline qu’un bon programme informatique est capable d’apporter le bonheur, de nous bouleverser, de devenir indispensable.


Parce que c’est également la critique d’un capitalisme libéral à outrance. Adrien est fils de riches, et très riche lui-même grâce à ses activités d’opérateur de marchés ou de prédateur de start-up. Il ne parle qu’en termes de profit, et de profit personnel, s’entend. Malheur aux pauvres. Cependant, Céline a un ami d’enfance, Pierre, qui est l’opposé d’Adrien. Il vit sur une péniche, marche pour se déplacer à Paris, n’a pas de téléphone et privilégie les contacts humains. Céline, influencée par son époux, pense que Pierre est « improductif et sans ambition ».


Parce que le tiraillement de Céline entre ses valeurs de bourgeoise méprisante acquises auprès de son mari et celles humanistes, voire hippies de Pierre le bohème donne des dialogues savoureux. Céline passe son temps à condamner Pierre mais elle sent au fond d’elle qu’il a raison. Son tourment met en relief nos propres contradictions entre nos désirs et la réalité, virtuelle ou non. Une fable cornélienne.


L’essentiel en 2 minutes


L’intrigue. Adrien et Céline vivent heureux dans leur monde envahi par la réalité virtuelle quand un vieil ami de Madame refait surface : Pierre…


Les personnages. Adrien, époux riche de Céline ex-gauchiste et réalisatrice d’émission. Zoé, leur fille, limite hypocondriaque. Pierre, ami de Céline.


Les lieux. Paris.


L’époque. Présent, futur proche.


L’auteur. Née en 1980, d’origine guadeloupéenne et normande, Jennifer Richard est Franco-américaine et vit à Berlin. Elle a publié sept romans.


Ce livre a été lu amusé et terrifié par le monde décrit dans ce roman car je sens qu’il est fort probablement prophétique.


https://www.20minutes.fr/arts-stars/livres/4102930-20240910-lu-vie-infinie-tellement-proche-jennifer-richard

« Le harem du roi », de Djaïli Amadou Amal, éditions Emmanuelle Collas, ma critique pour le quotidien 20 Minutes (France)

19 août 2024: « Le harem du roi », de Djaïli Amadou Amal, éditions Emmanuelle Collas




Ma citation préférée :

« En réalité, notre société peut être impitoyable envers les femmes ! Peu importe ce qu’on fait, on est jugé sans cesse ! Pour la plupart, on finit par céder et vivre uniquement par rapport au regard d’autrui. Parce que je ne suis pas mariée, je suis immédiatement cataloguée au rang de mauvaise personne. Mauvaise fille, mauvaise femme, la honte de ses parents ! Je travaille mais, si je m’achète une nouvelle voiture ou que je voyage, c’est un homme qui m’a probablement tout offert ! J’ai une promotion, c’est juste parce que j’ai dû coucher avec mon patron ! Ce n’est jamais mon seul mérite, le fruit de mes efforts ! » »

Pourquoi ce livre ?Parce que ce roman nous transporte dans un lieu interdit, un lamidat ou chefferie traditionnelle musulmane. Nous découvrons à travers la vie de Seini, ancien médecin élu chef ou lamido, et à travers les yeux de son épouse, la hiérarchie implacable qui sévit en ce lieu traditionnel, où chacun doit agir en fonction de sa position sociale soumise à une très longue tradition. En effet, « le lamido est le commandeur des croyants de toute la localité, le garant des traditions et de la religion ». Et sa position impose qu’il peut ou doit avoir des épouses et concubines, et des esclaves.

Parce que nous découvrons des secrets d’alcôve, c’est-à-dire les mille et une rivalités, jalousies et bisbilles qui existent dans le harem entre les concubines, les jeux de pouvoir. Qui va être la préférée ? Qui va être appelée le plus souvent dans la chambre du lamido ? Qui va obtenir le privilège de résider au plus près des appartements du lamido ? Qui est heureuse, amoureuse, laquelle a encore des rêves ?

Parce que le personnage de Boussoura, l’épouse de Seini, incarne la modernité. Elle est éduquée et enseignante. Elle travaille donc, conduit sa propre voiture. Cependant, lorsqu’elle est invitée à vivre au palais du lamidat après l’élection de son mari, elle se heurte aux traditions séculaires et doit abandonner son ancien mode de vie. Et elle découvre scandalisée la vie terrible des femmes prisonnières un peu comme elle des traditions, et de l’autorité sans partage des hommes.

