vendredi 31 décembre 2021

31 décembre 2021, mon top 23 !

Avant la déferlante Bonne Année, voici mes 23 coups de cœur pour 2021. Chaque livre de cette liste (donnée par ordre chronologique, lu de janvier à décembre) est un trésor:

«Ceux qui sortent dans la nuit», de Mutt-Lon
«Les 700 aveugles de Bafia», de Mutt-Lon
«Les impatientes», de Djaïli Amadou Amal
«Bêtes sans patrie», de Uzodinma Iweala
«Dans le ventre du Congo», de Blaise Ndala
«Underground railroad», de Colson Whitehead
«Les jours viennent et passent», de Hemley Boum
«La mer Noire dans les Grands Lacs», d’Annie Lulu
«Le livre du souvenir», de Tahar Bekri
«Combats», de Néhémy Pierre-Dahomey
«Soleil à coudre», de Jean D’Amérique
«Abobo Marley», de Yaya Diomandé
«La Trinité bantoue», de Max Lobe
«Tram 83», de Fiston Mwanza Mujila
«La Danse du Vilain», de Fiston Mwanza Mujila
«Failles», de Yanick Lahens
«Un tueur sur mesure», de Sam Millar
«La plus secrète mémoire des hommes», de Mohamed Mbougar Sarr
«Rends-moi fière», de Nicole Dennis-Benn
«Les villages de Dieu» d’Emmelie Prophète
«La saveur des derniers mètres», de Felwine Sarr
«Les Lumières d’Oujda», de Marc Alexandre Oho Bambe
«Un monstre est là, derrière la porte», de Gaëlle Bélem

L’année 2022 s’annonce aussi passionnante car j’ai une pile à lire qui me tiendra occupé jusqu’en 2546, et mes auteurs favoris (là, je lance un message secret à Ali Zamir que je n’ai plus lu depuis bien trop longtemps… et j’espère que Daniel Alain Nsegbe, dit Mutt-lon, a trouvé un éditeur pour son troisième roman, je signale qu’il qui a pondu deux joyaux absolus (voir le début de ma liste)) sont encore bien jeunes, j’attends donc avec impatience leurs prochaines œuvres. L’avantage d’être passionné par la littérature est que le bonheur est tellement accessible. Soit en librairie (ok, faut payer, ce qui est normal, écrire, c’est du travail qui mérite salaire, mais cela limite parfois l’accessibilité) ou dans une bibliothèque publique.



vendredi 10 décembre 2021

Entretien complet (écrit) avec l'auteur José Rodrigues dos Santos en novembre 2021

Entretien complet (écrit) avec l'auteur José Rodrigues dos Santos...

Source de la photographie: Wikipédia consultée le 10 décembre 2021 
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jos%C3%A9_Rodrigues_dos_Santos#/media/Fichier:Jos%C3%A9RodriguesDosSantos.png 

...publié en grande partie dans le journal en ligne 20 Minutes le 15 novembre 2021: 
voir: 
https://www.20minutes.fr/arts-stars/livres/3169887-20211115-manuscrit-birkenau-jose-rodrigues-dos-santos-fait-suite-effroi-magicien-auschwitz

Contexte: 

J'avais choisi de lire «Le magicien d'Auschwitz» pour le journal  20 Minutes pour lequel j'écris de brèves chroniques littéraire. 

Voir mon article publié le 2 juin 2021: 

https://www.20minutes.fr/arts-stars/livres/3042207-20210602-magicien-auschwitz-r-dos-santos-vu-camp-tel 

Je lis donc ce roman, puis j'en fais une critique positive. L'éditeur a tellement aimé ma critique qu'il me cite dans la revue de presse sur son site, et en plus il imprime une de mes phrases en 4e de couverture du tome 2: «Le manuscrit de Birkenau» Merci beaucoup, je n'en demandais pas tant. L'histoire ne s'arrête pas là. L'éditeur m'envoie le deuxième tome et il m'invite à réaliser une entrevue avec l'auteur... ! Woaow! Je n'en demandais vraiment pas autant. Je lis donc ce deuxième tome, puis j'écris ceci à l'auteur:

