dimanche 14 juin 2020

“Women”, de Charles Bukowski

Lu: “Women”, de Charles Bukowski, éd. Le Livre de Poche

Henry (Hank) Chinaski vit seul dans une chambre merdique d’un quartier pas riche de LA. Il a la cinquantaine et ne se rappelle plus vraiment comment il a rencontré Lydia. Elle est sculptrice et complètement dingue. Sa folie est un vrai rayon de soleil parce que Hank n’est pas un modèle de fidélité conjugale et elle ne le supporte pas, et il ne cache presque rien. Le sexe n’est que du sexe comme boire, manger, dormir. Hank boit, se réveille, vomit, boit, rencontre un femme, baise, boit, dort, se réveille, boit, vomit et va à la rencontre d'une autre femme. Ça n’arrête jamais. C’est terriblement amusant durant les 200 premières pages avec Lydia la dingue (ma préférée) puis je me suis un peu lassé. Sauf que Bukowski raconte les détails, décrit des situations lamentables, et insiste. C’est percutant et terriblement drôle. À un moment Hank dit (page 100): “...je désirais sans cesse des femmes, et plus elles étaient tombées bas, plus elles me plaisaient. Pourtant les femmes - les femmes estimables - m’effrayaient, parce qu’en fin de compte c’est à votre âme qu’elles en ont, et ce qui restait de la mienne, je tenais à le conserver. La plupart du temps, je m’attaquais aux prostituées, aux femmes déchues, parce qu’elles étaient mortelles, dures, et qu’elles ne formulaient aucune demande d’ordre personnel. Quand elles partaient, on n’avait rien perdu.” Le portrait des femmes dans ce roman n’est pas flatteur. Elles sont un peu (beaucoup) le reflet du narrateur. Je dis un peu car parfois elles éprouvent des sentiments. C’est un roman très divertissant avec une écriture directe, qui te parle vraiment.




mardi 2 juin 2020

“Souvenirs d’un pas grand-chose”, de Charles Bukowski

Lu: “Souvenirs d’un pas grand-chose” (“Ham on rye”), de Charles Bukowski, éd, Grasset.
Ce pauvre Henry (Hank) Chinaski n’a pas de chance. Il grandit en fils unique dans une famille normale de Los Angeles avec un père costaud et brutal, un ancien de la Grande Guerre qui adore lui tanner la peau des fesses sans raison (peut-être pour montrer qui est le plus fort à la maison), avec le cuir pour affûter le rasoir. Sa mère l’aime inutilement puisqu’elle ne le défend jamais. Il est bien seul, Hank. En plus, c’est la Dépression des années 30, alors ça rend pas la vie plus facile. À l’école, y a que des pauvres comme lui, et les plus grands frappent les plus petits. C’est normal. Faut être dur pour survivre et Hank, c’en est un, toujours prêt à se battre. À l’adolescence, l’acnée envahit tout son corps, du jamais vu de mémoire de médecins. Ils essaient toutes sortes de traitements parce qu’on ne sait pas soigner ces furoncles putrescents. Les filles, vu qu’il est un monstre, il ne fait qu’en rêver quand ses amis couchent avec elles. Non, pas pour lui. L’université non plus. Il est trop pauvre, trop laid, trop différent. Seul l’alcool va apporter du réconfort à son corps de bagarreur. Il commence à écrire, et en référence à Arturo Bandini de John Fante, il va se trouver une chambre d’hôtel minable sur la colline de Bunker Hill où il va boire comme un trou.
Ce roman autobiographique se dévore. Tu sais que Hank ne va pas s’en sortir de sa misère, tu sais aussi que c’est à peine un roman parce que c’est son enfance, ça, à Buk. Il y a une phrase, je n’arrive plus à la retrouver où il dit que les autres, ils vont étudier et devenir prisonniers de leur travail, de leur habitude et qu’à la fin, lui, le misérable alcoolique bagarreur, il aura su préserver ce que les autres n’auront plus. Il aura cette richesse-là. On comprend, c’est sa liberté sans compromis, mais il la paie bien cher.
Ce roman, ce n’est pas sa poésie, à Bukowski. Le vocabulaire est plus soigné, les phrases moins directes, j’entends moins sa voix, mais c’est un régal quand même. Faut le lire. Faut le lire, quoi.
L’image contient peut-être : une personne ou plus, texte qui dit ’BUKOWSKI CHARLES SOUVENIRS D'UN PAS GRAND-CHOSE Les Cahiers Rouges Grasset’

dimanche 31 mai 2020

“Les années 80 dans ma vieille Ford”, de Dany Laferrière



Lu: “Les années 80 dans ma vieille Ford”, de Dany Laferrière, éd. Mémoire d’encrier

