lundi 12 mars 2018

La vie est un sale boulot, de Janis Otsiemi

Livre lu en mars 2018 : La vie est un sale boulot, de Janis Otsiemi, éd. Jigal, coll. Polar.

Chicano sort de prison prématurément. Aurait-il été gracié par erreur?
Il n’a pourtant pas fini sa peine pour avoir participé à un casse qui bien
sûr a mal tourné. Ses trois acolytes s’en sont sortis, eux, mais lui a été
pincé. La faute a pas de chance. Il ne les a pas balancés. C’est un truand
honnête, lui. Mais, fini la mauvaise vie, promi, juré, il rentre dans le droit
chemin. Sauf que dans un virage, il rencontre par hasard Lebègue, du
casse précédent, qui l’amène aux deux autres, Petit Papa et Lebègue.
Justement, ils ont une petite affaire à lui proposer… Non, je ne dirai pas
que tout ça va joyeusement tourner en eau de boudin et qu’avec tout
le sang qui sera versé comme des paquets de mer dans les ruelles
malfamées de Libreville, on pourrait remplir un nouvel océan. Ce
livre est un délice de noirceur, de violence, de trahisons, de corruptions,
de descente aux enfers. Mais ce n’est pas tout. Ça c’est pour l’histoire.
Il y a aussi la langue qui est le personnage principal de cette danse des
macchabées. Les fiéreux pagailleurs et chiquards qui font banquette
quand une typesse  ne leur coupe pas la bouche, ça, ça vaut son
pesant d’or, Vrai de Dieu! La richesse du livre, elle est aussi dans
le vocabulaire. Verdict: J’ai adoré!





http://polar.jigal.com/?page=liens&p=75

vendredi 2 mars 2018

Lilyan Kesteloot

Je viens d'apprendre le décès de Lilyan Kesteloot, universitaire grâce à qui j'ai découvert en 1985 " Les écrivains noirs de langue française". Je connaissais un peu Senghor et Césaire lus au lycée, mais c'est tout. J'ai découvert par curiosité sa thèse à la BU de l'université de Poitiers où j'étudiais l'espagnol. Je l'ai photocopiée pour moi, et sa lecture m'a ouvert des mondes, qui ne cessent de s'ouvrir grâce à elle. Merci (un peu tard, certes) très chère Lilyan Kesteloot pour votre oeuvre qui m'a éclairé.







mardi 27 février 2018

Sönke Neitzel & Harald Welzer, Soldats. Combattre, tuer, mourir

Sönke Neitzel & Harald Welzer, Soldats. Combattre, tuer, mourir :

procès-verbaux de récits de soldats allemands,

Paris, Gallimard, 2013, coll. NRF essais, 619 p.

Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni.


Les auteurs ont mis la main sur des sources nouvelles pour étudier la Seconde guerre mondiale: les rapports d'écoutes réalisés secrètement par les services secrets anglais et américains sur des prisonniers de guerre allemands de la Wehrmacht et de la Waffen-SS dans des camps de prisonniers, ou camps d'écoutes, en Angleterre et aux États-Unis.

Les prisonniers parlent librement de leur vécu militaire, et les renseignements analysés dans cet essai passionnant  sont... consternants. Le lecteur découvre l'univers mental, le cadre de référence de ces guerriers, leur mentalité, et les constatations qui en découlent nous renseignent sur cette guerre, nous expliquent, nous éclairent, donnent un début de sens à tant de crimes insensés. Grâce à ce livre, pour la première fois je commence à comprendre ce qui a bien pu se passer entre 1939 et 1945.