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Greenfield Park, Québec, 7 novembre 2021

Cher monsieur Dos Santos,

Après avoir lu «Le Magicien d'Auschwitz», je ne pensais pas qu’un auteur puisse aller plus loin. Cependant, vous avez osé. J’ai trouvé «Le manuscrit de Birkenau» très courageux, et bouleversant parce que le roman nous enferme, il tient le lecteur prisonnier dans le camp, et il montre l’horreur. Vous avez osé décrire l’intérieur de la chambre à gaz comme personne avant vous. J’ai lu moi aussi des témoignages (certains que vous citez), des récits, des essais historiques, mais je n’avais jamais lu une telle description. Je dois vous dire que c’est très fort. J’ai personnellement osé une seule fois publier une nouvelle qui se déroule dans un camp. Ma nouvelle est courte et je ne pense plus jamais écrire sur cette réalité. Trop dur.

La guerre est la grande histoire de ma famille, comme beaucoup de famille en France. Ce fut pour elle l’Occupation allemande. Une fois, les Boches sont arrivés à la ferme et ont tiré à la mitraillette dans la cour. Ma mère était là, bien petite. Ils l’ont manquée. Ma grand-mère a toujours raconté cette histoire la voix tremblante. Bref, bien des histoires.


Je dois vous avouer que j’ai lu certains passages avec une certaine impatience, surtout lorsque le magicien rencontre un autre magicien et qu’ils évoquent les racines ésotériques (et complètement délirantes) du nazisme. Je vois que vous faites cela dans un but didactique, de même que le long discours de Höss vers la fin sur l’idéologie nazie et la nécessité d’exterminer tous les Juifs. Aussi, prendre un SS qui ne connaît presque rien au SS et aux camps est utile lorsqu’on lui explique ces choses. Ainsi vous pouvez les expliquer au lecteur. C’est didactique. C’était inutile avec moi, avec le type de lecteur que je représente, sauf qu’en fin de compte, j’ai tout de même appris grâce à vous de nombreuses informations sur ce camp.

Je voulais juste vous communiquer mon admiration pour ces deux livres. Je ne pensais pas, à priori, les aimer autant.
 
Pour ce qui concerne cette entrevue écrite, merci d'avance pour vos réponses.

Ne vous sentez pas obligé une seconde de vous y attarder longuement. Quelques lignes suffiront.

Merci encore,

et au plaisir.

Alain Raimbault, pour le journal 20 Minutes
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et voici sa réponse, trois jours plus tard:
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Cher Alain,


Merci pour vos questions et pour votre touchante lettre.
D'une certaine façon, j'essaye de répondre aussi à la lettre dans les réponses au questionnaire.


Bien à vous,

Pourquoi avez-vous choisi comme personnage principal un magicien ?

JRS : J'ai eu l'idée d'écrire ce roman lorsque j'ai rencontré un survivant devenu magicien à Auschwitz : Werner Reich. Il m'a raconté qu'il avait appris la magie à Birkenau, où il a rencontré un grand magicien de son époque, un certain Herbert Levin, connu dans le milieu de l'illusionnisme sous le nom du «Grand Nivelli ». Werner est venu chez moi où nous avons beaucoup parlé de cette période de sa vie et, plus tard, nous avons échangé des centaines d'emails. Il m'a aussi donné les contacts de deux autres survivants du Familienlager de Birkenau, Jan Freund (qui habite aujourd'hui au Canada en tant que John Freund) et Dov Kulka (professeur de l'université de Jerusalem, récemment décédé).

Est-ce pour évoquer la recherche ésotérique chère à certains nazis notoires ?