Parce que l’autrice dresse le portrait d’un monde qui semble si éloigné de nous, que l’on croyait révolu, et qui montre les femmes vraiment coincées, écrasées entre l’autorité de leur famille, leur époux, leur roi et la religion.

L’essentiel en 2 minutes

L’intrigue. La vie du médecin Seini est chamboulée quand il est élu roi du lamidat. Son épouse hésite longuement à le suivre au palais, ce qui signifierait abandonner son ancien mode de vie.

Les personnages. Seini, médecin élu roi, et Boussoura, professeure de littérature ; les différentes concubines du palais

Les lieux. Yaoundé, Cameroun.

L’époque. Aujourd’hui.

L’auteur. Djaïli Amadou Amal et née en 1975 au Cameroun. Elle est une militante féministe et romancière. Son roman intitulé « Les Impatientes », qui a connu un immense succès, fut couronné du Goncourt des lecteurs de 20 Minutes et du Goncourt des Lycéens en 2020.

Ce livre a été lu en me demandant, tout au long du roman, si ce monde existait vraiment tant il me semblait anachronique et si cruel pour les femmes.

https://www.20minutes.fr/arts-stars/livres/4103621-20240819-lu-harem-roi-nouveau-roman-cruel-femmes-djaili-amadou-amal 



« Cette femme qui nous regarde » d’Alain Mabanckou, ma critique pour le quotidien 20 Minutes (France)

3 août 2024: « Cette femme qui nous regarde »,  d’Alain Mabanckou, éditions Robert Laffont


Ma citation préférée :

« Durant les années 1960-1970, le monde s’effondrait sous tes yeux, nous dis-tu d’emblée. Tu l’entendais bien alors, ce craquèlement quotidien. Tu te souviens aussi nettement du sentiment que tu t’éloignais chaque jour un peu plus de la sortie du tunnel. Tu empruntais même le sens contraire et, tu le savais, ta jeunesse serait perdue pour de bon si aucune action concrète ne venait remettre le train sur ses rails. Les conséquences de cet activisme, poursuis-tu, sont manifestes, elles ont changé le cours de ce que tu estimes être notre destin commun. »

Pourquoi ce livre ? Parce que l’auteur dresse un portrait sensible et personnel d’un personnage essentiel de l’histoire de la lutte pour les droits civiques aux États-Unis. Le 8 mai 2014, Angela Davis donne une conférence à UCLA, où il enseigne. Lorsqu’il était enfant au Congo, l’autobiographie de cette militante trônait fièrement dans la bibliothèque familiale. Aujourd’hui, Alain Mabanckou rencontre enfin cette figure mythique. Passé et présent se bousculent dans sa tête où défilent souvenirs personnels et histoire de la lutte contre le racisme au fil des siècles, aux États-Unis et sur d’autres continents.

Parce que le lecteur découvre des détails essentiels non seulement sur la vie extraordinairement courageuse de cette militante mais aussi sur l’histoire de la ségrégation et la discrimination. L’auteur, avec finesse et clarté évoque les différents mouvements qui se côtoyaient, s’opposaient ou se rejoignaient pour la justice et l’égalité. « Le Black Power… était le terme générique englobant la plupart des initiatives collectives du monde noir. » Les Black Panthers, les Black Muslims, Martin Luther King, Malcom X, tous avaient leur idéologie propre pour en arriver à leur fin.

Parce que comment ne pas évoquer aussi l’exode des écrivains de la Harlem Renaissance vers l’Europe, et les injustices, les meurtres non punis par l’État de tant et tant de Noirs aux cours de l’histoire ? Les immondes lois Jim Crow, le Ku Klux Klan et ses dynamitages impunis de maison de la population afro-américaine à Birmingham ? Cette note surprenante des « autorités américaines (qui) demandent à la France d’appliquer une politique ségrégationniste à l’égard des soldats noirs envoyés en Europe pour la Grande Guerre » ? Et les assassinats de Noirs par les policiers, encore aujourd’hui ?