Comme l'écrit Valérie Dubslaff (1): "  Pour l’individu, le glissement du monde civil au « monde des soldats » (p. 59), intransigeant et cruel, s’opère par le déplacement des « cadres de référence » (définis dans les chapitres 1 et 2) qui conditionnent les perceptions, les interprétations et les actions des combattants. " En effet, tout est là: le soldat se retrouve dans une situation de guerre, il ne voit que sa situation particulière et non le contexte général. Il agit en toute bonne foi, en bon ouvrier, et c'est le groupe auquel il appartient qui donne un sens à ses actions dont il n'a jamais honte, dont il ne se sent jamais coupable car le contexte d'extrême violence justifie ses actions. Le soldat agit conformément au groupe, conformément aux attentes du groupe, il veut sauver sa peau et souvent tue pour venger ses camarades assassinés par l'ennemi. Enfants, femmes, civils, Juifs, Noirs, Bolchéviques, partisans, soldats, tout le monde doit être tué sans nuance. La violence est toujours justifiée au niveau de l'action au sein du groupe. La perception (d'un fait réel ou imaginaire) entraîne une conséquence bien réelle et  d'une extrême violence. Un fait surprenant est que le discours national-socialiste avait peu d'emprise sur les soldats, bien souvent non-politisés. C'est le contexte de la guerre qui engendrait les massacres et non la volonté individuelle d'appliquer ce programme politique. Certes, le soldats gardaient une haute opinion de Hitler en qui ils croyaient malgré la guerre qui tournait de plus en plus mal pour eux mais dans leur vaste majorité, ils n'étaient pas des fanatiques prêts à se suicider pour les idées de leur  Führer.
Pour ce qui concerne la Shoah, ce n'est pour les soldats qu'un aspect parmi tant d'autres de cette guerre violente, et l'extermination des Juifs, avec laquelle ils sont d'accord, ne revêt pas de caractère particulier, exceptionnel ou amoral. Non. Comme les nazis ont créé, ont inventé un groupe à dévaloriser, responsable de tous les maux de la Terre, les Juifs, alors par opposition le groupe ethnique des Allemands non-juifs est valorisé, privilégié, renforcé, légitime dans sa volonté d'imposer par la force sa domination. La Wehrmacht a participé à l'extermination des Juifs et les soldats qui ont participé à ces massacres l'ont fait dans le cadre des opérations de guerre et non dans un but unique, ciblé, à part. Ils ont tué des Juifs parce qu'ils en ont reçu l'ordre, parce qu'ils sont souvent antisémites, parce que leur groupe participe à la tuerie, parce qu'on leur a dit que les Juifs sont de dangereux ennemis, parce que cela fait partie du travail de la guerre. Pas une seconde ils ne pensent que c'est mal de tuer des innocents. Si les Juifs sont morts, c'est la preuve qu'ils étaient coupables. La logique n'est pas du tout la même pour un soldat dans une unité de combat en temps de guerre qu'en temps de paix. Pour ce qui concerne la Waffen-SS, elle agit presque exactement comme les soldats de la Wehrmacht, mais commet plus de massacres de civils.

Cet essai est effrayant! Il révèle qu'en très peu de temps, à peine quelques années et à l'échelle d'une Nation, des humains on dira normaux, des ouvriers, des intellectuels peuvent se transformer en monstres sans nom! C'est effrayant! Les mécanismes de manipulation d'un peuple mis en place sont tellement simples et tellement efficaces que cela est profondément désespérant.

Très bel essai, très clair, très pédagogique, éclairant. À lire pour celles et ceux qui veulent comprendre pourquoi et comment la seconde guerre mondiale fut si mortelle.

(1)
Valérie Dubslaff, « Sönke Neit, zel & Harald Welzer, Soldats. Combattre, tuer, mourir : procès-verbaux de récits de soldats allemands », Clio. Femmes, Genre, Histoire [En ligne], 39 | 2014, mis en ligne le 01 juin 2014, consulté le 27 février 2018. URL : http://journals.openedition.org/clio/11976


vendredi 9 février 2018

Ali Zamir, Mon Étincelle

Livre lu: Ali Zamir, Mon Étincelle, éd. Le Tripode.

Étincelle est coincée dans un orage en plein ciel, secouée
à dia et à hue, comme il écrirait, le conteur. Et c’est parti.
Mille histoires d’amours malheureuses, parce qu’elles
finissent toujours mal, mais entre deux catastrophes,
on écoute, on est suspendu aux lettres de ce merveilleux
roman-vague, on s’aime, on se vole, on se trahit, et le
conte court plus vite que nous, le voyage d’Étincelle
est le nôtre, bienvenue sur cette mer inconnue car
accrochez-vous, cette langue, un peu comme le Crédit,
a beaucoup voyagé. Cette langue est nouvelle! C’est
de la poésie, ce livre, un parfum hors de prix, un
cadeau. On l’aime bien, Efferalgan, même quand
il va trop loin, même quand on le punit beaucoup trop,
on s’attache. Douceur aussi on l’aime, et Vitamine, et
Calcium le solitaire amoureux soudain hors de tout livre
possible.


Moi je dis: Attention! Une grande voix est née avec Anguille sous roche,
une voix unique, explosive, libre, baroque, nouvelle, oui, étincelante.
Mon Étincelle, c’est un feu d’artifice. Comment ne pas être lyrique
quand on lit des romans si originaux, si beaux! Ali Zamir! Le conteur
s’appelle Ali Zamir!!! Il est EXTRAORDINAIRE!!!





mardi 23 janvier 2018

Caryl Férey, Haka


En Nouvelle-Zélande, terre maorie, Jack Fitzgerald est devenu policier après la mystérieuse
disparition de sa jeune épouse et de leur fille. Rien à faire, vingt-cinq ans qu’il les
cherche, à ça le rend fou. Les femmes mortes et mutilées que l’on retrouve le
rendent de plus en plus malade. En parallèle, John, un peintre très discret est
lui aussi malade. Lorsque la crise monte, mieux vaut ne pas se trouver près de lui.
La hiérarchie a collé Ann Waitura, psychopathologue experte en criminologie dans
les pattes de Jack le solitaire pour lui éclairer sa lanterne dans cette histoire de fous.
Le décors est planté, l’enfer va pouvoir étendre son emprise sur tout ce qui respire.
Plus l’on meurt et plus le corps de Jack se détériore, son esprit à la traîne. Le
lecteur suit ce dur à cuire en se sentant de plus en plus mal à l’aise. Qui massacre
les femmes? Qui sème la tempête dans le dos de Jack? Qui sont ces Maoris qui
veulent lui faire la peau? Et pourquoi? Qui, en fait, est le réel coupable, hein?