JRS : L'idée d'évoquer le côté ésotérique du nazisme, pertinente pour comprendre la Shoah, est une idée ultérieure. On sait que le nazisme était un étrange mélange de différents courants de pensées comme le nationalisme, le racisme, l'eugénisme et le socialisme, mais aussi l'ésotérisme, basé sur les idées introduites par La Doctrine secrète, un opus mystique du XIXe siècle écrit par Helena Blavatsky, et sur les mythes Volkisch germaniques. Puisque je travaillais sur l’histoire d’un magicien, j'ai trouvé très intéressant d'exposer les croyances ésotériques du nazisme. Nous avions ainsi un magicien juif, qui savait que la magie n’était qu’illusions, mais qui se trouvait face à des personnes qui croyaient que la magie était vraie. Comment pouvait-il alors manipuler ces croyances nazies pour survivre ? Voilà l'enjeu du Magicien d'Auschwitz et du Manuscrit de Birkenau.

Les nazis étaient-ils à ce point irrationnels ?

JRS : C'est vraiment incroyable, mais en effet ils l’étaient. Et le plus extraordinaire est de voir que ces croyances mystiques sont derrière le drame de la Shoah de la même façon que le nationalisme (« tuer lez juifs est tuer l'étranger »), du racisme et de l'eugénisme (« tuer les juifs est tuer l'inférieur ») et du socialisme (« tuer les juifs est tuer le bourgeois »). D'un point de vue ésotérique, Auschwitz était le fourneau où l’on brûlait la vieille humanité pour essayer de créer la nouvelle humanité, l'homme nouveau, l'homme supérieur, l'homme demi-divin, le futur de l'humanité : « l’Übermensch ». Hitler a écrit dans Mein Kampf qu'il « fallait que l'humanité atteigne des sphères supérieures », une évidente référence ésotérique, basée sur les idées de madame Blavatsky. Les historiens ont longtemps pensé que l'ésotérisme nazi n'était qu'un sujet marginal dans le nazisme, mais ce préjugé commence à changer. Un rabbin, mon ami qui a lu Le magicien d'Auschwitz et Le manuscrit de Birkenau, m'a dit que la chose qui l’a le plus troublé dans cette histoire, c'était de découvrir que des idées apparemment inoffensives comme l'astrologie, la synesthésie, la parapsychologie, les études des continents perdus comme l’Atlantide et Mu, etc. avaient, finalement, eu des conséquences tellement sinistres.

N’est-ce pas difficile d’écrire sur un SS, ici le SS-Mann portugais Francisco, et de le rendre presque sympathique ?

JRS : Le grand mystère d'Auschwitz n'est pas de savoir ce qui s'est passé du côté des victimes, car ceci est évident, mais du côté des bourreaux. Comment est-il possible qu'ils aient fait ça ? Des monstres, certainement. Hélas, pas si simple. C'est Hannah Arendt qui l'a remarqué lorsque, dans le jugement d'Eichmann, elle a parlé de la « banalité du mal ». Pas dans le sens où le mal est devenu banal, mais dans celui où le mal a été commis par des gens banals. Car Eichmann n’était qu'un homme banal. Cette découverte d'Arendt, si polémique à son époque, a poussé Stanley Milgram à faire à Yale des expériences qui ont démontré que la plupart des gens, normaux, pouvaient torturer d'autres personnes dès qu'ils recevaient des ordres d’une autorité supérieure. Car la majorité des nazis n'étaient pas des psychopathes, comme on peut le penser, mais des gens normaux. Et c'est ça le plus terrifiant. Alors, Francisco, qui est devenu un SS, était un homme normal. À travers son personnage, on comprend la vision des SS sur Auschwitz.

C’est même le sentiment amoureux qui le pousse à agir. N’est-ce pas paradoxal ?

JRS : La cohérence n'existe que dans la fiction. La réalité est contradictoire, paradoxale. Auschwitz était pleine d'incohérences et de contradictions. Je vous donne deux exemples. Heinrich Himmler, qui était le numéro 2 dans la hiérarchie de ceux qui ont organisé le génocide, a presque perdu la conscience lorsqu’il a vu pour la première fois des juifs se faire tuer. Johann Schwarzhuber, le commandant de Birkenau, s'est plaint auprès de sa hiérarchie en disant qu'il n'avait pas rejoint les SS pour tuer des juifs. Y a-t-il de plus grands paradoxes que ceux-ci ? Arendt avait raison : le mal a été commis par des gens banals. C'est ça le plus terrifiant. Et ça veut dire que, dans certaines conditions, chacun de nous pourrait aussi faire ça...