Parce que c’est un très bel essai, très personnel, très bien écrit, qui passe par la conférence d’Angela Davis pour englober la jeunesse de l’auteur dans l’Afrique des dictatures, jusqu’aux premières manifestations du racisme. Après la merveilleuse « Lettre à Jimmy » de 2007 qui nous fait mieux comprendre la pensée et la portée essentielle de James Baldwin, cet hommage à Angela Davis est éblouissant ! Alain Mabanckou sait vraiment comment nous émouvoir en évoquant la vie des intellectuels qui ont marqué l’histoire.

L’essentiel en 2 minutes

L’intrigue. À travers la vie de militantisme d’Angela Davis, c’est un pan de l’histoire de la lutte pour les droits civiques qui se révèle.

Les personnages. Angela Davis, et autres figures marquantes de l’histoire, acteurs et victimes.

Les lieux. États-Unis ; Congo ; Europe

L’époque. 2014, le passé et l’époque actuelle

L’auteur. Alain Mabanckou est né en 1966 en République du Congo. Il est écrivain et professeur à l’Université de Californie à Los Angeles. Il remporte en 2006 le prix Renaudot pour son roman « Mémoires de porc-épic ».

Ce livre a été aussitôt reçu, aussitôt lu. Passionnant !

https://www.20minutes.fr/arts-stars/livres/4103944-20240803-lu-femme-regarde-angela-davis-vue-alain-mabanckou 

Frapper l'épopée, de Alice Zeniter, éditions Flammarion, ma critique pour le quotidien 20 Minutes (France)

18 août 2024:  Frapper l'épopée, de Alice Zeniter, éditions Flammarion

Ma citation préférée :

« La notion de Blanc ici est un peu compliquée, ou du moins ce n’est pas la même qu’en métropole, ce n’est pas la même qu’aux États-Unis. Tass s’en est rendu compte en essayant de l’expliquer à Thomas. Avant, elle vivait avec, elle vivait dedans, elle n’avait pas besoin de l’interroger. Historiquement, lui a-t-elle dit, ce n’est pas tant une question de couleur de peau que de style de vie, ça s’est construit un peu à tâtons au XIXe siècle. Disons que si tu vivais en tribu, tu étais kanak. Et si tu faisais partie du colonat, quel que soit ton métissage, on te comptait parmi les Blancs. Ce qui voulait dire que tu pouvais être blanc et victime de racisme, puisque, quand même, tu n’étais pas blanc à l’œil, tu étais une « souris grise », une « peau de boudin ». »

Pourquoi ce livre ?Parce que l’autrice évoque la vie à Nouméa, sur le Caillou, selon le point de vue de Tass, jeune femme qui décide revenir vivre définitivement en Nouvelle-Calédonie après une rupture amoureuse avec Thomas, d’Orléans. Lassée par ses allers-retours entre son île et la métropole, devant l’incompréhension de Thomas pour ce qui concerne son attachement viscéral à son lieu d’origine, elle rentre à Nouméa retrouver ses amis mais aussi son histoire, affronter ses propres fantômes.

Parce que Tass, enseignante remplaçante en lycée, va croiser le destin de jumeaux kanak qui ont rompu avec leur tribu, et des membres d’un mouvement indépendantistes qui pratiquent l’ « empathie violente », qui consiste à « créer chez les Blancs un sentiment de dépossession, troubler l’évidence du chez-soi, limer la confiance qu’ils ont dans leur statut de propriétaire. »

Parce que l’histoire de l’archipel de Nouvelle-Calédonie défile sous nos yeux non pas du point de vue du colonisateur assoiffé de richesses, mû par une vision purement capitaliste et raciste mais de celui du Kanak, toujours en dialogue avec ses ancêtres. C’est aussi l’histoire de la colonie pénitentiaire qui, après la Guyane, a vu défiler et mourir bien trop jeunes des milliers de bagnards.

Parce que ce roman fait parfaitement écho aux événements tragiques de ce printemps. Il en explique un peu les racines, les origines du mal-être d’une population profondément divisée entre statu quo politique et processus menant à l’indépendance.

Parce qu’une des grandes originalités de cette fiction est l’intrusion soudaine de la voix de l’auteure qui, découvrant la présence de Kabyles parmi les bagnards, se demande si son arrière-arrière-grand-père, un peu comme celui de son personnage Tass, n’a pas vécu sur cette île. Et dans cette recherche elle nomme quelques prisonniers qui auraient pu avoir connu son ancêtre. Fiction et réalité se télescopent soudain, sans rompre l’enchantement. Et c’est passionnant.