Un jour, l’éditeur Rodney Saint-Éloi jette un oeil dans la bibliothèque de Dany et découvre ces chroniques publiées dans l’hebdomadaire Haïti-Observateur entre 1984 et 1986. Il dit: Faut publier ça! Et il a eu raison. Je découvre ainsi un auteur totalement libre, qui brosse des portraits intenses et sans complaisance aucune d’intellectuels haïtiens de ces années-là, qui montre sa vie quotidienne en journaliste curieux et parfois révolté, qui nous émeut en diable par les détails. Du très bon Dany, comme je l’aime. Je vous encourage à le lire.



vendredi 29 mai 2020

“L’incendie du Hilton”, de François Bon

Lu: “L’incendie du Hilton”, de François Bon, éd. Albin Michel. L’histoire: un écrivain, français on le devine, est invité à donner une conférence lors du Salon du livre de Montréal, Place Bonaventure, et à faire oeuvre de présence pour dédicacer ses livres. Il est logé à l’hôtel Hilton au-dessus du Salon du livre. Mais voilà, en pleine nuit, à 1h47 environ, l’alarme incendie se déclenche, on évacue. L’auteur évacue donc au milieu de la foule où il va faire quelques rencontres, et évoquer deux trois souvenirs car, une fois à l’Atrium, autour de la patinoire vide, que faire sinon attendre, et rompre la monotonie par des virées au Tim Horton. La fin, peu importe. La ville souterraine est le non-personnage principal qui brille de tous ses obscurs reflets, de ses anonymats, de sa quelconque solitude. L’action est la syntaxe saccadée au début, on évacue, puis qui se calme tout en exigeant de l’attention. Un petit bijou, ce roman, rempli d’humour.

Il se trouve que je connais un petit peu ce Salon du livre, comme beaucoup de gens vous me direz, où je passe régulièrement depuis novembre 2001. Aussi, place Bonaventure, métro Bonaventure, c’est un peu mon chemin quotidien (que je ne vois plus tellement il est quotidien) pour aller au turbin avant la pandémie. Les longs couloirs souterrains entre le Salon, l’hôtel Bonaventure (et pas Hilton…), la gare, le métro et les stationnements, je m’y suis perdu plus d’une fois. Heureusement, il y a toujours une rue qui surgit quelque part pour indiquer le nord.