Comment avez-vous pu décrire de façon si réaliste l'intérieur des chambres à gaz ? Sur quelles informations vous êtes-vous appuyé ? Vous citez vos sources, mais j’ai l’impression qu’il y a plus.

JRS : Les sources sur lesquelles je me suis basé pour décrire ce qui s’est passé dans les chambres à gaz ont été les manuscrits cachés par les Sonderkommandos à côté des crématoires et les interviews de l'historien israélien Gideon Greif réalisées auprès des survivants des Sonderkommandos. Ce sont des témoignages cauchemardesques.

Pensez-vous qu’à l’heure où s’éteignent les derniers témoins directs de la Shoah, le roman peut aider à poursuivre ce devoir de mémoire ?

JRS : Mon intention était d'aller plus loin que de préserver la mémoire. L'écrasante majorité des témoignages qui nous sont arrivés viennent des personnes qui ont survécu au génocide. Ce sont des histoires terribles et admirables, certes, mais elles nous poussent à oublier que la majorité n’a pas survécu ; elle est morte là-bas. Et c’était la grande majorité. Une grande majorité restée muette. Alors, mon intention n'était pas de préserver la mémoire, mais plutôt de donner une voix à ceux qui ont été tués. Les survivants ont parlé, mais qui a parlé pour la majorité qui n'a pas survécu et qui a ainsi perdu sa voix ? Le récit de mes deux romans n'est pas un récit sur les survivants, mais sur les morts.

D’un point de vue personnel, en quoi cette époque de l’histoire mondiale est-elle si importante pour vous ?

JRS : La Shoah n'est pas seulement une tragédie juive, c'est une tragédie de l'humanité. Comme le génocide armenien, comme les tueries des Gulags, comme tant d'autres événements terribles qui ont touché ce peuple ou cet autre peuple, mais certainement l'humanité. Comment de telles choses sont-elles possibles ? Je pense que la réponse est dans la citation épigraphe de Aleksandr Solzhenitsyn qu'on trouve dans Le Manuscrit de Birkenau: « Pour faire le mal, la première condition nécessaire est de croire qu'on fait le bien ». Comme l'Inquisition, qui tuait pour "sauver les âmes". Comme les djihadistes, qui tuent pour "respecter la volonté d'Allah". Comme les communistes, qui tuaient pour "créer la société parfaite". Comme les nazis, qui tuaient pour "créer l'homme supérieur". Hannah Arendt avait raison : ils étaient des gens banals. Mais le mal qu'ils ont fait n'est pas banal du tout.
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samedi 27 novembre 2021

«Un monstre est là, derrière la porte», de Gaëlle Bélem

Lu: «Un monstre est là, derrière la porte», de Gaëlle Bélem, éd. Gallimard/ CONTINENTS NOIRS

Quel est ce monstre sinon l’enfance, avec ses terreurs nourries par des parents vaincus trop tôt, inadaptés, dysfonctionnels, incultes et violents. Le monstre est l’imagination alimentée à la peur et qui vous dévore. Le monstre est une hérédité sociale à la Zola, mais en pire. Le monstre est l’écriture qui montre, car monstre et montrer ont la même racine latine. Le lecteur entend, apprend, découvre, et aussi écoute la langue parce que si l’auteure, comme elle le dit si bien dans le glossaire final, a du vocabulaire, elle a aussi de la musique, celle du vent qui transporte les déserts et leurs mirages, qui déplace les montagne, qui soulève les volcans. Gaëlle Bélem a écrit un roman volcanique, une véritable éruption littéraire.