Parce que ce livre dépasse la pure fiction. Il est poème, il est Histoire, il est sociologie, il est journal, il est philosophie. Et il est surtout très beau. Par certains points, île, colonisation, mouvement révolutionnaire, omniprésence du ruisseau et cætera, ce roman m’a fait penser à « La Lézarde », d’Édouard Glissant.

L’essentiel en 2 minutes

L’intrigue. Tass revient sur son île et part à la recherche de ses élèves jumeaux qui ont mystérieusement quitté sa classe.

Les personnages. Tass, enseignante ; des membres secrets du mouvement de l’empathie violente ; arrière-arrière-grand-père de Tass, bagnard libéré.

Les lieux. Nouvelle-Calédonie

L’époque. 2022 et avant, bien avant

L’auteur. Alice Zeniter est née en 1986. Elle a publié six romans qui ont remporté de nombreux prix. Elle est aussi dramaturge et metteuse en scène.

Ce livre a été lu très intéressé par la recherche des origines du personnage principal, puis par l’Histoire de cette île que bien sûr j’ignorais presque totalement. Beaucoup aimé le saut dans la réalité quand l’auteure s’interroge sur ses propres origines.

https://www.20minutes.fr/arts-stars/livres/4105109-20240818-lu-frappe-frapper-epopee-alice-zeniter 
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dimanche 4 février 2024

«Terminus ventre-ville», éd. Monton noir Acadie

 Mon dernier recueil de poésie vient de paraître ce 30 janvier 2024

«Terminus ventre-ville», éditions Monton noir Acadie



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Très belle première critique parue au Luxembourg sur le site de la revue D'Ailleurs écrite par Florent Toniello

https://dailleurspoesie.com/alain-raimbault-terminus-ventre-ville/?fbclid=IwAR2fbp1624lrk4rqYxSGmqG0NOahUskW5lLGTeWv_a6Z_ASmx3K6Ph6Y9HM

Alain Raimbault : « Terminus ventre-ville »

par Florent Toniello | 03.02.2024 | Chroniques des recueils

« tu abandonnes l’illisible grand art surréaliste / pour une poésie sous-réaliste / tu écris avec tes pieds / parce que tout le monde a des pieds » : Alain Raimbault a beau user de la distance du tu, on comprend bien vite dans le premier poème que c’est sous l’égide de Carver et Bukowski qu’il place lui-même son recueil. D’ailleurs, dans cette première partie nommée « Présent singulier » — où la poésie, voire la littérature en général, est au fond le personnage —, n’écrira-t-il pas quelques pages plus loin : « et moi Raimbault, qui taquine la poésie » ? Le je et le tu deviennent dès lors deux poteaux d’une même clôture, celle qui séparerait le réel de l’imaginaire en strophes… si elle n’était pas si poreuse. « c’est quoi, faire quelque chose ? / faire quelque chose c’est / habiter la vérité » : au-delà de la sentence, on voit bien que la vérité, le réel en somme, est là un outil qui sert à alimenter la fabrique des vers. L’inspiration est claire, doublée parfois de quelques réflexions sur la poésie elle-même. Mais plus encore, cette notion de « faire quelque chose » montre combien l’auteur considère comme essentielle l’activité d’écrire, combien celle-ci combat la fadeur potentielle du quotidien. Même décrire par le menu son « dimanche / jour de rien » relève de l’hygiène de vie et fait la part belle au style de ses maîtres cités auparavant : « je lis des commentaires racistes sur facebook pour relaxer / le raciste a des arguments en béton / lamentables / j’éteins l’ordinateur ». Où la vie de tous les jours transcende sa banalité par le pouvoir de l’écrit.

« Montréal viscéral », la deuxième partie, quitte une certaine introspection initiale en s’aventurant dans le métro de la grande ville québécoise. Dans ce « terminus ventre-ville » qui donne son titre au recueil, le poète observe sans se prendre au sérieux : « tu es aussi le dernier choix de ton voisin / ne te leurre pas ». Humour à l’accent d’autodérision souvent, comme lorsqu’il avoue après avoir évoqué le livre qu’il parcourt : « j’aime bien lire ma vie en pire / je ne vais jamais aussi loin ». Dans ce catalogue de brèves rencontres dans les transports en commun (d’ailleurs plus visuelles que bavardes), le secours de la littérature n’est pas si facile à obtenir. D’où peut-être cette propension à versifier le quotidien ? En tout cas, les mots fusent pour observer : « l’étranger / c’est les autres ». Le grand Arthur, homonyme d’Alain Raimbault, n’est pas loin, même si la langue est ici ancrée dans une modernité orale évacuant toute rime, mais convoquant tout rythme — pas le tacatac des voitures sur rails cependant, puisque le métro de Montréal est sur pneus !