J’ai dévoré ce thriller. La fin est hallucinante!!! Sur ce, je ne suis pas certain
de vouloir passer mes prochaines vacances sur les plages de Nouvelle-Zélande.
Pas sûr du tout.


samedi 13 janvier 2018

Caryl Férey: La jambe gauche de Joe Strummer

Caryl Férey, La jambe gauche de Joe Strummer, éd. Folio policier

Mc Cash est irlandais, ancien de l’IRA, reconverti flic en France. Après avoir soigneusement
saboté sa carrière, certains gravissent les échelons, lui les a descendus, il décide de
démissionner avant l’heure afin d’aller crever en paix dans un trou à rat de Bretagne.
Pourquoi à Montfort-sur-Meu? Parce qu’avant sa mort, on meurt beaucoup dans ce
livre, son ancienne lui a fait un pays des merveilles dans le dos, Alice. Se retrouver
père dans la cinquantaine juste avant de devenir aveugle… ah, oui, Mc Cash est borgne
et son trou s’est infecté, il suinte, lui provoque des douleurs insoutenables, et bien sûr
l’infection gagne l’autre oeil, oui, bref, avant de devenir aveugle, ce n’est pas idéal pour
jouer au paternel. Pas sûr du tout de vouloir de cette responsabilité. Le bellâtre espionne sa
fille à la sortie de l’école, histoire de voir, ou de demi-voir à quoi elle ressemble. Contrairement
à lui, elle semble normale. Mais ce qui suit ne l’est pas du tout, normal. Lors d’une
bucolique promenade au bord de l’eau, il repêche le cadavre d’une petite fille. Lorsqu’il
prévient le chef de la gendarmerie locale, un certain Glandu, non, Ledu, cocu notoire,
on le soupçonne tout de suite. Forcément, vu sa dégaine. Mc Cash va donc mener son
enquête en solitaire et comme il n’a rien à perdre dans la vie, il n’hésite pas à flinguer
tout ce qui respire de travers devant lui. C’est un festival de massacres en veux-tu en
voilà. Le roman commence par la présentation de l’enfer personnel de Mc Cash et
se poursuit par l’extension du domaine de l’enfer. Un vrai régal de noir où coupables
et innocents meurent à tire-larigot.

En plus des joyeuses scènes sanguinolentes, ce polar est un petit bijou de style. Du bon
vieil humour grinçant à s’en décrocher les mâchoires. Le genre que j’adore. Si son
Zulu (mythique pour moi) est digne d’une tragédie grecque, La jambe gauche de
Joe Strummer rappelle les Thermopyles: Mc Cash, une armée à lui tout seul contre
le monde entier. Bon, maintenant, faut que je lise Plutôt crever.


mercredi 10 janvier 2018

Lettres du père Crespel et son naufrage à Anticosti en 1736

Lettres du père Crespel et son naufrage à Anticosti en 1736
Presses de L’Université du Québec UQÀM Imaginaire Nord - Jardin de givre, 2007

Le  récollet Emmanuel Crespel raconte en 1746 à son frère, en six lettres, son naufrage
à l’île Anticosti en 1736. Tout d’abord, il lui parle brièvement de ses différentes
affectations en Nouvelle-France. Il arrive en 1724 à Québec, puis est nommé à Sorel,
il part avec une expédition militaire au Wisconsin, il apprend les langues iroquoiennes
vers les Grands Lacs (Niagara, Detroit) et il est rappelé en France en 1736. Chemin
rentrant, en novembre, son navire La Renommée s’échoue au large d’Anticosti.
Sur 54 passagers, seuls 6 réussiront à passer l’hiver sur l’île puis à regagner le
continent au printemps 1737 avec l’aide des “Sauvages”. Ce récit est la narration
de l’horreur vécue dans une nature inhospitalière par des hommes qui vont mourir,
quand ils ne se noient pas, de scorbut, de gangrène, de froid, de maladie,
de faim et d’épuisement. Récit tragique qui fait froid dans le dos.

Ce livre est composé d’une longue et instructive introduction de Pierre Rouxel
qui aborde aussi bien le contexte historique que les procédés narratifs employés
par le prêtre. Les six lettres sont conformes à l’édition originale 1742. L’ouvrage
se termine par diverses chronologies et bibliographies.

Comme j’adore les relations de voyages des XVII et XVIIIe siècles, j’ai savouré
chaque ligne de cette correspondance miraculeuse car normalement, après
un tel naufrage, on ne survit pas. J’ai découvert aussi un ouvrage intéressant
sur l’histoire du Québec, et sur la terrible légende de l’île des naufrages, Anticosti.