Citation, page 94:

«Dans ma tête, à ce moment-là, quelque chose se brise et je sens que mon corps, mon énergie, mon être tout entier est une feuille de papier que l’on déchire lentement. Je vis une tragédie absolue qui me bouscule, qui dépasse mon entendement d’enfant. On m’aurait menti?(...) Est-ce possible qu’il existe autre chose que la vérité? (...) Est-ce seulement possible, permis et finalement fréquent que les adultes mentent? De mes yeux tombe alors quelque chose comme un sanglot de papillon. Regardant autour de moi, je cherche le sens de cette gigantesque trahison.»




vendredi 19 novembre 2021

«Les Lumières d’Oujda», de Marc Alexandre Oho Bambe

Lu: «Les Lumières d’Oujda», de Marc Alexandre Oho Bambe (dit Capitaine Alexandre), éditions Calmann Lévy

Quand un poète écrit un roman, l'œuvre reste de la poésie. L’auteur est poète, et c’est par la poésie qu’il aborde le sujet des réfugiés, mais pas des réfugiés anonymes, non, ils ont un nom, une histoire tragique à conter, à chanter, à jouer, à raper (Le Rap signifiant «Réapprendre à parler»), une douleur qui se porte et qui reste, une leçon à tirer, mille leçons à donner. Nous suivons quelques personnages dans leurs parcours sans devenir. Et nous assistons aussi à leur mort, à leur assassinat après mille violences. Comment, mais comment évoquer ce drame quotidien ? L’auteur conte la vie, si courte, de Céline, d’Aladji, d’Imane et Leila, de Yaguine et Fodé. Il dit tout simplement pourquoi écrire: «Écrire, cela peut être prendre parti./ Prendre partie pour la beauté. Pour la dignité. Pour la justice.» Lire le très beau poème page 259 intitulé Fugees

...

Trop.

C’est trop.

Pourtant

Le naufrage poursuit son naufrage.

Le naufrage de l’humanité elle-même.

Qui se noie

S’est noyée

Tant de fois

Se noiera

Encore.

Dans l'indifférence

Générale…


Je ne sais pas pourquoi mais j’ai souvent pensé à Jean-Claude Charles en lisant ce roman. Son lyrisme. Son histoire d’amour new yorkaise peut-être. L’amour. Un très très beau roman engagé.


dimanche 31 octobre 2021

«La saveur des derniers mètres», de Felwine Sarr

Lu: «La saveur des derniers mètres», de Felwine Sarr, éd. Philippe Rey

Recueil de récits de voyages, l’auteur nous entraîne dans son sillage à travers ses pérégrinations. Des îles de Diogane, Bassar, Thialane jusqu’à Niodior natal en passant par Kampala, Lisboa, Cuernavaca, Douala, Dakar, Rome, New York, Port-au-Prince ou Montréal ou Istanbul, entre autres. J’ai menti car les voyages sont intérieurs. L’auteur préfère sentir l’écho des lieux en lui plutôt que de s’attarder sur les sites touristiques entendus… J’avais un ami en Nouvelle-Écosse qui avait passé deux ans à enseigner l’économie en Chine. Lorsqu’il est revenu et qu’il m’a montré ses photographies en couleur (vous savez, dont l’origine est la lumière prisonnière d’une pellicule, tirées sur papier), je n’ai ni découvert la célèbre muraille, ni le palais impérial de Pékin (on dira Beijing plus tard), non, il n’avait pris en photo que les gens, ses collègues de travail et ses étudiants. Il a dit: c’est ce qui m’intéressait le plus. Felwine Sarr fait un peu la même chose. Il s’attarde sur les lieux afin de montrer comment ils résonnent en lui et bien sûr, ce sont surtout les rencontres, organisées ou inattendues qui l’intéressent davantage. Il prend en photo les conversations, l’essence des conversations, en quelque sorte. Plus je lis ce livre et plus je me rends compte qu’il est en fait une ébauche de livre de sagesse, un recueil de poésie, une recherche intérieure, la quête de la voie, du «do». Je ne suis pas quelqu’un de religieux qui va croire en un Dieu ou en une religion. Je pense qu’après la mort, c’est fini, un peu comme lorsqu'on s’endort sous anesthésie générale et lorsqu’on se réveille, il ne reste rien de ce temps passé hors conscience, sans rêve. La mort est pour moi une sorte d’anesthésie générale, ce temps de rien. Alors, je considère les livres dits sacrés comme des œuvres littéraires, des récits de traditions orales fixées sur le papier. Je crois davantage en la poésie. Tout bon poème est pour moi une œuvre sacrée. Et ce livre de Felwine Sarr doit être considéré ainsi: comme une poésie sacrée.

