samedi 19 décembre 2020
“Mathématiques congolaises” de In Koli Jean Bofane
"Western tchoukoutou” de Florent Couao-Zotti
dimanche 25 octobre 2020
“ De purs hommes”, de Mohamed Mbougar Sarr
“Une guillotine dans un train de nuit”, de Jean-François Samlong
lundi 12 octobre 2020
“Ténèbre”, de Paul Kawczak
Lu:
“Ténèbre”, de Paul Kawczak, éd. La peuplade
Plongée dans les entrailles de l’Afrique à l’heure des colonisations européennes, fin XIXe siècle. Un jeune géomètre est envoyé par le roi des Belges pour tracer définitivement la frontière du Congo. Expédition le long des cours d’eau exactement comme dans Apocalypse now. L’horreur. L’horreur. Des personnages tous plus torturés les uns que les autres se dévoilent, un peu comme s’ils sortaient de L’Assommoir de Zola pour sombrer illico presto dans un conte de Poe. Le style est là. Je pense à Jules Verne, bien sûr, un peu à Balzac, beaucoup à Baudelaire qui justement agonise sous nos yeux. Et puis y aurait l’amour, qui ne mène qu’à la souffrance. Mon personnage préféré est le parent malade de notre jeune géomètre, qui dialogue avec ses chiens. Ça pourrait être mignon comme une photo de chat sur facebook, sauf que les chiens-chiens, ils ne sont pas de bons conseils, oh non. Et la fin est pas mal du tout non plus, coupée nette par un accident qui laisse entendre la fin du monde. La guerre de 14 qui approche. Le grand personnage de ce roman est selon moi Xi Xiao, grand maître en la découpe humaine. Un sage en horreur de sainteté. L’auteur appelle un chat un chat. La colonisation est une horreur absolue. Le colon Blanc est le cancer de l’Afrique. Un monstre sans âme. J’ai bien aimé. Bonne lecture d’un dimanche de grâce. Faudra que je relise aussi “Au coeur des ténèbres”, de Joseph Conrad, forcément. Bon, après Wideman et Kawczak, je vais voir si j’ai pas un truc plus léger à lire, là.
“Rumeurs d’Amérique”, d’Alain Mabanckou
Lu: “Rumeurs d’Amérique”, d’Alain Mabanckou, éd. Plon
Cela fait des années que, sur les réseaux sociaux, je découvre des photographies d’Alain le toujours bien sapé en Californie. Alain, en photo, il est toujours magnifique, qui dira le contraire? Bon. Je me demandais bien ce qui se cachait derrière ces images, eh bien maintenant j’en sais un petit peu plus. C’est l’histoire d’un balcon. Au départ. De l’écriture. Il écrit sur son balcon. J’ai pensé à Meursault qui passe ses dimanche après-midi à fumer sur son balcon, à écouter les rumeurs de la ville. Il y a son ancien chez lui à Santa Monica, duquel il ne peut se détacher, et puis les rues, les boulevards de Los Angeles, ville où il habite à présent. Il y a aussi l’histoire de quelques personnages historiques, de quelques lieux, et surtout les gens. C’est ce que je préfère dans ce livre, les gens. Je crois connaître un peu Pia Petersen parce que je l’ai un peu lue et parce que cela fait des années que je regarde ses publications sur facebook. C’est certain, je ne savais pas grand chose sur elle. Heureusement, Alain trace un portrait formidable de sa grande amie. Une femme instinctive, marcheuse infatigable, spontanée et terriblement sympathique. Il évoque aussi ses enfants, là bas, en France (Vos enfants vivent sur autre continent? Vous allez comprendre ici ce qui n’est pas dit et qui hurle entre les lignes), quelques souvenirs de Pointe-Noire, bien sûr, et ses rencontres, toujours intéressantes. Ses étudiants à UCLA. Ses écrivains (merci d’avoir cité Chester Himes, merci Alain. On ne le cite pas assez!). La politique, un peu. La peur de la violence. Et les morts. On termine en beauté avec l’hommage à Dany (je trouve que “Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer” et “L’énigne du retour” sont ses deux meilleurs livres, en troisième: “La chair du maître”, opinion personnelle dans ce résumé, normalement on évite de tels apartés dans les résumés, je sais, mais là, c’est dimanche) et la présence de Pia Petersen qui est tout un poème à elle seule. Bon, c’est un semblant de résumé. Lisez le livre. Quand c’est du Alain Mabanckou, c’est toujours bien.