Il y a toujours une raison pour se saisir d’un livre. Hier, le 22 mai, c’était l’anniversaire de François Bon et après un échange à teneur nostalgique sur ce réseau (voir plus bas), je me suis dit, tiens! Voilà l’occasion! Aussi, je venais de terminer “Les années 80 dans ma vieille Ford”, de Dany Laferrière, j’étais donc libre, en quelque sorte. Et, troisième raison, nous attendions les masques qui devaient être livrés hier. Oui, Sandra (mi amor) avait commandé des masques (comme c’est la mode, vous savez bien) au Mexique, à sa maman. Ils devaient arriver hier. Hors, on nous a déjà volé un paquet dans l’entrée de notre édifice. Cette fois-ci, nous allions surveiller de près. La surveillance a duré deux jours en fait, ce qui m’a laissé le loisir de lire ce roman qui raconte l’histoire d’un écrivain qui attend au centre-ville de Montréal, centre-ville que je peux apercevoir depuis mon balcon sur la rive sud. C’était parfait. Mais la meilleure histoire est à venir.
Le 13 août 2019, en famille, nous allons à Stanstead, pour visiter sa fameuse bibliothèque-opéra, qui est située sur la frontière canado-étasunienne. Nous nous stationnons et marchons vers la bibliothèque. On finit par arriver à la frontière, quelque part au milieu du village. Nous n’avons pas tous notre passeport en poche et d’ailleurs, on n’entre normalement pas aux États-Unis par une petite rue dérobée mais par un poste frontière. Légalement. Hors, l’entrée de la bibliothèque ici, à notre gauche, est située côté américain! C’est vraiment un sentiment étrange, cette frontière. Je me sens en totale sécurité côté canadien et nous avons peur de la franchir. Il n’y a qu’un poteau, sans barbelés ni champ de mines, non, aucun policier non plus, un grand beau temps et le village côté canadien ressemble à celui côté américain, la rue est déserte, et notre sentiment est totalement étrange. Nous hésitons une seconde, notre gorge se serre mais nous franchissons quand même le poteau. Ça y est, nous marchons illégalement aux États-Unis afin de pénétrer dans une bibliothèque. Nous marchons vite car nous ne voulons pas rencontrer de policiers (qui ont très mauvaise réputation en général). Elle est ouverte et là, sur le sol, un trait, la frontière, que nous franchissons précipitamment. Nous sommes revenus au Canada, ouf! On est sauvés. Mais pas tout à fait. Je demande à la bibliothécaire s’il y a une sortie d’urgence, par derrière, côté canadien. Elle me dit que non. Zut. Il faudra retourner aux États-Unis pour sortir. Je repère des livres à vendre côté américain, la majorité en anglais (je pense que ce village est surtout anglophone, mille excuses si je me trompe), mais il y en a quelques uns en français. Pas de prix. On donne ce qu’on veut. Je glisse une pièce de deux dollars canadiens dans une boîte transparente remplie de billets verts côté canadien. Il faut payer une fortune pour visiter la salle d’opéra à l’étage alors nous ne la visiterons pas. Et là, nous sortons. Un policier américain dans sa voiture de police est stationnée à côté du poteau, de son côté de la frontière. Nous marquons tous un temps d’arrêt sur le trottoir. Mes doigts se serrent sur mon Hilton en flammes. Et si on courrait? Nous sommes 4, il ne pourrait pas tous nous attraper! Mais il pourrait toujours nous tirer dessus. Ils aiment ça, tirer sur les immigrants illégaux (d’autant plus que Sandra et son frère qui nous accompagne sont mexicains, que pourrait-il soudainement s'imaginer, ce policier?!) , les policiers américains. Non, nous marchons plutôt d’un air détaché vers lui, en jouant les touristes heureux. Il ne sort pas de sa voiture. Il nous observe, la main sur son révolver. Ou sur son café. On voit pas bien la différence. Il nous laisse revenir au Canada, où approche justement une voiture de police canadienne amie. Nous sommes sauvés. C’était l’aventure de la journée, la visite de la bibliothèque-opéra Haskell, 1 rue Chuch à Stanstead, au Québec-Vermont. J’ai donc trouvé ce livre aux États-Unis, je l’ai payé au Canada, je l’ai ramené aux États-Unis la peur au ventre et je l’ai finalement lu tranquillement pas vite au Canada en attendant les masques du Mexique.

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“Huit leçons sur l’Afrique”, d'Alain Mabanckou



Lu: “Huit leçons sur l’Afrique” (données au Collège de France en 2016, plus trois autres textes) d’Alain Mabanckou, éd. Grasset. Ces leçons représentent une excellente introduction à l’histoire de la littérature en français du continent noir. La leçon inaugurale (magistrale et magnifique, à la fois savante et accessible, que j’avais eu le plaisir de suivre sur internet) est en soi une remarquable mise en contexte historique de cette littérature, ou plutôt de ces littératures, car loin d’être réducteur, le professeur Mabanckou présente différentes oeuvres au niveau entre autres des auteurs (leurs buts, leurs influences, leur contexte de production) et des lecteurs (la réception, l’interprétation, les préjugés). Ensuite est abordée la Négritude, avec ses origines, et ses critiques. La troisième leçon pour moi fut passionnante car elle aborde “la question du roman de la migration”, ou de la “migritude”, qui représente aussi une réalité de ce XXIe siècle que j’avais lue (je pense à Edem Awemey, à Sami Tchak, à Calixte Beyala…) mais que je n’avais pas nommée. Sont abordées ensuite les questions de “l’édition de la littérature africaine en France”, de la “Littérature nationale et (de la) démagogie politique” avec cette idée, ce projet profondément politique proposé par Patrice Nganang “d’écrire sans la France”, car la France est l’ancien pays colonisateur (coupable des horreurs de la colonisations). Alain Mabanckou répond à ces questions d’un point de vue humaniste, en recadrant le débat toujours de manière éclairée et généreuse. Il prend parti avec intelligence et humour, et je me demande (réflexion très personnelle) comment ne pas être d’accord avec lui. La leçon suivante porte sur “L’Afrique et la “France noire” face à leur histoire”, où l’auteur revient entre autres sur les polémiques qui ont suivi la publication de son essai “très personnel” (et important, lisez-le!) intitulé: ”Le Sanglot de l’homme noir”, dans lequel il renvoie ex-colonisateurs et ex-colonisés à regarder leur passé en face, où chacun porte une part de responsabilité. Les deux dernières leçons abordent l’image de l’enfant soldat dans la littérature, que veut-on montrer à travers sa représentation littéraire ? Et il répond pour conclure à la question qu’il ne pose pas (puisqu’il n’y a pas de point d’interrogation dans le titre, et cela me fait bien sûr penser à cette autre question à propos d’un autre génocide: comment écrire après Auschwitz?): “ Écrire après le génocide du Rwanda”. Car on a écrit, et peu de temps après. Les petits bonus à ces huit leçons sont l’avant-propos où l’on apprend pourquoi l’auteur a accepté cette invitation du Collège de France, ensuite son refus politique de “contribuer aux travaux de réflexion que vous (Le président de la République française) souhaitez engager autour de la langue français et de la (et c’est là où le bât blesse) Francophonie.” Mais il a accepté de rendre un hommage national (texte final de novembre 2018) aux “Tirailleurs Sénégalais.” 