Citation, pages 118-119: «Considérer que tout m’a été gracieusement donné. La vie, le temps imparti, l’air que je respire, les mots de la langue que je parle, les pensées qui me viennent à l’aube, le sourire fugace, ce soleil que je hume. À mon tour, de ce vécu, il va bien falloir que je partage les fruits de saison. C’est pourquoi, pour moi, est fondamental le geste de la transmission. J’ai vécu, j’ai creusé, et il me semble qu’il y a quelque chose que j’ai touché, vu, reconnu, trouvé qui m’a aidé à vivre et qui pourrait être utile à autrui. Puisque je dois partir un jour, pourquoi le garder pour moi? J’ajoute, si possible, à la vie qui m’a été donnée, du viable, des provisions pour l’approfondir et en densifier la texture. Seulement ce qui ajoute de la vie à la vie me semble digne d’être transmis.»



Revues de presse

Revues de presse…

Depuis que j’écris de brèves critiques littéraires pour le quotidien 20 Minutes, en France (et en ligne, il existe une version papier mais je n’ai pas encore vu une de mes chroniques dans cette version, ça viendra je pense), je découvre avec surprise que je suis repris, cité sur les sites des éditeurs dans la partie: revue de presse. Moi qui ai toujours voulu être édité par ces éditeurs, eh bien c’est fait, mais ce n’est pas ce genre d’écrit que j’espérais. Cependant, c’est toujours agréable de se voir publier quelque part. Aussi, mon nom n’est presque jamais cité, c’est le journal 20 Minutes qui l’est. C’est normal, je l’accepte puisque je ne suis personne, les éditeurs font ce qu’ils veulent.

Ahmet Altan, «Madame Hayat», éditions Actes Sud
Ce livre a été lu avec admiration devant la grande poésie qui s’en dégage, doublée d’un parfum de tristesse. 20 MINUTES

Sam Millar, «Un tueur sur mesure», éditions Métailié
"Cette œuvre magistrale est un petit bijou d’humour noir terriblement jouissif."
Alain Raimbault SITE 20 MINUTES

J. R. Dos Santos, «Le magicien d’Auschwitz», éditions HC éditions Hervé Chopin
"J.R. dos Santos est vraiment doué pour nous faire vivre l’expérience des personnages de l’intérieur. Il brise un tabou, celui de faire de la fiction à partir de cette terrible tragédie, mais il le fait avec élégance et délicatesse. L’auteur donne à voir sans se lancer dans de grandes leçons de morale. Non. Il essaie de montrer un destin brisé, métaphore d’un génocide. C’est courageux, intelligent et utile. Pour qu’on n’oublie pas." 20 Minutes

Et les éditions HC Hervé Chopin ont tellement aimé ma critique que non seulement ils en ont repris un long passage mais en plus, ils vont m’envoyer le tome 2: «Le manuscrit de Birkenau», et ils m’ont demandé de réaliser une entrevue écrite avec l’auteur. Me voici donc passé de chroniqueur littéraire à journaliste culturel.

Cette nouvelle situation entraîne enfin une nouvelle relation pour moi: celle avec les attachées de presse. Elles commencent à me contacter directement, sans passer par le journal. Elles m’envoient le catalogue des titres publiés par leur maison d'édition pour que je choisisse le livre que je veux, comme si j’étais quelqu’un. Je ne suis personne, je le répète, mais elles semblent oublier ce détail.