samedi 10 octobre 2020
“Écrire pour sauver une vie Le dossier Louis Till” de John Edgar Wideman
Lu: “Écrire pour sauver une vie Le dossier Louis Till” de John Edgar Wideman, éd. Folio
Qu’on se le dise, écrire ne sauve personne. Quand on est mort, y a plus rien à sauver. En fait, en essayant de redonner vie au pauvre Louis Till et à son pauvre fils Emmet, l’auteur leur dresse un monument vivant. Oui, il sont bien vivants dans notre mémoire, mais l’auteur n’a pas pu les sauver. C’est trop tard. Emmet a été lynché alors qu’il n’avait que 14 ans, parce qu’il était Noir, et son père a été pendu pour la même raison. Aux yeux des habitants Blancs des États-Unis (ok, pas tous, bien sûr), si tu es Noir, tu es coupable. On va inventer un crime que tu aurais commis pour te condamner et d'exécuter. Si tu es accusé, c’est trop tard. Un Noir ne peut être innocent aux yeux de la justice des Blancs. Mais John Edgar Wideman refuse l’injustice dont il pourrait être lui-même victime. Justement, il se remémore son enfance à lui pour ressentir celle d’Emmet. Pour nous la faire voir. Entendre. Lui et Emmet ont le même âge. Entre 1941 et 1955, ils ont dû vivre les mêmes expériences, non? Et puis, en s’intéressant à Emmet, il découvre le destin tout aussi tragique de son père Louis Till, soldat américain pendu par l’armée américaine sous prétexte d’un crime qu’il n’a pas commis. Mais il est Noir et se trouvait au mauvais endroit. C’est suffisant pour être pendu. Pour rien. À vingt-trois ans. La vie d’un Noir ne vaut pas plus que ça. John Edgar Wideman cherche à comprendre le déroulement de l’enquête, il imagine les pièces manquantes, les mensonges successifs afin d’en arriver à une condamnation inévitable en cour martiale. Il met en évidence que le dossier d’instruction n’est qu’une fiction continue pour en arriver à faire pendre Louis Till. Qui meurt assassiné par l’armée des États-Unis. L’auteur se recueille sur sa tombe et tente un dialogue. Impossible. En fait, je comprends que John Edgar Wideman écrit pour se sauver lui-même. Et il navigue entre Till père et fils pour dialoguer avec sa famille à lui, ses ancêtres, sa mère. Et soudain, ces va et vient entre réalité et fiction me parlent à moi, lecteur. L’auteur évoque l’ensemble des Noirs victimes de discrimination au fil des siècles mais pas seulement. Il ne s’arrête pas là. Il exprime son incompréhension face au temps qui passe, temps passés et présents. Sa peur. Sa méfiance. Et il met en évidence une faiblesse du temps, qui n’est pas si inexorable que ça. Sa faiblesse, c’est qu’on peut le nommer. On peut le manipuler avec les mots. Souvenirs, mémoire, dates, silences, John Edgar Wideman s’infiltre par la brèche. On appelle ça la Littérature. Si l’auteur tente de sauver sa peau, son livre sauve aussi la mienne. John Edgar Wideman, grand auteur. Grand auteur.
samedi 3 octobre 2020
"Sans gravité", de moi, éditions L'instant même
Mon nouveau livre qui vient de sortir en septembre 2020, en pleine pandémie de Covid-19: Sans gravité. Un recueil de nouvelles noires publié comme mon livre précédent à L'instant même. Je l'ai écrit au printemps 2019. J'ai soudain eu envie d'écrire une nouvelle par semaine et je l'ai fait. Je l'ai écrit en quelques semaines. J'ai aussi transformé deux débuts de romans inachevés en nouvelles. Jean-Marie Lanlo mon éditeur l'a accepté, et ce printemps, durant le confinement de la première vague, dès mars, nous avons retravaillé les textes. Entre mon manuscrit et la version publiée, il y a eu au moins vingt relectures de chaque nouvelle. Un sacré travail. Puis à la fin nous avons discuté de l'ordre des nouvelles, et entre temps j'ai trouvé un titre, ce qui m'a demandé un petit effort. Parfois le titre vient tout seul, tout naturellement, mais pas là. J'aime beaucoup la couverture qui donne une idée de danger. C'est noir, j'ai choisi d'écrire pour la première fois dans un genre populaire, comme le policier. C'est un peu policier puisque c'est l'écriture de crimes. Il y a une progression vers la noirceur absolue. Ça commence par une petite histoire de meurtre lors de la première guerre mondiale pour se terminer par un génocide. Difficile de terminer plus sombre. Je ne laisse presque pas respirer le lecteur. Je transgresse des tabous. Je choque, mais dans une recherche définitivement esthétique. C'est une oeuvre que j'ai souhaitée hautement littéraire. Il faut viser haut sinon pourquoi écrire, hein? Pourquoi on aime tant les romans policiers, les contes cruels de notre enfance? Parce qu'on a peur de la mort, de notre propre mort.