On vient d’évoquer les étrangers, et justement, « Corps étranger » est le nom de la troisième partie du livre. Les brèves rencontres de la précédente avaient lieu dans le métro ; maintenant, elles sont liées au voisinage : « ça fait ça / un homme qui est pas mort à la guerre / ça boîte un peu / ça rend service / ça cause météo / et la nuit ça scrute le ciel / parce que John / il dort pas ». Construction des trois parties en progression habile, puisque de l’art poétique, de la littérature générale, on est passé par l’observation silencieuse des gens dans un lieu public pour finir par taper la conversation dans le quartier de l’auteur. Tout ça dans une langue sans fioritures inutiles, avec toute la sincérité du poète qui chérit l’existence et la rend sans artifices. Au cœur de la ville, de sacrées bribes d’humanité. Dans ces mots, on aimerait que « le temps / ça dure encore un peu ».

Alain Raimbault, Terminus ventre-ville, Mouton noir Acadie, ISBN 9782897503697

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Librairie Acadienne (Moncton?)

Moisson foisonnante d’un poète accompli, ce recueil témoigne de l’urgence de dire qui nous sommes, au cœur de la ville. Avec générosité, Alain Raimbault offre une écriture accessible qui bouleverse par sa sincérité. Cet auteur, adepte du haïku et du roman noir, observe des gestes du quotidien qui semblent anodins. https://buff.ly/3uloImM

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Au festival du livre à Paris en avril 2024

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Moi au salon du livre d'Edmunston vers le 6 avril 2024, Veillée littéraire hommage à Zachary Richard qui est passé en premier, juste avant moi. J'ai lu quelques poèmes de Terminus et j'ai terminé par le poème Ouragan tiré de Zulma 9 de Zachary. Un merveilleux moment.



Photo prise par le salon du livre


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Terminus ventre-ville
Alain Raimbault
Mouton noir Acadie

Corps étranges et poésie de l'Acadie, by Marc Arseneau

Born in Paris in 1966, Alain Raimbault lived in Nova Scotia for 13 years before he moved to Montréal in 2011. He is the author of 20 books in many genres. Terminus ventre-ville is his fifth collection of poetry. In this collection, Raimbaulr writes in a free verse style which narrates in the first person. Stylistically, Raimbaulr mostly uses repetition, enumeration and metaphor. The collection is divided in three sections. This first section, entitled «Présent singulier», is relatively introspective and addressed to a «you». The recurring theme is one of the observant disposition of a writer and the practice of writing. Raimbault enumerates many writers, bur it is Bukowski that he mentions most.


on pense à John Fante à Kent Anderson à Bukowski
j'apprends d'eux le diable du détail


In the second section, «Monrreal visceral», Raimbaulr's verses depict various aspects of mundane urban reality, such as metro stations, bus rides and even a car garage. The narrator observes, questions and seeks, through action, to find truth. Snow fills the streets in many poems, implicitly reminding the reader that he is writing in a Canadian context. Often, the observant narrator offers a humorous vision of everyday situations in carnivalesque fashion:

comme moi ils viennent de la Rive-Sud
la même ligne d'autobus depuis 95 ans
descendent depuis 3 siècles au
même arrêt
travaillent depuis 4 millénaires dans leur
tour à bureaux
et rentrent chez eux à 17h27

Through hyperbolic imagery, the poetry becomes a witness to the frenetic and, somewhat absurd, rhythm of urban living ou je grouille parmi les fourmis, like the excessive composition of Hieronymus Bosch's Hell or Fitz Lang's Metropolis.

In the third section, «Corps étranger», childhood memories are mixed with the barbaric nature of humanity with evocations of war, consumerism, environmental and nuclear destruction.

pauvre Ukraine
après la guerre de 14 et la Révolution
après Staline et sa famine
Hitler et ses barbares
finir le siècle avec une explosion nucléaire
et Poutine
début du XXIe siècle

That being said, the author is no longer in the hustle and bustle of the second section. Henceforth, he inhabits his neighbourhood where diverse and multiethnic characters, often refugees who have fled war and torture, exchange parcels of their unique and enlightening existence.