Ce livre est magnifique parce que j’ai appris de nombreuses et passionnantes informations sur cette littérature que j’aime, parce qu’il est très clair, qu’il donne envie d’en connaître davantage sur le sujet (merci pour les pages de notes en fin de volume), et parce que c’est écrit avec finesse et humour, comme d’habitude chez Alain Mabanckou. À l’école, j’avais découvert Senghor, Césaire, et Camara Laye. J’ai ensuite lu Richard Wright, Martin Luther King Jr et Toni Morrison, et c’est à peu près tout (ce qui est déjà pas mal). Vers 18 ans, j’ai commencé à m’intéresser à la littérature des Caraïbes, puis à la bibliothèque de l’université de Poitiers (où j’ai étudié une année le droit avant de fuir vers l’espagnol) je suis tombé sur la thèse de Lilyan Kesteloot (que j’ai photocopiée, je l’ai encore) intitulée: “Les écrivains noirs de langue française : naissance d'une littérature” et cela m’a ouvert… des mondes. Après plus d’une trentaine d’années à lire cette littérature, je pense comprendre assez bien de quoi parlent ces Huit leçons. Ce livre est un peu pour moi une bibliographie intime. Je n’ai pas tout lu, loin s’en faut, mais j’ai lu un peu, et j’ai eu le grand plaisir de rencontrer quelques auteurs cités. Enfin, j’ai le bonheur de posséder une lettre manuscrite que le grand Ahmadou Kourouma m’avait adressée en 2001 (en réponse à une lettre que je lui avais envoyée en témoignage de mon admiration.) Il y avait donc avant pour moi Lilyan Kesteloot, puis Jacques Chevrier, il y a aujourd’hui le professeur Alain Mabanckou. Mon avantage enfin de n’être pas universitaire, de ne pas avoir étudié la littérature (ou si peu) à l’université, c’est ma liberté totale de l’aimer et d’en parler comme cela me chante. Ahmadou Kourouma m’a écrit que j’étais “un lecteur isolé”, et c’est une excellente définition. Isolé mais si bien entouré par les livres! Merci, Alain! 



dimanche 17 mai 2020

“Le terroriste noir”, de Tierno Monénembo

Lu: “Le terroriste noir”, de Tierno Monénembo, éd. Points (Seuil). 
Un très beau livre. L’histoire est terrible. Seconde guerre mondiale, un tirailleur sénégalais, (comme on appelait jadis tout soldat noir des colonies venu se battre et souvent mourir pour la mère patrie colonisatrice et vraiment pas reconnaissante par la suite, oh non) est retrouvé blessé dans une forêt des Vosges sous l’Occupation. L’homme mystérieux est ramené au village, soigné, et petit à petit, accepté par tous. Ensuite, il sillonne la campagne en vélo et le mystère grandit. Mais où va-t-il? C’est la guerre, avec ses héros et ses traîtres ordinaires. L’histoire est racontée du point de vue de Germaine, adolescente à l’époque des événements et très vieille aujourd’hui. Elle reconstitue petit à petit ce qui a été, ou ce qui a probablement été la vie de ce héros. Car ce soldat noir fut un personnage exceptionnel. 