Chez Renaud-Bray sur Saint-Denis, à Montréal. Ici, à Greenfield Park, dans mon salon.Je crois que c'est Geneviève qui a écrit cette présentation pour le site de la revue et de la librairie en ligne: Les libraires:
"L’exercice auquel se livre Alain Raimbault est exigeant : utiliser la littérature pour dire l’horreur. Faire du beau avec du laid; permettre aux mots de nous entraîner avec eux dans les méandres sombres de l’humanité. Dans ce recueil, un bouquet de personnages en apparence quelconques parvient à nous faire ressentir le dégoût, la peur, la lassitude : un mari trop possessif de sa magnifique femme, une jeune adolescente animée de pulsions violentes, un commerçant incapable de penser à autre chose qu’à la vengeance et au profit — même dans l’horreur des tranchées —, une cosmonaute amoureuse, un bébé anormal, un enfant psychopathe… Tout comme les contes qui ont bercé son enfance, les nouvelles d’Alain Raimbault sont des fenêtres sur la cruauté, ouvrant au lecteur un monde impensable. Avec une écriture vive et un sens de la formule hors du commun, Alain Raimbault joue avec aisance dans les codes de l’horreur. S’inscrivant dans une tradition littéraire établie, il démontre sans contredit sa maîtrise de la langue, son sens de l’humour caustique, ainsi qu’un sens de l’observation particulièrement acéré. Heureusement pour nous, et pour lui, les émotions ressenties sont fortes, la réaction est vive, mais il suffit de refermer le livre pour retrouver la quiétude du quotidien. Ses personnages n’ont pas cette chance…"
Bon, je ne suis pas tout à fait d'accord car pour moi ce ne sont pas des contes d'horreur mais seulement noirs. Pour le reste, entièrement d'accord.
https://www.leslibraires.ca/livres/sans-gravite-alain-raimbault-9782895024446.html
J'ai aussi pondu en août une petite vidéo de présentation avant même que le livre ne soit imprimé, sur Youtube:
https://www.youtube.com/watch?v=TXS_0Ae9uik&t=12s
Maintenant, j'attends l'avis des lecteurs. Pour l'instant, rien du tout. Deux semaines que le livre est arrivé en librairie, et rien du tout. Aucune critique. Personne, mais alors personne n'en parle. J'ai 0 lecteur! Plus je publie, moins on me lit. C'est extraordinaire. J'ai presque terminé un nouveau livre, écrit au printemps, confiné à la maison, entre le 13 mars et le 30 juin. Et aujourd'hui, j'ai eu l'idée d'un nouveau livre. Qu'on me lise ou pas, j'écris. J'écris.
Solaris, la revue de sf au Québec a reçu mon livre et le présente ainsi:
Livre reçu: Alain Raimbault, Sans gravité
Québec, L'Instant même, 2020, 140 p.
Dans ce recueil de nouvelles, des personnages sont confrontés au dégoût, à la peur et la lassitude face à l’horreur sous des apparences de quotidien et de « normalité »: un mari possessif, une adolescente aux pulsions meurtrières, un commerçant obsédé par la vengeance et le profit, une cosmonaute amoureuse, un bébé anormal… Entrez dans un monde où la cruauté atteint des limites insoupçonnées.
source: https://www.revue-solaris.com/livres-recus/alain-raimbault-sans-gravite/
Sur le site du Journal de Montréal en ce lendemain de victoire de Joe Biden à la présidence des États-Unis:
"
Quinze nouvelles pour plonger dans les délires de la cruauté. Et il n’y aura pas de rédemption.
Alain Raimbault n’épargne personne dans le recueil Sans gravité. On y trouve des soldats comme des astronautes, une adolescente rebelle, mais aussi un homme au cœur d’or.