Raimbaulr's poetry denounces the folly of war around the globe. Furthermore, as a counterpoint, it celebrates inclusive and multicultural spaces.

je suis l'espace de mon corps
ce squelette que je ne partage pas
que je remplis de café colombien
de bagels au beurre de cacahuètes nigérianes
de bananes panaméennes
de sandwichs au pâté à la truffe périgourdine

Throughout the book, Raimbault's poetry observes the mundane and succeeds in generously including snapshots of unassuming people and the lessons learned from their existence. The poetry in Terminus ventre-ville is not one of the intimate realm nor laments of emotional outpouring. Rather, it creates a contemporary portrait of the world around us as viewed by an observant writer who seeks to be sincere with his tone and his sensibility.

Terminus ventre-ville is written in language on the side of orality, in the tradition of literary canons such as Prévert or Ferlinghetti. Thus, these poems are accessible to a wide audience and, in its rhythmic simplicity, Raimbaulr's book may engage readers who have not read much poetry. Therefore, this approach seems to fit nicely with Mouton noir Acadie readership orientation. Certainly, it will be interesting to read more from this imprint in the future. ■

Born in 1971 and raised in Moncton, MARC ARSENEAU has published five books of poetry with Perce-Neige in Acadie and Écrits des Forges in Quebec, as well as in anthologies, periodicals and magazines. He was, during the nineties, editor of Eloizes, a literary and visual periodical published in Moncton. He is known to be part of l'Ecole d'Aberdeen, an Acadian literary movement born in the late twentieth century. He now lives in Louisbourg, on Cape Breton Island.

BOOK FEATURE Atlantic Books Today

NUMBER 99 I SPRING 2024 page 15
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samedi 29 avril 2023

«Mon cœur bat vite», de Nadia Chonville

Lu: «Mon cœur bat vite», de Nadia Chonville, éd. Mémoire d’encrier


Ce très beau roman aux accents de fable tragique se passe dans une Martinique actuelle, avec un personnage principal, Kim, traversé par les voix de ses ancêtres, en lutte incessante pour affirmer son identité contre les préjugés, et bouleversé, traumatisé par son enfance. C’est l’histoire d’une vengeance qui corrigerait l’histoire, qui apporterait un peu d’ordre et de justice dans la généalogie, mais vengeance ne sera jamais justice. Kim est un héros révolté, qui ira jusqu’au bout.


Ce livre fait écho à de nombreuses préoccupations que connaît la Martinique. Il met en évidence un malaise sous-jacent, entre autres hérité de la colonisation, et qui n’a pas trouvé de remède. Kim propose une solution radicale et définitive à son mal-être, et à travers sa quête, le lecteur perçoit des échos de son histoire narrée par Édouard Glissant, ou criée par Aimé Césaire dans son « Cahier d’un retour au pays natal ».


Bref, ce roman est porté par un souffle épique, par une poésie qui permet d’aller au-delà de l’histoire. La vraie révolte ici aussi dans la forme, la poésie. L’auteure alterne les narrateurs, fait parfois parler ses personnages en créole, la voix des ancêtres provoquent l’action, un citronnier «attaque», le «parfum de Maman, il décape l’odeur des mensonges». Les temps ne sont jamais linéaires et Kim pense pouvoir modifier leur cours, il pense réparer le présent. Ce roman intense est traversé par une parole inédite et j’ai adoré, bien sûr.


Page.. «Ce ne sera pas un procès. Kim veut être le jugement dernier d’une histoire qui a trop duré. Il croit que par ce châtiment naîtra le dernier combat pour la justice. Il ne voit plus aucune autre issue que celle-là: la guerre. Ce grand mot qui fait au monde de vraies révolutions. Kim croit, au fond des bourdonnements assourdissants de son cœur, que la guerre est la seule porte à ouvrir pour trouver un pays libre où mourir à son tour.»

source de la photo: 
https://la1ere.francetvinfo.fr/podcast-nadia-chonville-femme-ecrivaine-militante-et-enfant-de-c-ur-1371282.html 
consultée le 29 avril 2023