Comment en suis-je arrivé là? Pas compliqué. Mon ami Ludovic Lavaissière en France m’a fait remarquer que je pouvais demander à être lecteur pour 20 Minutes. Comme j’ai l’habitude de tenir un blog de lecture, j’ai contacté 20 Minutes. Ils ont accepté en toute simplicité et maintenant, ça roule. Je lis des livres (j’ai toujours lu des livres) et mes critiques sont publiées en France. Je pensais que j’étais écrivain, pas lecteur-chroniqueur. Mais, bon, un écrivain, ça écrit un peu de tout, non?

Enfin, j’aurais bien écrit pour un journal québécois mais personne ne me l’a proposé. Être au Québec et écrire pour un journal en France…

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------15 novembre 2021
J'ai réalisé l'entrevue écrite avec J.R. dos Santos, j'ai écrit ma fiche et elle l'est publiée aujourd'hui. Et l'éditeur est super rapide et me cite sur son site :«Un livre captivant et très utile. Un suspens intenable nous pousse à tourner les pages. J’ai été estomaqué par des descriptions on ne peut plus réalistes. Je savais à quoi je m’attendais, mais la lecture fut plus forte que prévu.»
20 Minutes


Et il me cite en quatrième de couverture aussi (la première ligne, c'est moi qui ai écrit ça pour Le magicien d'Auschwitz)






samedi 30 octobre 2021

«Les villages de Dieu» d’Emmelie Prophète

Lu: «Les villages de Dieu» d’Emmelie Prophète, éd. Mémoire d’encrier

Célia est une adolescente qui vit avec sa grand-mère et son oncle alcoolique dans un bidonville de Port-au-Prince, la Cité de la Puissance Divine. Elle raconte les événements qui se déroulent autour d’elle, comment survivent les gens dans un environnement abandonné par l’État (pas d’eau courante, ni électricité, ni service public)et où les gangs font leur loi. Le seul rêve autorisé est de survivre au présent. Quant à l’Amérique, cette possibilité d’évasion, plusieurs y ont laissé des plumes.

J’ai beaucoup aimé la description de la vie dans cette cité où Dieu trouve d’excellentes conditions d'épanouissement, les missionnaires américains blancs l’ont très bien compris. La vie suit son cours, interrompue bien souvent par un tir vengeur. Si les personnages ne se font pas assassiner, ils survivent en vendant ce qu’ils peuvent, en échangeant ce qu’ils peuvent aussi, ou en exerçant le métier de la violence. Il existe enfin soit des haines incurables, soit une magnifique solidarité de voisinage.

Cette vie dans un tel endroit est absolument incompréhensible pour moi qui ai toujours vécu dans un endroit tranquille, en France ou au Canada. Je ne sais rien de rien sur cette vie-là, mais je sais que ce roman touche à l’humanité entière, par son ton vrai, ses personnages extraordinairement vivants, et ses thèmes. Lorsque hier soir j’ai écouté une entrevue entre l’auteure et le sociologue Frédéric Boisrond, j’ai tout de suite pensé, lorsqu'ils ont évoqué le bruit excessif dans de telles cités, au recueil de nouvelles de Dany intitulé «La Chair du maître» qui évoque aussi ce bruit incessant, excessif à Port-au-Prince. Et j’ai pensé au superbe roman très poétique qui se déroule lui aussi dans un tel endroit: «Soleil à coudre», de Jean d’Amérique.

J’avais beaucoup aimé «Impasse Dignité», j’ai beaucoup beaucoup aimé «Les Villages de Dieu» dans lesquels, justement, Dieu semble exactement absent.

La (superbe) citation, page 111. Cécé dit: «C’était mon anniversaire. Je n’avais pas de rapport avec le temps, de toute façon. Il ne passait pas vraiment le temps à Bethléem et à la Cité de la Puissance Divine. Probablement partout où les gens n’attendaient rien. On oubliait d’être, on n’essayait pas de comprendre. J’avais eu envie de parler de ma fête à Tonton Frédo. Savait-il seulement ce que signifiait un anniversaire? Quelle était la date du sien? Il n’avait aucun papier d’identité d’ailleurs, il était revenu de son Amérique avec une feuille de route, comme un colis.»