J’ai beaucoup aimé ce roman. D’abord, il rend hommage aux soldats des colonies à l’époque qui se sont courageusement battus pour la France et par milliers, ils ont été des milliers à se battre, à être blessés, à mourir si loin de chez eux. Ensuite, le portrait du héros est magnifique, d’une grande humanité, tu ne peux qu’être ému par son destin. Et les personnages autour de lui vivent des tourments impossibles, à cause de la guerre, mondiale, et intime. Je me souviens de ce que me racontaient mes grands-parents à propos de cette époque difficile, la plus grande de leur vie, l’Occupation. Ils vivaient dans une ferme, dans un petit village de touraine occupé par les Boches. Et puis il y avait la Milice (ma grand-mère disait que c’était les pires!), les collabos, les dénonciateurs, et les gens ordinaires qui survivaient comme ils pouvaient. Ce roman me parle directement, j’ai l’impression de lire ce que mes grands-parents auraient pu me raconter. De plus, il y a un mystère au début: qui est ce soldat noir? Il se trouve qu’il y a un mystère dans ma famille, sur lequel je n’ai jamais écrit, il faut donc une première fois: mon grand-père est parti à la guerre, dans l’armée du Train (transport, logistique). Il conduisait un camion. Puis à la naissance de son quatrième enfant, l’armée l’a démobilisé. Bref. Lui, il a raconté sa guerre. Mais pas son petit frère Eugène Raimbault. Il est parti à la guerre, il est revenu en 45 à la maison et il n’a jamais parlé. Jamais. On ne sait pas ce qu’il a fait, ce qu’il a vécu, ce qu’il a enduré. Un mystère dans la famille, cet oncle Eugène. Voilà, j’ai lu ce roman sans m’arrêter, et je viens d’en sortir tout chamboulé. (J’avais eu le plaisir de rencontrer son auteur à Poitiers en 1993. Ma photo.)




vendredi 1 mai 2020

Le détroit du Loup, d’Olivier Truc

Le détroit du Loup, d’Olivier Truc, éd. Métaillé Noir.

Deuxième épisode des aventures de Klemet et Nina, de la police des rennes en Laponie (principalement en Norvège). Dès le début, l’éleveur sami Erik Steggo fait traverser son troupeau dans le Détroit du Loup vers les pâturages ancestraux sur l’île de la Baleine. Mais ça se passe mal. Au lieu de filer tout droit, le renne de tête tente de faire demi-tour et ce pauvre Erik tente de rétablir la situation mais non. Rien ne laisse penser que c’est un crime, cela ressemble à un accident. Sauf que, en fait, ce n’est pas si simple. Puis les accidents se succèdent et là, il ne faut pas exagérer. Klemet et Nina mènent l’enquête. Nous allons alors découvrir le côté sale de l’exploitation de l’or noir en mer de Barents. Quand le besoin de terre pour le développement industriel entre en conflit direct avec l’espace traditionnel occupé par les rennes dans leurs diverses transhumances. Cohabitation impossible, marginalisation de la population des Samis. Comme je l’écrivais à l’auteur pendant ma lecture, ce roman est peut-être policier puisque nous en avons tous les éléments, ma la quête principale se passe au niveau des individus infiniment complexes qui se cherchent eux-mêmes, et c’est là la très grande force de ces romans. Les personnages! Les intrigues sont intéressantes, on veut savoir la vérité, mais les drames intimes sont mille fois plus intéressants. Les rapports par exemple entre Nina et ses parents sont déchirants. Les travailleurs exploités sans scrupule, littéralement massacrés sans hésitation aucune pour la gloire des pétrolières ont un destin si douloureux, horrible. L’auteur est très fort pour nous donner à ressentir ces drames passés sous silence. Un très beau livre, encore. Car il y a de la beauté dans l’expression de ces douleurs, dans les traditions, la ténacité des Samis, et les paysages grandioses. J’ai bien aimé aussi le clin d’oeil au film Insomnia où le policier pas net Will Dormer (joué par Al Pacino) n’est justement pas un dormeur car il souffre d'insomnie, comme ici Nina. Et la scène de l’enterrement, vers la fin, est hilarante. J’ai adoré!