Les lieux et les moments sont tout aussi variés. Le recueil s’ouvre sur une histoire se déroulant en pleine Grande Guerre, en 1916, dans les tranchées françaises, mais plus loin on sera au métro Longueuil, aux chutes du Niagara, dans un bureau à Ottawa. Ou encore à l’hôpital Sainte-Justine à Montréal.
Mais chaque fois entreront en scène des êtres sans scrupules, parfois psychopathes, mais parfois juste amoraux.
Sans gravité, nouveau titre d’Alain Raimbault, s’ajoute à un large répertoire, qui comprend de la poésie et de la littérature jeunesse. Cette fois, l’auteur entend explorer différentes facettes des pulsions qui conduisent un individu au meurtre.
Car pas de crime organisé ici, ni de guerres de gang : ces assassins sont solitaires et leurs motivations sont toutes personnelles.
On notera toutefois que la jalousie est un puissant moteur d’action. Elle donne d’ailleurs les meilleures nouvelles du recueil : « Une bonne guerre », qui met face à face Martin Schwartz et Hans Keller, autrefois amants, ou bien « Les bêtes sauvages » où l’on suit le duo de meilleurs amis que forment Josh et Tyler. Attention aux revirements !
Se glissent aussi la frénésie religieuse ou la lassitude de la vie de couple, ou encore l’exaspération de l’enseignant face à ses élèves remuants. Sans oublier les morts sanglantes qui finalement surviennent par hasard.
De même, sous la plume de Raimbault, l’idée de crever de rage ou de mourir d’amour trouve une pleine incarnation.
Comme on lit dans la nouvelle « Un poète » : « Le meurtre par son côté horriblement tabou gardait encore la sulfureuse possibilité de faire cauchemarder. De provoquer des émotions. » L’auteur exploite ce potentiel avec efficacité.
Y contribue grandement le fait que les situations qu’il imagine sont presque toutes à deux doigts du plausible, comme l’actualité le démontre amplement.
Un air de déjà-vu
Les nouvelles s’appuient sur des détails qui appartiennent à la banalité du quotidien. Un meurtrier achète chez Bureau en gros le drone qui servira à son crime ; un autre laisse les chaussures de sa femme assassinée au Village des Valeurs. Ça sifflote du Luis Mariano, ça réfère à Dany Laferrière...
Même la folichonne « Être », la plus insensée du lot, garde un air connu puisqu’elle ravive la Loi sur les mesures de guerre et qu’elle se nourrit de la dérive des réseaux sociaux.
Dans ce féroce univers, on ne s’étonnera pas que la dernière nouvelle du recueil soit consacrée au summum de l’inhumaine cruauté, celle qui fut aussi gratuite et implacable qu’organisée, soit les camps de concentration de l’Allemagne nazie.
Elle s’appelle « Le cri » et elle est d’autant plus cauchemardesque que cette fois, on ne peut pas se dire : ce n’est que de la littérature."
Frankly cruel
Fifteen short stories to dive into the delusions of cruelty. And there will be no redemption.
Alain Raimbault spares no one in the collection Without gravity. There are soldiers like astronauts, a rebellious teenage girl, but also a man with a heart of gold.
The places and times are just as varied. The collection opens with a story set in the middle of the Great War, in 1916, in the French trenches, but further on we will be at the Longueuil metro station, at Niagara Falls, in an office in Ottawa. Or at Sainte-Justine Hospital in Montreal.
But each time unscrupulous people will appear, sometimes psychopathic, but sometimes just amoral.
Without gravity, new title from Alain Raimbault, adds to a large repertoire, which includes poetry and children’s literature. This time, the author intends to explore different facets of the drives that lead an individual to murder.
Because no organized crime here, nor gang wars: these assassins are lonely and their motives are all personal.
It should be noted, however, that jealousy is a powerful driver of action. She also gives the best news of the collection: “A good war”, which puts Martin Schwartz and Hans Keller face to face, formerly lovers, or “The wild beasts” where we follow the duo of best friends that form Josh and Tyler. Watch out for turnovers!
Also slipping into religious frenzy or the weariness of married life, or even the teacher’s exasperation with his restless students. Not to mention the bloody deaths that ultimately occur by chance.
Likewise, under Raimbault’s pen, the idea of dying of rage or dying of love finds full incarnation.
