samedi 19 décembre 2020
“Mathématiques congolaises” de In Koli Jean Bofane
"Western tchoukoutou” de Florent Couao-Zotti
dimanche 25 octobre 2020
“ De purs hommes”, de Mohamed Mbougar Sarr
“Une guillotine dans un train de nuit”, de Jean-François Samlong
lundi 12 octobre 2020
“Ténèbre”, de Paul Kawczak
Lu:
“Ténèbre”, de Paul Kawczak, éd. La peuplade
Plongée dans les entrailles de l’Afrique à l’heure des colonisations européennes, fin XIXe siècle. Un jeune géomètre est envoyé par le roi des Belges pour tracer définitivement la frontière du Congo. Expédition le long des cours d’eau exactement comme dans Apocalypse now. L’horreur. L’horreur. Des personnages tous plus torturés les uns que les autres se dévoilent, un peu comme s’ils sortaient de L’Assommoir de Zola pour sombrer illico presto dans un conte de Poe. Le style est là. Je pense à Jules Verne, bien sûr, un peu à Balzac, beaucoup à Baudelaire qui justement agonise sous nos yeux. Et puis y aurait l’amour, qui ne mène qu’à la souffrance. Mon personnage préféré est le parent malade de notre jeune géomètre, qui dialogue avec ses chiens. Ça pourrait être mignon comme une photo de chat sur facebook, sauf que les chiens-chiens, ils ne sont pas de bons conseils, oh non. Et la fin est pas mal du tout non plus, coupée nette par un accident qui laisse entendre la fin du monde. La guerre de 14 qui approche. Le grand personnage de ce roman est selon moi Xi Xiao, grand maître en la découpe humaine. Un sage en horreur de sainteté. L’auteur appelle un chat un chat. La colonisation est une horreur absolue. Le colon Blanc est le cancer de l’Afrique. Un monstre sans âme. J’ai bien aimé. Bonne lecture d’un dimanche de grâce. Faudra que je relise aussi “Au coeur des ténèbres”, de Joseph Conrad, forcément. Bon, après Wideman et Kawczak, je vais voir si j’ai pas un truc plus léger à lire, là.
“Rumeurs d’Amérique”, d’Alain Mabanckou
Lu: “Rumeurs d’Amérique”, d’Alain Mabanckou, éd. Plon
Cela fait des années que, sur les réseaux sociaux, je découvre des photographies d’Alain le toujours bien sapé en Californie. Alain, en photo, il est toujours magnifique, qui dira le contraire? Bon. Je me demandais bien ce qui se cachait derrière ces images, eh bien maintenant j’en sais un petit peu plus. C’est l’histoire d’un balcon. Au départ. De l’écriture. Il écrit sur son balcon. J’ai pensé à Meursault qui passe ses dimanche après-midi à fumer sur son balcon, à écouter les rumeurs de la ville. Il y a son ancien chez lui à Santa Monica, duquel il ne peut se détacher, et puis les rues, les boulevards de Los Angeles, ville où il habite à présent. Il y a aussi l’histoire de quelques personnages historiques, de quelques lieux, et surtout les gens. C’est ce que je préfère dans ce livre, les gens. Je crois connaître un peu Pia Petersen parce que je l’ai un peu lue et parce que cela fait des années que je regarde ses publications sur facebook. C’est certain, je ne savais pas grand chose sur elle. Heureusement, Alain trace un portrait formidable de sa grande amie. Une femme instinctive, marcheuse infatigable, spontanée et terriblement sympathique. Il évoque aussi ses enfants, là bas, en France (Vos enfants vivent sur autre continent? Vous allez comprendre ici ce qui n’est pas dit et qui hurle entre les lignes), quelques souvenirs de Pointe-Noire, bien sûr, et ses rencontres, toujours intéressantes. Ses étudiants à UCLA. Ses écrivains (merci d’avoir cité Chester Himes, merci Alain. On ne le cite pas assez!). La politique, un peu. La peur de la violence. Et les morts. On termine en beauté avec l’hommage à Dany (je trouve que “Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer” et “L’énigne du retour” sont ses deux meilleurs livres, en troisième: “La chair du maître”, opinion personnelle dans ce résumé, normalement on évite de tels apartés dans les résumés, je sais, mais là, c’est dimanche) et la présence de Pia Petersen qui est tout un poème à elle seule. Bon, c’est un semblant de résumé. Lisez le livre. Quand c’est du Alain Mabanckou, c’est toujours bien.
samedi 10 octobre 2020
“Écrire pour sauver une vie Le dossier Louis Till” de John Edgar Wideman
Lu: “Écrire pour sauver une vie Le dossier Louis Till” de John Edgar Wideman, éd. Folio
Qu’on se le dise, écrire ne sauve personne. Quand on est mort, y a plus rien à sauver. En fait, en essayant de redonner vie au pauvre Louis Till et à son pauvre fils Emmet, l’auteur leur dresse un monument vivant. Oui, il sont bien vivants dans notre mémoire, mais l’auteur n’a pas pu les sauver. C’est trop tard. Emmet a été lynché alors qu’il n’avait que 14 ans, parce qu’il était Noir, et son père a été pendu pour la même raison. Aux yeux des habitants Blancs des États-Unis (ok, pas tous, bien sûr), si tu es Noir, tu es coupable. On va inventer un crime que tu aurais commis pour te condamner et d'exécuter. Si tu es accusé, c’est trop tard. Un Noir ne peut être innocent aux yeux de la justice des Blancs. Mais John Edgar Wideman refuse l’injustice dont il pourrait être lui-même victime. Justement, il se remémore son enfance à lui pour ressentir celle d’Emmet. Pour nous la faire voir. Entendre. Lui et Emmet ont le même âge. Entre 1941 et 1955, ils ont dû vivre les mêmes expériences, non? Et puis, en s’intéressant à Emmet, il découvre le destin tout aussi tragique de son père Louis Till, soldat américain pendu par l’armée américaine sous prétexte d’un crime qu’il n’a pas commis. Mais il est Noir et se trouvait au mauvais endroit. C’est suffisant pour être pendu. Pour rien. À vingt-trois ans. La vie d’un Noir ne vaut pas plus que ça. John Edgar Wideman cherche à comprendre le déroulement de l’enquête, il imagine les pièces manquantes, les mensonges successifs afin d’en arriver à une condamnation inévitable en cour martiale. Il met en évidence que le dossier d’instruction n’est qu’une fiction continue pour en arriver à faire pendre Louis Till. Qui meurt assassiné par l’armée des États-Unis. L’auteur se recueille sur sa tombe et tente un dialogue. Impossible. En fait, je comprends que John Edgar Wideman écrit pour se sauver lui-même. Et il navigue entre Till père et fils pour dialoguer avec sa famille à lui, ses ancêtres, sa mère. Et soudain, ces va et vient entre réalité et fiction me parlent à moi, lecteur. L’auteur évoque l’ensemble des Noirs victimes de discrimination au fil des siècles mais pas seulement. Il ne s’arrête pas là. Il exprime son incompréhension face au temps qui passe, temps passés et présents. Sa peur. Sa méfiance. Et il met en évidence une faiblesse du temps, qui n’est pas si inexorable que ça. Sa faiblesse, c’est qu’on peut le nommer. On peut le manipuler avec les mots. Souvenirs, mémoire, dates, silences, John Edgar Wideman s’infiltre par la brèche. On appelle ça la Littérature. Si l’auteur tente de sauver sa peau, son livre sauve aussi la mienne. John Edgar Wideman, grand auteur. Grand auteur.