As we read in the short story “A poet”: “Murder, by its horribly taboo side, still had the sulphurous possibility of creating nightmares. To provoke emotions. The author harnesses this potential effectively.
The fact that the situations he imagines are almost all on the verge of plausibility contributes greatly to this, as the news amply demonstrates.
An air of deja vu
The news is based on details that belong to the banality of everyday life. A murderer buys from Bureau en gros the drone that will be used for his crime; another leaves the shoes of his murdered wife in the Village des Valeurs. It sounds like Luis Mariano, it refers to Dany Laferrière …
Even the foolish “Being,” the most insane of the lot, keeps an air of familiarity as she revives the War Measures Act and feeds on the social media drift.
In this fierce universe, it will come as no surprise that the last short story in the collection is devoted to the height of inhuman cruelty, the one that was as gratuitous and implacable as it was organized, namely the concentration camps of Nazi Germany.
Her name is “The Scream” and she is all the more nightmarish that this time, we can’t say to ourselves: this is only literature.
Sans gravité est paru en automne dernier aux éditions L’Instant Même. Il s’agit d’un condensé de nouvelles noires qui basculent tantôt vers l’horreur, d’autres fois davantage vers le genre policier.
Alain Raimbault n’en est pas à ses premiers pas dans le monde de l’écriture. Sans gravité est pourtant le premier recueil de genre de l’auteur, qui a mentionné en entrevue ne pas s’être senti capable de conduire un roman entier de genre et avoir ainsi préféré une série de contes. Il ne reste qu’à espérer que cette excursion vers le côté obscur lui donnera envie de justement nous pondre un long roman, puisque chacune des nouvelles nous laisse entrevoir suffisamment de matière pour développer beaucoup plus longuement.
Ses nouvelles se lisent de manière très fluide, et leur chute nous cause parfois la déception d’en avoir terminé avec les personnages et les situations mis en scène. Est-ce que des sujets aussi captivants et des transgressions de tabous élaborés comme celles qu’on nous sert ne mériteraient pas au final plus de pages? N’est-ce pas en fait la preuve que les intrigues sont bien ficelées si on regrette de s’en extirper de manière aussi abrupte?
Cet assemblage de textes fait l’effet d’une grappe de raisins. On y décroche quelques fruits, sans se rendre compte qu’on a finalement gobé la totalité. Chaque page est un pur plaisir et une avalanche d’émotions. On s’amuse à essayer d’anticiper les conclusions, mais les jonctions farfelues que prend le romancier avant d’aboutir donne droit à de véritables feux d’artifices. L’auteur donne beaucoup de style à sa plume et n’hésite jamais à tanguer vers un humour décapant pour nous faire accepter l’inacceptable. Il faut aussi s’attendre à ce que l’horreur ou l’étrangeté soit d’origine psychologique. Cependant, les contextes différents dans lesquels se présentent les histoires aident à donner du rythme à l’ensemble.
Il faut dire qu’il y aussi une grande finesse apportée à l’ordre dans lequel sont placées les nouvelles. On ressent non seulement ce désir de varier les épisodes, mais c’est de cette manière aussi qu’on nous donne une chute finale assez mémorable.
En résumé, le recueil s’avère être un délicieux cocktail d’inquiétantes étrangetés.
En ce 20 octobre 2021, mon éditeur Jean-Marie Lanlo me signale que j'ai une excellente critique d'Amandine
Avis :
Quand tu n’as pas une grosse motivation pour lire, le recueil de nouvelles est pratique. Tu lis une courte histoire qui fais 3-4 pages et ensuite tu passes à autre chose. C’est exactement ce que j’avais besoin de lire.
Mais très vite ce livre m’a redonné envie de lire plus. Je me suis avalée les nouvelles par 2, 3 ou 4. Donc autant vous dire tout de suite que ça sentait très bon le coup de coeur.
Toutes les nouvelles ont à peu près le même genre de fin : ça finit très mal. Ce sont des nouvelles très noires qui jouent sur les peurs et sur les pulsions meurtrières de gens tout à fait banals. Je dois vous avouer qu’au début les nouvelles sont assez surprenantes. On ne s’attend pas forcément à un tel degré de violence. Personnellement cela ne me dérange absolument pas mais pour le lecteur qui n’est pas habitué cela peut surprendre.
Mais ce qui m’a le plus marqué et qui compte beaucoup pour moi : c’est l’écriture. Dans l’exercice de la nouvelle c’est un point ultra important et l’auteur est un génie. Il maitrise le rythme, la dramaturgie et absolument tout. Même s’il est français, je pense qu’il a une petite influence du style québécois qui n’est pas comme le style français (si il y en a un dans les deux cas) car il n’y a pas de filtre dans ce qu’il dit et ça percute direct. Bref c’est tout ce que j’aime et même plus.
Toutes les nouvelles sont du même niveaux. Il n’y en a pas une que j’ai plus aimée qu’une autre même si il y en a qui sont très surprenantes (exemple : « Sans gravité » ou encore « Être »). L’auteur arrive à se renouveler avec chacune et c’est assez admirable. J’ai pris un sacré plaisir à les dévorer les unes après les autres. Je regrette peut-être une chose c’est qu’il y en ai pas assez mais c’est un avis très personnel.
Ce recueil est un donc un très gros coup de coeur. C’est un vrai bonheur de lire des textes d’une telle qualité tellement cela devient de plus en plus rare. C’est un recueil parfait pour Halloween par exemple ou pour les amateurs du genre noir de chez noir. Maintenant j’espère bien lire d’autres livres de cet auteur !
Arthur Zingaro: Même les extincteurs rêvent de gloire
Lu le roman d’Arthur Zingaro (pseudo chevaleresque de Ludovic Lavaissière): Même les extincteurs rêvent de gloire. Illustré à la mine graphite par Portraits Katia L.B. Les éditions du Horsain (France) 2020. Préface de Richard qui s’appelle pas Galli.
J’ai eu un peu de mal à entrer dans l’univers du fameux extincteur car Arthur Zingaro n’écrit pas, il est cri. Comment aborder les cris d’un auteur sans marquer un temps de recul, de surprise, d’étonnement, d’interrogation? Dans quel monde est-ce que je viens de mettre le nez? je me suis demandé au début. Parce que, l’extincteur d’Arthur, il allume tout. Il incendie. La référence à Fahrenheit 451 de Ray Bradbury est bien sentie. Arthur, de l’extérieur, rien à déclarer: vie quotidienne du chômeur de base sans le sou avec femme et enfant. Sauf que de l’intérieur, ça brasse en tabarnak. Arthur, écrivain pas lu (comme presque tous les écrivains) cherche un sens à la vie qui, selon moi, n’en a pas, mais il lui il cherche. Il cherche du travail, il cherche à écrire, il cherche des réponses à ses angoisses, ses souffrances (page 60!) existentielles. Les séances chez le psy, le “magicien”, sont pathétiquement désopilantes car le magicien n’en a strictement rien à foutre de ses (im)patients, il a une maison à retaper dans le Sud, lui. À chacun ses problèmes. Le pauvre Arthur, l’écrivain à la confiance en berne voit bien qu’il perd son temps mais il y gagne sa dose de drogue mensuelle utile pour se désaccoutumer des drogues qu’il ne supporte plus. C’est cornélien. La religion est ouverte à heures fixes, un business comme un autre, l’alcool est une solution (c’est scientifique), les citations pleuvent à heures irrégulières (ça aide) et la poésie l’emporte chaque fois. Arthur est un poète. On pourrait dire le monde avec des mots de tous les jours mais pas lui. Son monde est unique. Il ne peut être dit. Il ne peut-être que ressenti. Ce roman ose le ressenti. Nous, on n’ose pas dire, c’est trop intime, ça, on ressent bien des trucs mais on se la ferme, on va pas s’exposer quand même. Mais pas Arthur. Il compose sa symphonie intérieure comme elle surgit, en inventant parfois des mots car les lexiques officiels sont incomplets. Il se lâche, hurle dans le menu que sa vie est de la merde, que ses rêvent ne mênent à rien, qu’il ne réalise pas ses grand voyages et que le temps qui passe le rapproche à une vitesse vertigineuse du grand écran avec le mot FIN en cinémascope. Ses cris, ce sont les nôtres que nous taisons. Et plus tu lis ce roman et plus tu t’attaches. Tu finis par trembler et par ne plus sourire car ce livre, c’est toi! Quand tu comprends ça, ben, si t’es pas débile, t’es ému. C’est un roman hautement intime. La gloire est de s’élever vers l'extérieur, Arthur, lui, il s’élève de l’intérieur. Il nous tient par la main. Du grand art!
Alain Raimbault (qui a son quart de minute de gloire page 197, merci!)